N’est-il pas inopportun de vouloir modifier le mode de scrutin législatif actuel ?
Bien qu'il affirme n'avoir « aucune envie » de se « disputer » avec le président de la République, pour le mode de scrutin législatif, François Bayrou déclare « Quand on a pris un engagement et qu'on est sur un sujet essentiel, je suis pour que les responsables tiennent leur engagement ». Il souhaite ainsi que soit introduit la proportionnelle pour l’élection des députés.
Pour rappel : Actuellement, les 577 députés qui composent l'Assemblée nationale sont élus au suffrage direct, selon le scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans chaque circonscription. Les circonscriptions sont déterminées par départements. Nul n'est élu au premier tour de scrutin s'il n'a réuni : la majorité absolue des suffrages exprimés, un nombre de suffrages égal au quart du nombre des électeurs inscrits. Au deuxième tour la majorité relative suffit. En cas d'égalité de suffrages, c’est le plus âgé des candidats est élu.
Entre la pandémie du Covid-19 et la date des prochaines élections législative, réclamer une réforme du mode de scrutin aux élections législatives semble pour le moins inopportun
Faut-il rappeler que les prochaines élections législatives, qui interviendront après l’élection présidentielle, auront lieu dans moins d’un an et demi. Lorsque François Bayrou exige auprès d’Emmanuel Macron que l’engagement d’introduire la proportionnelle pour l’élection des députés soit respecté, suggérant même un référendum préalable sur cette question, se rend-il compte que le calendrier électoral est déjà bien rempli, entre les élections régionales et départementales prévues en Juin 2021 et les présidentielles suivies des législatives au premier semestre 2022.
Pour justifier sa demande, Selon lui, il existe en effet un cruel manque de représentativité à l'Assemblée nationale, qu'il juge intrinsèquement lié au mode de scrutin des législatives (majoritaire à deux tours). En témoigne la présence quasi-anecdotique du Rassemblement national sur les bancs du Palais Bourbon. « Marine Le Pen, elle a été au deuxième tour de la présidentielle de 2017. Elle a fait 35% des voix. Et elle est revenue un mois après avec six députés ! Un pour cent des sièges ! », s'est-il étranglé, avant de rajouter : « Je pense que ça a joué un très grand rôle dans l'apparition du mouvement des « gilets jaunes ».
Certes, il y a bien eu des promesses de campagne électorale en 2017 pour introduire, au moins une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif, mais depuis un an, la société Française, comme toutes les autres dans le monde, doit faire face à une pandémie qui ne pouvait être prévue à ce moment là. Vouloir engager un débat parlementaire maintenant sur cette question semble pour le moins inapproprié.
Si le mode de scrutin majoritaire à deux tours présente bien les défauts évoqués par François Bayrou, une introduction de la proportionnelle palliera-t-elle à ces inconvénients ?
Le mode de scrutin uninominal à deux tours par circonscription territoriale pour la désignation des Députés a succédé au mode de scrutin proportionnel plurinominal qui avait été mis en place sous la 4e république par la loi des apparentements à partir du 7 mai 1951.
Le mode de scrutin uninominal à deux tours favorise une majorité parlementaire stable, mais, comme le souligne François Bayrou, il exclut les minorités et peut sous représenter certaines sensibilités politique, faute d’accord préalable avec d’autres, tel le RN. Il renforce aussi le « Bipartisme », l’un dominant au pouvoir et l’autre dominant dans l’opposition. Le quinquennat avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct qui précède l’élection de la nouvelle législature renforce par ailleurs le Bipartisme.
Aujourd’hui, Il fige surtout la vie politique Française autour de cette élection, pour laquelle, les partis politiques sont réduits à une fonction permanente « d’écurie Présidentielle ».
le mode de scrutin proportionnel (partiel ou total) est synonyme d’instabilité ministérielle et accorde une part trop importante aux petits partis
Il ne faut pas oublier que l’instabilité ministérielle caractéristique du régime d’assemblée de la IV e République était due en grande partie au mode de scrutin proportionnel d’apparentement. La durée pour certains gouvernements ne dépassait pas le seuil de quelques semaines, le gouvernement le plus long reste en place 16 mois (le Socialiste Guy MOLLET), mais beaucoup ne durent que cinq mois, un mois, six jours ou même un jour (Christian PINEAU en février 1955). De plus, il permettait à des petits partis charnières du centre, au gré de leurs alliances de circonstance, de faire ou défaire une majorité pour une raison ou une autre en censurant des gouvernements. Par exemple François Mitterrand (futur président de la république PS) avec son petit parti centriste l’UDSR (environ 2,5 % de l’électorat lui permit d’occuper souvent des postes ministériels régaliens (justice, intérieur) au gré des remaniements auxquels il contribuait.
Plutôt qu’une réforme de l’élection législative par la proportionnelle, ne peut-on pas imaginer une formule plus simple qui permette la représentation des minorités ?
Instaurer seulement une dose de proportionnelle pour la désignation des Députés, comme l’avait promis Emmanuel Macron, cela signifie mettre en place la proportionnelle pour l'élection de certains députés, mais pas des élus dans leur ensemble. Reste à savoir combien de députés seraient concernés, pour déterminer l'impact que pourrait avoir ce changement ?... On peut penser que cela ne concernerait que les grandes métropoles urbaines (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux…)
Maintenir le scrutin de circonscription territoriale, uninominal à deux tours actuel, en y introduisant un « correctif » pour permettre aux minorités d’être représentées. Mais alors, comment le définir ?
