Moubarak casse le blocus, l’Histoire va-t-elle basculer ?
En cette période pré-estivale, l’actualité était dominée par le virus H1N1. Cette année, les yeux se pointent sur cet événement du 31 mai dont on ne sait pas ce qu’il laisse augurer pour l’avenir du Proche-Orient. Les historiens sauront plus tard s’il faut situer cette attaque de navires civils par l’armée israélienne comme un fait ordinaire ou bien le début d’une situation autrement plus conflictuelle. Ce n’est pas un secret que de dire que cette zone du monde est une poudrière. Israël a décrété que le blocus serait maintenu, autant dans son droit que dans les faits et donc, tout navire cherchant à rééditer la rupture du blocus de Gaza sera empêché de le faire par l’usage de moyens militaires. Et donc, toute aide devra passer sous l’inspection des services israéliens avant d’être acheminée vers la bande de Gaza. Ainsi a en décidé avec détermination le gouvernement israélien, sauf qu’un événement auparavant inattendu est venu perturber l’affaire.
Le blocus de Gaza suppose la collaboration de l’Egypte, seul pays disposant d’une frontière avec les Gazaouis. Le président Moubarak, en réaction avec les événements récents, a décidé de rompre le blocus en ouvrant à nouveau le point de passage de Rafah, ville palestinienne frontalière alors strictement contrôlée par les autorités égyptiennes ce qui a conduit les palestiniens à creuser des tunnels pour tenter d’y faire passer des produits divers par contrebande. Le blocus du terminal de Rafah avait été décidé en 2007, à la demande des autorités israéliennes, pour faire face à la situation nouvelle représentée par le Hamas, élu après une élection controversée mais démocratique dans les limites qu’on peut attendre pour ce type de territoire. Même pendant l’opération plomb durci de décembre 2008, le point de passage de Rafah était fermé. Cette réouverture a été décidée sans fournir de date de validité et officiellement, pour répondre à une situation d’urgence humanitaire. Voilà ce que dit la langue diplomatique. Mais personne n’est dupe. La situation humanitaire à Gaza était déjà préoccupante après l’entrée en vigueur du blocus, puis s’est aggravée après l’attaque massive de décembre 2008. On imagine mal le président Moubarak découvrir soudainement comment les populations « vivent » à Gaza et bien évidemment, cette décision est une réponse politique à l’attaque d’un navire de civils par Israël. Ne soyons pas dupes pour autant, cette décision de réouverture répond à l’attente des opinions publiques arabes. Faute d’être au cœur de la diplomatie, je ne sais pas comment il faut prendre cet acte mais par défaut, je vais le prendre au sérieux.
Sur le plan diplomatique, cette décision ne fait que montrer l’isolement dans lequel s’est mis Israël après l’attaque du 31 mai. Non seulement la Turquie s’est fâchée mais cette fois, l’Egypte a pris une décision importante dont on ne mesure pas encore les conséquences. Car de fait, il n’y a plus de blocus absolu, ce qui devrait être jugé comme inacceptable par Israël et même comme un véritable affront, annihilant son « travail » de trois ans pour contrôler la bande de Gaza. Nul ne sait comment pourrait réagir ce pays qui, depuis des années s’est entêté, n’a mis aucun zèle à solutionner le conflit avec les Palestiniens, poursuivant les implantations en Cisjordanie et à Jérusalem, puis s’est attiré la réprobation de la communauté internationale après ses opérations dramatiques à Gaza et qui maintenant, s’est enfoncé un peu plus dans l’isolement, étant même en délicatesse avec son principal soutien, la Maison Blanche, dont le jeu diplomatique reste tout de même opaque dans ce dossier. Que se passe-t-il dans la tête des gouvernants et des stratèges militaires israéliens ? Une sorte d’héroïsme jusqu’au-boutiste sur fond d’eschatologie religieuse et de ressentiment vis-à-vis du monde ? On pourrait même se demander si l’opération menée contre la flottille humanitaire n’avait pas comme objectif d’impressionner les humanitaires et militants de la cause palestinienne en jouant sur la peur suscitée par les hélicos, les zodiacs, le débarquement surprise, l’usage des armes. Une manière de faire entendre aux futurs briseurs de blocus à quelle sauce ils seraient assaisonnés. Il y a des zones d’ombre dans cette affaire. Comme l’ont suggéré quelques férus tacticiens de la guerre, il eut suffit de casser les hélices des navires pour s’en rendre maître.
