Mythologie des Jeux Olympiques : la mystification Coubertin
Ah, la flamme olympique, ce symbole par excellence des olympiades ! Elle brille à nouveau de tout son antique feu, depuis cette grandiose cérémonie d’ouverture devant laquelle la planète entière vient de s’extasier, dans le ciel de Londres. La fête sportive, et accessoirement son cirque commercial, peut donc y battre son plein.
Sauf que, à bien y réfléchir, et le devoir de mémoire aidant, il y a peut-être quelque raison de se montrer moins réjoui à la vue de cette fameuse flamme, dont l’idée de la transporter, à traves une course relais, depuis Olympie, berceau des jeux antiques, jusqu’au stade où à traditionnellement lieu ladite cérémonie, événement majeur sur le plan médiatique, germa en réalité dans le cerveau d’un dignitaire nazi, Carl Diem. Il finit par l’appliquer concrètement, pour la première fois, lors des tristement célèbres Jeux Olympiques de Berlin, en 1936, pour lesquels il fut nommé, par le Ministre des Sports du Troisième Reich (Hans von Tschammer und Osten, qui ne faisait rien sans l’approbation de Goebbels, Ministre de la Propagande), Secrétaire Général du Comité Organisateur.
Comme quoi idéal olympique et rêve nazi ont parfois fait bon ménage, aussi abominable fût-il, au cours de l’Histoire !
HITLER AUX JEUX OLYMPIQUES
Rien d’étonnant à cela lorsque l’on sait que c’est le Comité International Olympique lui-même - dont Pierre de Coubertin, père de l’olympisme moderne, était le président d’honneur - qui confia à la République de Weimar, dès 1931, les Jeux de Berlin, qu’inaugura, nimbé de l’antisémitisme ambiant, le Chancelier d’Allemagne : Hitler, futur commanditaire, en plus de mettre l’Europe à feu et à sang, du plus gigantesque crime, avec la Shoah, au sein des annales de l’(in)humanité.
Hitler, Coubertin, Diem : un sacré podium ; un trio d’enfer ; un record légendaire, probablement imbattable !
Qu’à cela ne tienne : l’antisémitisme, pour ce Coubertin qui admirait Hitler et que vénérait Maurras, directeur de la très pétainiste « Action Française », repère des pires collabos, ne devait être, comme pour les très enthousiastes disciples du fascisme triomphant, qu’un « détail de l’histoire ». Qu’on en juge par ces funestes déclarations : « Je veux remercier le gouvernement et le peuple allemands pour l’effort dépensé en l’honneur de la onzième Olympiade »1, affirma Coubertin lors d’un entretien accordé à la radio allemande. Et d’ajouter, lors de son discours de clôture de ces Jeux de 1936 : « Que le peuple allemand et son chef soient remerciés pour ce qu’ils viennent d’accomplir. »2
Quant à ceux qui, embarrassés par ce genre de propos, lui demandaient s’il ne nourrissait pas quelques scrupules à soutenir pareil régime, ils n’obtenaient, en guise de réponse, que ce type d’ineptie : « Comment voudriez-vous que je répudie la célébration de la onzième Olympiade, puisque (…) cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement qu’elles ont connu ? »3
C’est dire, à la lecture de ces graves dérives idéologiques, si Jean-Marie Brohm a raison de citer, dans la préface, intitulée « Les jeux de la croix gammée », de son très critique mais excellent essai consacré aux jeux olympiques de 1936 à Berlin, cette éclairante quoique tragique phrase de l’un des grands philosophes de la première moitié du XXe siècle, Walter Benjamin : « Les jeux olympiques sont réactionnaires »4.
Oui : à ce point réactionnaires, du moins en ces infâmes années-là, qu’Adolf Hitler, comble de l’absurdité tout autant que de l’iniquité, finit par proposer Pierre de Coubertin comme lauréat du prix Nobel de la paix : ce que la prestigieuse Académie de Stockholm, pourtant très conservatrice à l’époque, refusa à juste raison.
D’autant que Coubertin, pour couronner le tout, considérait le sport comme le meilleur moyen de préparer la jeunesse à la guerre : « Le jeune sportsman se sent évidemment mieux préparer à ‘partir’ (à la guerre) que ne le furent ses aînés. Et quand on est préparé à quelque chose, on le fait plus volontiers. »5, alla-t-il jusqu’à avancer !