J’ai déjà eu l’occasion de rappeler qu’une réforme permettant la représentation légitime des minorités politiques à l’assemblée nationale, ainsi que de rééquilibrer les formations politiques dans le sens d’une meilleure justice électorale, sans pour autant bouleverser les équilibres institutionnels est possible. Pour éviter, comme sous la 4e République d’accorder un pouvoir démesuré à de petites formations politiques monnayant au prix fort leur alliance, cela pourrait se traduire, par exemple, par l’introduction d’un « correctif » qui se traduirait de la façon suivante :
A l’issue du premier tour de scrutin des élections législatives au scrutin uninominal à deux tours, tous les partis, ou groupements de candidats, qui auraient présenté ou agréé avant le premier tour 175 candidats répartis sur 30 départements ( ce qui correspond environ à 30 % du nombre de députés, ainsi que des départements) et obtenu au premier tour, entre 300 000 et 500 000 voix se verrait attribuer 2 sièges de Députés, plus un par tranche ou fraction de tranche de 250 000 voix. Afin de ne pas sur représenter les formations politiques, petites ou grandes, à l’issue du second tour, les partis, ou les groupements de candidats qui auraient obtenus des Députés au suffrage universel direct, soit en leur nom propre, soit par le jeu des apparentements, leur nombre serait déduit de celui du « correctif » éventuel auquel ils auraient droit. (Ces chiffres n’étant qu’une proposition, servant de base de pour un débat éventuel et souhaitable, lorsque la situation le permettra).
Suivant cette proposition, en retenant les chiffres du premier tour des élections législatives de 2017, cela donnerait, par exemple :
Le PC a obtenu 615 487 voix ce qui lui donnerait droit au « correctif » à 3 députés, mais au second tour , par des accords avec d’autres partis et ayant obtenu 10 sièges de députés il ne bénéficierait pas du « correctif ».
La FI a obtenu 2 497 622, ce qui lui donnerait droit au « correctif » à 10 sièges de députés, mais ayant obtenu 10 sièges de députés au second tour, il ne bénéficierait pas du correctif.
EELV a obtenu 973 527 voix et devrait bénéficier de 4 sièges de députés au « correctif », mais au second tour ayant obtenu un siège de de député, ce parti bénéficierait de 3 sièges supplémentaires au correctif.
Le RN a obtenu 2 990 454 voix, il devrait bénéficier de 12 sièges de députés au « correctif », n’en n’ayant obtenu que 8 au second tour, il bénéficiera de 4 sièges de députés supplémentaires au correctif.
Pour les autres partis politiques, soit il ne remplissent pas les conditions ( résultat inférieur à 300 000 voix) ou au second tour le nombre de sièges de députés étant nettement supérieur à ce ce que leur accorderait le correctif, il ne seraient pas concernés par ce dispositif.
Les député(e)s désigné(e)s par le correctif bénéficierait des mêmes droits et seraient soumis au même devoir que leur collègues élu(e)s au suffrage universel. Toutefois ils dépendraient du palais Bourbon, siège de l’assemblée nationale, et non d’une circonscription territoriale
Avec les chiffres évoqués pour définir le »correctif », qui ne sont qu’une proposition, en se référant au dernier résultat du premier tour des élections législatives de 2017 et celui du second tour, le nombre de Députés représentant les minorités serait inférieur à la dizaine… Toutefois si certaines petites formations politiques proches idéologiquement souhaitent une représentation à l’assemblée nationale, ce système de « correctif » devrait les inciter à se regrouper pour le premier tour ( les souverainistes DLF de Dupont-Aignan et l'UPR, voire à l'extrême gauche LO, NPA , PARDEM ...). Mais globalement cela n’alourdirait pas le nombre de députés résultant du « correctif ». Par ailleurs, contrairement au découpage actuel des circonscriptions qui sont faites au niveau Départemental, ce qui n’est pas très logique pour un scrutin national, le découpage des circonscriptions pourrait se faire dans le cadre d’un schéma National, ce qui signifie qu’une circonscription électorale territoriale pour l’élection des députés pourrait se situer « à cheval » sur plusieurs départements. Cela permettrait de réduire le nombre de circonscriptions. Mais attention si le nombre de députés devait être modifié, en intégrant les député(e)s désigné(e)s par le « correctif » leur nombre ne doit pas excéder 577. Alinéa 3 de l’article 24 de la Constitution « Les députés à l'Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au suffrage direct ».
Afin d’éviter une réforme Constitutionnelle, une simple loi organique permettrait à la fois de réduire d’une vingtaine le nombre actuels de député(e)s et d’instituer le « correctif »
Pour conclure
Au vu de la situation actuelle, dont la vie des citoyens est lourdement impactée par la pandémie du Covid-19, ainsi que du calendrier électoral, bien que la démocratie n’est pas à souffrir des contraintes actuelles, voire de certains déficits de l’expression des citoyens, il apparaît totalement inopportun d’emboîter le pas de François Bayrou pour exiger une réforme du mode de scrutin législatif. A l’évidence il y a d’autres urgence auxquelles le pays doit faire face, en particulier, la situation écologique et climatique.
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