Moyen-Orient : ce que cache le recours des Américains à la tactique de l’escalade
Analyse des raisons qui ont poussé l'Etat profond américain à opter pour la tactique de l'escalade au Moyen-Orient.
Dans un article intitulé « les sources de la puissance américaine », adressé au Foreign Affairs Magazine à la fin septembre 2023, le Conseiller à la sécurité américaine, Jake Sullivan, se targuait du fait que les Etats-Unis étaient parvenus à réduire considérablement leurs engagements militaires et les risques d’escalade au Moyen-Orient, y compris à Gaza, au profit d’une nouvelle approche d’incitation à l’intégration géoéconomique d’Israël avec ses voisins arabes. Tout en veillant à préserver la défense des intérêts américains dans cette région, cette approche devait, selon lui, permettre aux Etats-Unis de préparer une nouvelle ère, celle de la dissuasion et de la réponse aux agressions des grandes puissances, sous d’autres cieux, à leur tête la Russie et la Chine. L’auteur a ensuite tenté, en vain, de retirer cet article du circuit de la publication au lendemain des attaques du 7 octobre, avant de voir sa demande de mise à jour restreinte à la seule possibilité de supprimer certains passages du texte initial !
Dix mois plus tard, force est de constater la perte inédite par les Etats-Unis de leur forces de dissuasion dans la région, que ce soit face aux Ansarullah Yéménites, à la résistance islamique en Irak et en Syrie et, surtout, face au Hezbollah libanais.
Ayant acquis la certitude que leur première base avancée à l’Etranger qu’est Israël est en train de s’enliser militairement et stratégiquement à Gaza et craignant des conséquences trop couteuses et dangereuses pour leurs propres intérêts d’un embrasement généralisé qui impliquerait l’Iran, les Etats-Unis se sont résolus récemment à se sortir de cet état d’impuissance en jouant à la tactique de l’escalade. Cette dernière a pour objectifs non seulement de gagner du temps, en cette période préélectorale, et d’améliorer à terme les conditions des négociations mais surtout la dissuasion de toute atteinte aux intérêts américains, à travers notamment l’imposition du maintien des forces US en Syrie et en Irak, tout en continuant, coûte que coûte, à financer et à armer Israël dans son entreprise macabre en cours à Gaza et à le couvrir sur les plans politique, judiciaire et militaire !
L’analyse de la succession d’évènements survenus depuis la visite de Benjamin Netanyahu à Washington - du 22 au 28 juillet - fait ressortir, en effet, que l’Etat profond états-unien semble avoir opté pour le scénario de l’escalade bien avant cette visite. L’enclenchement de cette tactique s’est déroulé ensuite en quatre temps. D’abord, l’annonce du retrait de Biden de la course à la Maison Blanche, dès le 21 juillet, pour laisser le Président sortant se consacrer désormais à la gestion de l’escalade en projet, qui risque donc de durer au moins jusqu’au 20 janvier 2025, date d’investiture officielle du futur 47ème président US. Cet enclenchement a été également précédé par une déclaration remarquée de Vladimir Poutine devant des journalistes, le 24 juillet (avant le discours controversé de Netanyahu au Congrès !), dans laquelle il a évoqué une situation qui tend à s’aggraver au Moyen-Orient, en présence du président syrien venu en visite inopinée à Moscou ! C’est dire que si les Etats-Unis tiennent à garder leurs forces en Syrie et en Irak pour protéger leurs intérêts dans la région et envisagent le scénario de l’escalade qui pourrait viser la Syrie en premier, la Russie considère justement sa présence en Syrie et son alliance avec l’Iran comme faisant partie intégrante de la protection de ses intérêts vitaux, non seulement dans la région mais pour contrer les risques qu’elle encourt dans sa guerre contre l’Otan, en Ukraine !
Il fallait ensuite trouver un "false flag", pour justifier aux yeux de l’opinion publique ce changement tactique de la position américaine et enclencher l’escalade, celui de l’attaque très suspecte survenue le 27 juillet à Majdal Shems, localité du Golan syrien annexé par Israël, vite imputée par Israël au Hezbollah, qui a pourtant nié toute implication ! L’administration US a ensuite fait valoir le droit d’Israël de se défendre sans la présentation par ce dernier de la moindre preuve, ne serait-ce que l’exposition in situ et à chaud - et non par images interposées de Tsahal – de la roquette mise en cause, que les services israéliens ont vite retirée de la scène du crime avant même que les parents des enfants victimes n’arrivent sur place !