UNE MYSTIQUE DEVENUE MYSTIFICATION
Cet accablant mais étroit rapport entre les débuts de l’olympisme moderne, sous l’ère Coubertin, et le fascisme de la première moitié du XXe siècle (dans les années 30 en particulier), Daphné Bolz l’a très bien analysé dans une thèse de doctorat, publiée en 2008 aux éditions du CNRS, portant l’édifiant titre de « Les arènes totalitaires : Hitler, Mussolini et les jeux du stade ».
Ce qu’elle y soutient, en substance ? Que l’architecture sportive du Comité International Olympique de ce temps-là était tout entière vouée à l’édification de l’idéologie dominante sur le plan politique : la fascisme, précisément, dont la clé de voûte n’était autre, à travers la célébration du sport, que cet « homme nouveau », préfiguration de l’ « aryen », auquel rêvaient, dans leur délire de pureté, les adeptes du pseudo eugénisme scientifique et autres odieuses théories raciales, au premier rang desquels émergeait alors, en France, le docteur Alexis Carell, prix Nobel de médecine en 1912 (sic) et membre de l’Académie pontificale des Sciences (re-sic) !
Oui : aussi sidérant cela puisse-t-il paraître aujourd’hui pour ceux qui croient encore très sincèrement à l’humanisme de Pierre de Coubertin, le langage de ce dernier ne s’écartait guère, à l’époque, de celui d’Alexis Carell, auteur d’un essai, aussi philosophiquement médiocre qu’idéologiquement dangereux, intitulé « L’homme, cet inconnu » (1935) ou, plus encore, de Francis Galton, cousin de Charles Darwin, dont le lecture, en 1850, de son « Origine des espèces » le conduisit à devenir le théoricien de l’eugénisme, qu’on appelait alors aussi la « viriculture ». En d’autres termes : la culture de la virilité (du mot « vir », signifiant, en latin, l’ « homme »), pratique médicale conçue sur le modèle de l’élevage sélectif des animaux !
La pensée de Coubertin, donc ? Une mystique de droite, et même d’extrême droite, passée honteusement, depuis plus d’un siècle, sous silence : son humanisme de façade n’est en fait, conformément à toute mystique fasciste, qu’une divinisation de l’homme !
C’est peu dire, en ces conditions, si ce prétendu universalisme du père des olympiades modernes s’avère en réalité, via ce culte de la force physique, l’une des plus grandes mystifications de l’histoire moderne et contemporaine !
Davantage : si les écrivains (Drieu, Brasillach, Jouhandeau, Chardonne…) qui firent l’impardonnable voyage de Weimar, en octobre 1941, à l’invitation de Goebbels, sont encore voués aux gémonies par la plupart des intellectuels d’aujourd’hui, Pierre de Coubertin, lui, est toujours porté aux nues, grâce à on ne sait quelle immunité, par le monde du sport. Ainsi, pas plus tard que ce vendredi 27 juillet 2012, l’actuel président du CIO, Jacques Rogge, en loua-t-il encore, lors de son discours d’ouverture, l’esprit de fraternité, de liberté et de tolérance.
Autant dire que d’aucuns, face à cette aberration persistante, établiront là un lien, peut-être non sans fondement, avec le récent refus, de la part du CIO, de respecter un minute de silence en mémoire des onze athlètes israéliens assassinés par des terroristes palestiniens, il y a quarante ans, en 1972, lors de JO de Munich !
PIERRE DE COUBERTIN : MEDAILLE D’OR DU RACISME
La tentation du national-socialisme selon Coubertin ne s’arrête cependant pas là. Car ce fervent partisan du colonialisme, sinon de l’esclavagisme, se révèle aussi, pour qui prend la peine de lire ses œuvres, un ignoble raciste.
Il se vante même, dans ses « Mémoires » (1936), d’être « un colonial fanatique »6. De là à faire du sport un très utile moyen de soumission tout autant que d’embrigadement, un efficace instrument d’ordre tout autant que de discipline, à l’égard des indigènes, il n’y avait qu’un pas, que le premier président du CIO franchit allègrement, ainsi que l’indique son très explicite « projet de colonisation sportive » : « Les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance »7, y proclame, de manière tout aussi éhontée, ce grand philanthrope de Coubertin.
