Mourir pour des idées, d’accord...
La mort de Rémi Fraisse est ce qu'on pourrait appeler une aubaine pour les opposants au projet de barrage de Sivens, et de fait ce projet semble désormais dans l'ornière depuis cet événement. Remarquons que ce décès n'a rien à voir avec le fond de l'affaire comme pourrait l'être celui d'un ou d'une contaminé.e à l'amiante dans la lutte pour l'interdiction de l'usage de l'amiante. Il n'amène pas une preuve décisive du bien fondé de la lutte. C'est donc véritablement une mort pour rien, puisque le dossier de ce barrage, avec ou sans mort, est manifestement - nous en avons des détails supplémentaires tous les jours – un dossier bancal, comme les bureaucraties politiques anti-démocratiques en produisent désormais à tour de bras. Nous pourrions détailler le terme bancal dans ce contexte, comme dans celui de tous ces grands projets inutiles et imposés - Aéroport Notre Dame des Landes, Ligne TGV Lyon-Turin, Stade de football à Lyon, ligne THT Lille-Arras, Centrale à gaz de Landivisiau, etc. - , mais nous finirions probablement en eaux troubles, et notre dégoût de ce dégât humain, la mort de Rémi, nous suffit à ce stade. Une mort pour rien donc, et nécessaire cependant, tel un sacrifice humain, venant mettre un terme à la démesure de ces événements guerriers. Une civilisation rationnelle, paraît-il ?
Nos microscopiques personnages politiques se sont fendus de quelques déclarations comme il est d'usage dans leur métier - enfin ce qu'il considère être un métier - . Le personnage local aurait eu de l'esprit à reprendre la formule de Brassens « Mourir pour des idées, d'accord, mais de mort lente ». Mais puisqu'il n'en est pas doté, il s'est finalement vautré dans le ridicule en exposant sa pensée marchandise, celle qui en creux magnifie le confort et la servitude pour l'obtention de fétiches machino-facturés. Il rejoint la grande famille des individus d'élévation égale à zéro, auprès de Séguela et son « Quand on n'a pas de Rolex à 50 ans, c'est qu'on a raté sa vie », famille nombreuse depuis fort longtemps. C'est bien ainsi car notre monde repose sur la biodiversité. Ce qui pose problème en revanche, c'est que notre société accepte de sélectionner à des fonctions dirigeantes des personnes d'infinie médiocrité. Soit nous avons les meilleurs, ce qui est impossible, soit nous gérons nos affaires nous-mêmes pour être bien mieux servis, ce que chacun sait.
Et puis il y a le non-moins microscopique premier personnage du gouvernement, qui s'insurge contre l'instrumentalisation de cette mort. Il me semble que cela fait partie des standards du pitoyable spectacle politique qu'il s'empresserait d'honorer en cas de besoin. Le plus grave, c'est le retournement qu'il opère sur l'origine de la violence, sur ces casseurs - dont on sait maintenant qu'ils sont nombreux à provenir de la police – qui mettent en danger la république. La violence, c'est lui et toute sa caste qui la porte, à chaque instant, en déployant sans en demander l'avis à qui que ce soit, sa politique de dévastation sociale et écologique. Assurément, le (faux) métier de personnage politique n'est pour le moment pas assez risqué, sans quoi une telle effronterie ne serait pas permise. Nous pourvoirons à certains découragements pour ce type d'individus dans notre prochaine constitution.
Quant à notre miniature policier en chef, il a parfaitement raison de refuser de caractériser cet événement de bavure. Il n'y a en effet pas eu de dérapage d'aucune sorte, une conséquence inattendue peut-être - inconcevable, certainement pas -. Il n'y a eu que la mise en œuvre d'armes de quasi-guerre contre des gens beaucoup moins bien équipés et forcés au combat, par la négation même de leur existence et de la voix qu'ils portent d'une population réfractaire sans cesse grandissante. Il y a eu plein développement de la (pseudo) démocratie en rapprochement constant vers le totalitarisme.
Notons par ailleurs que le monopole de la violence que possède l'état, le contrat entre lui et le peuple par lequel il échange ce monopole contre une garantie de protection devient caduc dès lors que sa protection fait défaut ou qu'il use de cette force contre tout ou partie du peuple en vue de poursuivre ses intérêts propres.
Tout ceci en digression introductive de ce qui m'importe en fait, la façon dont les forces résistantes se comportent dans leur communication. Je ne parle pas de techniques mais du sous-jacent philosophique.