En riposte à cette attaque, Israël a sorti des placards de ses Renseignements le dossier du chef militaire du Hezbollah, Fouad Choukr, et a procédé à son assassinat dès le 30 juillet dans la banlieue sud de Beyrouth. Quelques heures plus tard (le 31 juillet), c’était autour du chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh, d’être assassiné à Téhéran. Outre la déstabilisation de la nouvelle présidence iranienne, l’assassinat de Haniyeh au cœur de la capitale iranienne, non revendiqué jusqu’ici par Israël mais probablement décidé en coordination avec les américains, semble avoir pour but initial son remplacement par une personnalité, établie hors de Gaza, plus malléable et qui pourrait accepter les conditions américano-israéliennes et tenir tête lors des négociations à l’aile dure du Hamas, représentée par l’homme fort de Gaza, Yahya Sinwar. La réponse du Hamas ne s’est pas fait attendre en élisant ce dernier à l’unanimité, dès le 6 août, comme nouveau dirigeant politique du mouvement.
Le quatrième temps de l’enclenchement de l’escalade a consisté pour les américains à remettre leur casquette de médiateur pour inviter, dans un communiqué cosigné par l’Egypte et le Qatar et diffusé le 8 août, Israël et le Hamas à une reprise des discussions ! Ce nouveau feuilleton de discussions a plusieurs objectifs pour les américains ; d’abord gagner du temps en cette période préélectorale en miroitant à l’opinion publique des divergences de détails et l’approche d’une issue négociée, ce qui permet au passage de retarder le plus possible la riposte iranienne et celle du Hezbollah contre Israël tout en dépêchant portes avions et navires de guerre américains pour prévenir toutes nouvelles frappes iraniennes contre l’Etat hébreux. Il s’agit ensuite de mettre la pression sur les négociateurs du Hamas tout en continuant à torpiller en coulisses toute possibilité d’aboutissement des négociations qui ne répondraient pas aux conditions américano-israéliennes.
En optant pour le scénario de l’escalade, les américains essaient en fait de compenser la perte manifeste de leurs forces de dissuasion dans la région, depuis le 8 octobre, tout en veillant à empêcher tout embrasement qui nuirait à leurs intérêts, mais aussi en tablant sur l’exploitation de l’aggravation de la situation humanitaire à Gaza comme moyen d’usure pour imposer un déblocage de la situation, qui ne remettrait pas en cause ces intérêts et garantirait notamment le maintien de leur présence en Irak et en Syrie.
Cette analyse est corroborée par cette déclaration du secrétaire d’Etat américain, en visite au Caire ce 20 août, rapportée par certains médias et analystes arabes : « Je voudrais dire au Hamas que s’il se préoccupe vraiment du sort des palestiniens, il devrait accepter cet [notre proposition d’] accord et s’engager dans son exécution, car c’est le plus court chemin pour réduire les souffrances atroces des palestiniens » ! Par cette déclaration, M. Blinken confirme implicitement que les Etats-Unis sont actuellement bien plus proches de la fin de leur hégémonie au Moyen-Orient que de la pacification de cette zone et l’entrée dans la nouvelle ère de dissuasion et de réponse aux agressions de la Russie et de la Chine, qu’appelait de ses vœux l’administration Biden, avant le 7 octobre, à travers l’article précité de Jake Sullivan ! En effet, comment interpréter cette déclaration autrement que par le fait que M. Blinken admet implicitement que les Etats-Unis comptent continuer à appuyer et couvrir les crimes d’Israël contre la population de Gaza et à torpiller toute issue qui ne respecte pas leurs conditions ? Cela revient en fait à avertir les enfants et les femmes de Gaza que ces crimes se poursuivront si le Hamas, classé organisation terroriste par les Etats-Unis, n’accepte pas de se soumettre aux conditions américano-israéliennes ! Tenir de tels propos et recourir à de tels crimes à des fins politiques, n’est-ce pas cela la définition même du terrorisme ?
Il semble ainsi que la guerre en cours contre la population de Gaza durera malheureusement plusieurs longs mois encore et que les forces de résistance ou de soutien à Gaza n’auront d’autres alternatives que de provoquer un début d’effondrement de Tsahal sur le terrain, sur les plans humain et moral, pour espérer aboutir à un accord acceptable ou un à un retrait sans conditions, comme ce fut le cas au sud Liban en 2000 et à Gaza en 2005.
En attendant, c’est à la Chine et à la Russie que semble profiter le plus, cet imprévisible et dangereux retour des Etats-Unis à la case départ au Moyen-Orient, qu’est le vieux conflit israélo-palestinien ! Après tant d’échecs militaire et stratégique des interventions américaines - directes ou par proxys interposés - dans cette région, que ce soit en Afghanistan, en Irak, au Liban, en Syrie et au Yémen, et l’enterrement des accords de paix israélo-palestiniens d’Oslo, la guerre américano-israélienne contre la population de Gaza finira-t-elle par sonner le glas de l’hégémonie américaine dans cette région ? Ou leur permettra-t-elle une nième fuite en avant ?
Le 25 août 2024,
Abourina.
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