Pis, dans sa très martiale « Education anglaise », il ne craint pas d’affirmer, au faîte de son ambition eugéniste : « Il y a deux races distinctes : celle au regard franc, aux muscles forts, à la démarche assurée, et celle des maladifs, à la mine résignée et humble, à l’air vaincu. Eh ! bien, c’est dans les collèges comme dans le monde : les faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation n’est appréciable qu’aux forts. »8 Diantre : même le très inquiétant docteur Carell, qui s’inspira pourtant de certains des écrits de l’idéologue de l’olympisme, n’osa proférer pareils mots, ni soutenir semblable thèse !
Mais peu importe, Pierre de Coubertin finira, malgré ces propos dont on ne sait si c’est l’indignité ou l’abjection qui est le plus à blâmer, par avoir même un stade, à Paris, portant son nom : c’est dire si sa gloire, par la plus incompréhensible des amnésies, est encore intacte de nos jours !
UNE SCANDALEUSE MISOGYNIE
Et puis, comble de l’ignominie, il y eut, non moins terrifiante, sa vision de la femme, qu’il s’appliqua à exclure systématiquement, tant qu’il en eut le pouvoir, de toute participation aux jeux olympiques. A titre d’exemple, ce sommet, inqualifiable, de misogynie : « Les olympiades femelles sont inintéressantes, inesthétiques et incorrectes. Aux Jeux olympiques, leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs. »9
Les bras, certes, nous en tombent. Et, pourtant, c’est cet individu, peu reluisant à bien des égards, tant au niveau politique et moral qu’à l’échelon social ou philosophique, dont Jacques Rogge brossait encore, il y a quelques jours à peine, devant les caméras du monde entier, le dithyrambique portrait.
Rien de surprenant donc, à la lecture de pareille forfaiture, si le CIO ne pipa jamais mot, ni n’émit la moindre critique, quant à l’exclusion des femmes, décrétée par la plupart des théocraties musulmanes, des JO.
Ce n’est que dernièrement, à l’occasion de cette trentième olympiade de Londres, que des pays tels que l’Arabie Saoudite et le Brunei les autorisèrent à concourir. Et encore, avec le voile islamique et flanquées, jour et nuit, d’un garde masculin !
Mais voilà, Jacques Rogge, président d’un CIO qui n’en est certes plus à une compromission ni une imposture près, osa encore déclarer sans vergogne, lors de son discours d’ouverture, que c’était là, cette avancée de la condition féminine au sein des monarchies pétrolières (dont le Qatar, qui ambitionne d’organiser les JO de 2024), un indéniable progrès quant à l’égalité entre les sexes.
L’indécence, désormais séculaire, du Comité International Olympique n’a décidément pas de limites : elle fait même place à présent, au mépris des valeurs édictées par sa propre charte, à la charia, cet obscur alibi religieux grâce auquel les pires machistes bâillonnent, sous cette prison ambulante qu’ils nomment « burka » ou « niqab », leurs femmes. Scandaleux !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, auteur de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas » (PUF), porte-parole du Comité International contre la Peine de Mort et la Lapidation (« One Law For All »), dont le siège est à Londres, et membre du Comité de Soutien « Jeux Olympiques de Londres 2012 - Justice pour les Femmes », dont le siège est à Paris.
1 Mathieu Méranville, « Sport, malédiction des noirs ? », Paris, Calmann-Lévy, 2007.
2 Michel Caillat, « Le Sport », Paris, Ed. Le Cavalier Bleu, 2008.
3 Jean-Marie Brohm, « Le Mythe olympique », Paris, Christian Bourgois, 1981.
4 Walter Benjamin, « Ecrits français », Paris, Gallimard, 1991, p. 175.
5 Daniel Bermond, « Pierre de Coubertin », Paris, Perrin, 2008.
6 Pierre de Coubertin, « Mémoires », Lausanne, Archives du CIO, 1936.
7 Y.P. Boulogne, « La vie et l’œuvre pédagogique de Pierre de Coubertin », Ottawa, Leméac, 1975.
8 Pierre de Coubertin, « L’Education anglaise », in « Pierre de Coubertin, le seigneur des anneaux – Aux fondements de l’olympisme » de Jean-Marie Brohm, Paris, Homnisphères, 2008.
9 Mathieu Méranville, « Sport, malédiction des noirs ? », op. cit.
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