Le devenir de cette région est à l’image d’une équation dont les inconnues ne peuvent être calculées puisque tous les paramètres ne sont pas disponibles. C’est un peu comme dans la relativité générale. Einstein avait introduit la constante cosmologique. Le futur de cette région dépendra de « constantes diplomatiques » dont les médias ne disposent pas. Deux options. La volonté de conciliation des parties et notamment d’Israël ou bien la stratégie de la surenchère menée par un Etat décidé à ne pas lâcher le blocus et se donner tous les moyens pour ses fins. Et quand on connaît l’histoire récente d’Israël, on sait que par moyen on entend la plupart du temps, moyens militaires. On ne peut pas comprendre Israël si on occulte le fait que les jeunes hommes font trois ans de service militaire, les femmes deux, et pas comme naguère chez nous, à faire un peu de marche en godillots et quelques initiation au tir.
Voilà donc un point de bifurcation entre deux tendances. Les militaires peuvent être tentés de poursuivre leur stratégie de la peur et s’il y a lieu, bombarder le point de passage de Rafah, au risque de tuer des civils, se servant de la force comme d’un instrument devenu habituel sinon culturel dans ce pays, avec une opinion publique qui soutient son armée puisqu’elle leur garantit, c’est ce qu’ils croient, la sécurité et le bien-être. Il y a une tactique politicienne qui se greffe car la peur et la riposte pratiquée à l’extérieur permet au pouvoir de se maintenir en place. Tout dépend alors des alliances et des manœuvres internes des partis formant des alliances compliquées. Les partis peuvent choisir la stratégie des militaires ou prendre acte d’un isolement croissant d’Israël et d’une impasse. Plus le temps passe, plus les cadavres de civils s’accumulent, plus l’addition morale mine un pays qui croit que pratiquer la peur constitue une solution viable. Israël peut prendre le risque d’aggraver son passif éthique ou bien de tenter un rebroussement au risque de perdre la face, enfin, disons la face de ses dirigeants devenus des irresponsables aux yeux du monde. Et qui pour la presse de gauche israélienne, sont une bande de médiocres. L’Histoire retiendra-t-elle que Israël et les Etats-Unis ont pris des voies divergentes ? Des voies périlleuses dans un monde en pleine évolution. Des voies où régimes politiques et valeurs guident les décisions et les actes. N’ayant pas de compétences prophétiques, j’attends les événements pour quelques modestes analyses historiques avec mes modestes moyens.
Cette analyse ne vaut donc que dans les limites des rares données dont dispose son auteur. Il est évident que derrière les événements se joue une partie avec des intentions et des paramètres que l’on ignore. Si ça se trouve, la décision de Moubarak n’aura pas d’incidence si les autorités égyptiennes filtrent les convois humanitaires comme le font les israéliens de leur côté. Les Palestiniens continueront à vivre mal. Le Hamas poursuivra sa stratégie peu glorieuse. Les peuples sont les jouets des puissants. Voilà le mot de la fin.
A noter tout de même le récent bombardement par Israël de positions proches de l’aéroport désaffecté près de Rafah, officiellement suite à un lancer de roquette sur un terrain vague près de la ville d’Ashkelon et pour une histoire de tunnel et d’une supposée infiltration de terroristes en Israël mais là, ça semble relever d’un feuilleton. C’est comme dans plus belle la vie. On attend la suite des événements. Il faut juste changer le titre. Plus moche la vie. Une série tournée à Gaza. Coproduction Hamas et Israël.
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