Mutinerie aux Baumettes 1987
1987 – Une mutinerie aux Baumettes
Actuellement les mutineries de Blois, Bourg en Bresse et Châteaudun, font que le texte qui suit est toujours d’actualité. Tous cela sans aucun résultats et aucune avancée sur la nouvelle réforme pénitentiaire de Mme Taubira.
C’est ainsi que j’ai vécu la grande mutinerie de 1987 aux Baumettes : les émeutes de la honte. Je n’étais encore que simple surveillant.
Ils étaient apparus, masqués et grimés sur les toits fumants des Baumettes. Ils réclamaient plus de parloirs, des meilleures conditions de détention, plus de liberté. Après qu'ils ont crû triompher, le retour de bâton fut terrible.
L'ambiance était électrique...
Lorsque je suis rentré dans les coursives encore fumantes du bâtiment A, c'était comme après un bombardement. Ça sentait le brûlé partout, une odeur âcre nous prenait à la gorge. Devant nos yeux un spectacle de désolation, des fumerolles s'élevaient un peu de partout.
A l'intérieur, les portes étaient arrachées, renversées, les grilles étaient tordues comme de simples bouts de fer. La rage semblait avoir multiplié leurs forces : il ne restait plus rien debout. La vision du désastre me serra le cœur. Un profond malaise nous envahit de voir ainsi anéanti notre prison, une prison qui, de toute façon, devait continuer à fonctionner.
L'ambiance était électrique, mélange de révolte, d'un côté et de revanche de l'autre. Les détenus venaient d'avoir eu leur heure de gloire, s'affichant à toutes les éditions des journaux télévisés, sur les grandes chaînes nationales.
Et puis, une charge de CRS les a matés.
Après la reddition, les détenus furent entassés à neuf ou dix par cellule, dans les cellules encore utilisables.
Le malheur dans cette révolte, ce furent tous les actes incontrôlables. Dans le déchaînement de violence, ils avaient tout cassé, y compris le matériel qui devait faciliter leur détention. Ils ont mis le feu à la comptabilité des cantines, se privant ainsi pour plusieurs jours de la distribution du précieux tabac et de tout le reste. Maintenant ils se retrouvaient dans un chaos pire qu'auparavant.
Il fallut plusieurs mois à l'Administration pénitentiaire pour tout remettre en route. Et puis, petit à petit, le cours de la vie carcérale a repris le dessus, mais toujours dans nos têtes, l'idée d'un 'avant' et d'un 'après'. Les blessures de part et d'autre ont eu du mal à se refermer.
Alignés, nus, nous les avons fouillés
Des CRS avec des chiens nous accompagnaient. Nous avons fait descendre tous les détenus pour les fouiller. Je me souviens de ce berger allemand lâché par un CRS sur un détenu qui ne courait pas assez vite , il fallait qu’il suivent les autres détenus qui descendaient vite les escaliers et les coursives et lui se trainait.. Le chien lui broya la jambe sous les encouragements du personnel : "Bouffe-moi cette merde". Propos immonde de la part d’un surveillant.
Je me souviens que nous l'avons amené jusqu'à l'infirmerie. Le type. Il criait et tremblait.
'Ils étaient des milliers nus et maigres tremblant...' J. Ferrat
Au rez-de-chaussée, les mutins étaient alignés par 10 ou 15. Nous avions ordre d'effectuer une fouille au corps. Et s'ils ne se déshabillaient pas assez vite les CRS étaient là, prêts à lâcher leurs chiens.
Ils ont dû écarter les jambes. Nus, à poil, ils offraient à notre vue toute leur intimité. Et s'ils ne se pliaient pas assez vite, c'est des coups de bâtons qu'ils se prenaient, y compris des coups sur le sexe...
Nous les mettions à poil, à poil pour les humilier. Il fallait leur montrer qu'ils n'avaient plus intérêt à se révolter.
C'était comme une vengeance mais officiellement, c'était pour des raisons de sécurité
Nous avons ensuite reçu l'ordre de fouiller toutes les cellules, et de jeter tout ce qui était 'inutile'... L'inutile, c'est-à-dire l'essentiel pour les détenus : beaucoup de leurs objets personnels.
Ainsi à la désolation de mutins, nous rajoutions le nôtre. Nous avons dévasté les cellules par des fouilles approfondies qui ne leur laissaient presque rien.
C'était comme une vengeance : " Puisque vous avez voulu vous révolter, on va vous montrer, on va vous mater...". Dans ces moments là j'étais spectateur. Mon corps était là, j’enlevais le minimum, mais mon esprit ne pouvait pas cautionner ces actes que nous faisions, on se mettait à la hauteur des plus vils malfrats. Alignement de détenus nu me rappelait trop les horreurs d’un autre temps et de mes origines. J’étais là mais je ne participais pas. J’étais le spectateur privilégié, mais honteux, sur la scène des dérives de l’administration.
A quoi ça sert de se révolter ?
Je suis resté avec une impression amère après ces événements. Trop d'exactions et de saccages d'un côté, trop d'actes indignes de la part des forces de l'ordre et du personnel pénitentiaire ont été commis...
Après, ce fut la reprise en main de tous ces 'voyous'. Dans les jours qui ont suivi, le trop-plein de frustration trop souvent retenue, trop longtemps retenue s'est déversé. Certains de mes collègues ont sérieusement 'dérapé'... Tabassages à tort et à travers de certains détenus pour des fautes bénignes...
Aujourd'hui, en cet été 2013 où des mutineries ont lieu dans différente prison, je m'interroge. A quoi servent ces révoltes. Elles continuent, elles sont réprimées avec autant de force, les détenus perdent plus qu’ils ne gagnent.
Bien sûr, il y aura quelques entrefilets dans les journaux, une brève info au vingt heures à la télé un passage dans le quotidien « La Provence ». De toute façon, tous ces mouvements seront matés et les détenus se retrouveront encore plus brimés. Souvent ensuite, ils seront transférés dans d'autres centres pénitentiaires, pour éviter les contagions.
Alors, à quoi ça sert de se révolter ?
A FAIRE LA UNE DU 20H DE TF1 ET FRANCE 2. Ensuite il y a plus de désagréments que d’avantages.
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