Que proposent les dizaines de communiqués, articles et autres billets de blogs ? Démission !
Certains sont gagne-petits en réclamant une tête. D'autres sont plus audacieux avec deux, voire trois têtes, mais s’arrêtant curieusement dans l'ordre hiérarchique avant le premier ministre et le président, comme si ce qui s'était passé à Sivens ne matérialisait pas la politique relationnelle qu'entendait mener ce pouvoir vis à vis de ses sujets, une politique de dominant à dominé, sans aucune espèce de démocratie. Sont donc responsables au premier chef les deux précités et le non tel élu, le chef de celui qui tient le fusil, voire celui qui tient le fusil.
Que quelqu'un me dise qu'elle espèce de conséquence politique peut bien avoir une démission de tous ces personnages faussement rendus responsables. Je le crains aucune. Ils sont tous rapidement remplaçables par nomination ou élection, par des centaines d'individus du même type, mobilisables à bref délai dans ce but. Robots servants d'un système politique qui les dépassent, ils se mettront à la tâche sans délai, pour finir d'exécuter ce que le système veut. J'y reviendrai.
Il y a tout de même une conséquence fâcheuse qui désert la cause des pétitionnaires et plus généralement de tous ceux qui ont à redire sur le monde tel qu'il va. L'outil démission, premier outil de défense - facile à mettre en œuvre, peu coûteux et très efficace politiquement - d'un pouvoir localement en difficulté, est ici proposé par ses opposants. Ce qui revient me semble-t-il à aider le pouvoir à s'en sortir le mieux possible en lui rappelant la voie la plus aisée au cas où il l'aurait oubliée. Puissante opposition n'est-ce pas ? Si le pouvoir l'use sans retenue chaque fois que nécessaire, c'est pour son massif effet démobilisateur : « On a trouvé le coupable, il est puni tout de suite, et sera repuni le cas échéant. L'affaire est désormais terminée et mille excuses encore pour les désagréments. Vous pouvez désormais vaquer à vos occupations ». Voilà ce que disent les opposants au peuple qui voudrait de plus en plus souvent en découdre. Je crains que ce ne soit pas le bon moyen de mobiliser les citoyens car précisément c'est un outil de démobilisation, de renvoi dans ses foyers.
Ce vide revendicatif est proprement désespérant, voire terrifiant si l'on compare les moyens des puissances dominantes et celles du monde résistant à ces puissances. Quel espoir nous est permis si notre projet est vide et se résume à exiger ici ou là quelques démissions quand les bornes ont été dépassées.
La où nous sommes rendus, il n'y pas trente six projets. Il y a celui de changer de régime politique, pas de le toiletter en changeant de numéro de république, même assorti de nombreuses réformes décoratives, mais bien de le changer. Du complètement neuf, comme le fût en son temps la révolution française.
Et pourquoi le faire ? Parce que les problèmes que nous connaissons et qui vont s'accumulant n'ont d'autre source que le pouvoir dirigeant au sens large, les « élites » économiques et politiques, comme ce fut le cas depuis la nuit des temps. Elles organisent le monde selon leur vision – convenons que l'élection est de l'ordre du hochet de nourrisson -, une utopie libérale extrémiste, en réalité une dystopie de destruction généralisée, où l'humain n'est qu'outil de production/consommation ou rebut. La société hiérarchique – et les institutions de la république française n'en sont qu'une déclinaison -, celle qui nous dit que certains sont meilleurs que d'autres par nature, ce qui justifie leur domination au besoin par la force, n'est pas une fatalité. Elle est la construction intéressée de certains, des par hasard un jour puissants et qui voulurent le rester. Tout ce qui a été construit peut-être déconstruit.
Voilà ce que doit contenir la littérature militante publiée dans les divers média, au minimum à l'occasion d’événements majeurs comme ce récent décès. Ne plus parler au pouvoir en lui faisant les gros yeux pour lui demander ceci ou cela, et surtout pas de ridicules démissions. Ne plus parler qu'aux citoyens, pour les inviter à une nouvelle révolution, pour un autre monde crée et organisé par eux-mêmes. Oui notre abondance matérielle ne nous pousse pas à l'agitation, mais cette idée d'un monde à démanteler doit cheminer, être petit à petit absorbée, en répétant cet appel autant que de besoin. Gageons que l’appauvrissement généralisée et la prise de conscience du désastre écologique en cours viendront dans quelques temps soutenir une idée mûre.
A condition que l'idée soit énoncée !
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