Mourir au champ d’horreur

Dans ces immenses plaines peuplées de croix blanches à l’infini où, des anonymes côtoient d’autres anonymes servant d’engrais aux éphémères coquelicots des étés successifs, s’affichent toute l’incompréhension et la stupidité du genre humain ainsi que son incapacité à la fraternité et à la non violence.
D’Afghanistan, de Lybie, d’Iraq, de Palestine, du Mali où quel que soit l’endroit du globe, une guerre n’est que boue faite de terre et de chair éclatée pourrissante pour les mouches et nourrissante pour les vers. Vous sentez et marchez dans la merde des corps éventrés et dont les défunts propriétaires, héros illusoires, ont déféqué de trouille dés les premiers assauts, résultat d’une révolte des entrailles commandée par la peur qui ignore les ordres d’un général. Ils pensaient se sacrifier pour de justes causes, mensonges assénés par des gourous assassins, faux prophètes, dirigeants corrompus qui les envoyaient à l’abattoir des champs de bataille pour assoir leurs pouvoirs et gonfler leurs richesses matérielles. De faire de cette manie de gagner de l’argent une obsession, ils font et alimentent la barbarie. Les soldats ne sont que des esclaves consentants, d’un parti capitaliste ou d’un parti révolutionnaire, ignorants leurs conditions d’esclave et qui, pour une médaille en fer blanc, un drapeau se hissant au son du clairon, un salut au claquement des talons ou un dieu sanguinaire, sont prêt à mourir pour une putain nommée nation ou religion ignorant que la seule et unique patrie des hommes, c’est la vie.
Certains sont fiers de cette violence et ils la revendiquent. De la minorité d’imbéciles aux testostérones en ébullition et aux neurones en perdition jusqu’aux stratèges hypocrites jouant à la guéguerre sur des cartes étalées aux murs d’un bureau bien chauffé à l’abri de l’horreur et de la mitraille. Ils se prennent pour des vedettes de cinéma sauvant le monde et leurs cerveaux congestionnés se repassent en boucle des films d’action pour attardés. Cela ne me surprend guère car en général la lâcheté est livrée avec la bêtise. Sachez le bien, des deux côtés, pas plus de vainqueurs que de vaincus mais une foule d’êtres humains parcourant, la fleur au fusil, son chemin de croix jusqu’aux chrysanthèmes.
La faucheuse se gausse, son travail est facilité par l’instinct guerrier des masses guidées et trompées par des egos assassins qu’ils ont choisis et assis sur des trônes. Sa faux tournoie et virevolte sur les troupeaux belliqueux et tranche les chairs sous des cris de douleur composant son hymne à la mort. C’est son heure de gloire, son apothéose à cette garce que lui offrent les hommes oubliant les lumières de la vie pour la noirceur des ténèbres.
Les guerres ravagent notre planète, les hommes massacrent femmes et enfants, leur folie est sans limite et le sang versé est toujours le mauvais témoin d’une cause. Ainsi s’écroule ce monde et devant la mort nous sommes tous comme ces petits enfants effrayés et fébriles attendant leur première entrée d’école. Après tout, à quoi bon s’en faire puisqu’elle rode et plane là, légère au dessus de mon épaule gauche comme un vautour posé sur un cactus isolé au milieu d’un désert mexicain. Elle m'accompagne et me surveille attendant son heure que je ferais mienne, et que bon gré malgré, vous aussi ferez votre.
Les tailleurs de pierre et les fabricants de stèle ont l’avenir radieux car les représentants de guerre travaillent d’arrache pieds pour remplir leurs carnets de commande et ils ont l’argument commercial alléchant. De la patrie à la nation, du drapeau à la religion, du courage pour la liberté aux martyrs des milles vierges, que de produits d’appel qui ont fait et font encore preuves d’une redoutable efficacité.
C’est par une froide journée d’automne qu’on ensevelira sous la terre et l’humus des feuilles en décomposition le corps mutilé des soldats inconnus et, après un prière récitée à un Dieu depuis longtemps sourd aux vociférations guerrières de ses créatures, on plantera une croix de marbre froid gravée d’une date de fin et dont l’absence de nom, sombrera dans un oubli immédiat.
Le glas des clocher couvrira le gémissement des mères, les larmes des veuves rempliront les bénitiers, leurs pleurs seront les cantiques résonnant dans la nef des églises aux odeurs de moisi et, les orphelins retourneront à l’école de la république ou l’institution leur apprendra que la guerre est le seul meurtre pour lequel on vous encourage et vous décore. Les survivants, meurtriers improvisés à jamais traumatisés auront le choix entre une vie de cauchemars et de remords, une place à l’asile ou un suicide libérateur. Les hôpitaux seront plein de gueules cassées et d’éclopés plus ou moins rafistolés. Les maisons de fous déborderont de paumés rongés par la démence. Voilà le tribut d’une guerre bien menée, la fabrique de candidat au suicide et à la folie.
Pour finir, les coupables iront fleurir les tombes de ces invisibles soldats au son d’une fanfare jouée par une poignée de rescapés d’un champ d’horreur et, à qui l’on fera croire que c’est un honneur que d’interpréter cette musique militaire glorifiant le sabre et gémissant sur le goupillon. Les chefs d’états des deux camps viendront vomir une gerbe fleurie au frais du contribuable et prononceront un texte écrit par des nègres à la gloire de leurs victimes dont ils se foutent éperdument. La posture de circonstance, le discours creux mais la voix vibrante, les larmes d’un caïman en immersion, que ne diraient ils pas, que ne feraient ils pas pour justifier la boucherie dont ils sont responsables. L’odieuse représentation terminée, ils iront s’empiffrer de mets raffinés et discuteront de la prochaine guerre à préparer autour d’une bouteille dont le nectar à la couleur du sang des innocents de leurs sales politiques.
La réflexion et la raison n’ont pas plus de place dans une caserne que sur un champ de bataille et celui qui s’en accommode ou s’en sort serait couvert de médaille, quelle ironie est ce là que de récompenser la bêtise ? Le courage du déserteur est bien supérieur à l’inconsciente ignorance d’un héroïsme guerrier et la seule mitraille que nous devrions entendre devrait concerner ceux qui planqués dans les ministères vous envoient à l’abattoir.
Alors, rescapé de l’horreur, que reste-t-il ? S’essayer au métier de mercenaire des âmes, d’éboueur chargé de vider les poubelles de l’humanité, traverser le temps en zigzaguant entre les intempéries des années qui se traînent au rythme de nos misères pour finir par se demander à quoi cette putain de vie peut bien servir. Conclure que, devant ces faits indéniables, le Nazaréen est mort pour rien et que la terre n’est plus qu’un crâne vide d’où, de ses deux orbites énucléées baignés de ténèbres s’écoule le chagrin des anges qui n’ont pu arrêter l’hécatombe.
Cette terre n'est qu'une des salles de l'immense laboratoire universel où, les êtres vivants doivent apprendre à peaufiner leurs esprits et grandir leurs âmes car, nous ne sommes que des éclats d’étoile enfermés temporairement dans des corps de matière éphémère dont nous attendons la libération pour continuer notre chemin vers l’éternité.
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