« Napoléon, le héros éternel, de Franck Abed, un livre qui fait du bien » Charles Demassieux
Napoléon, le héros éternel est-il un énième essai consacré au Français le plus célèbre à ce jour ? Oui et non car, loin de proposer une biographie savante linéaire, il s’agit d’un hommage enthousiaste assumé par son auteur – Franck Abed, un authentique patriote et érudit –, oscillant entre notre présent et ce passé napoléonien mythifié par le temps, et surtout contrastant violemment avec le lent déclin de notre pays qui suivit la chute de l’Empereur.
Déclin heureusement tempéré par des soubresauts d’orgueil national, qui ne parvinrent toutefois pas à remettre la France au centre du monde, reléguée de nos jours à l’arrière-plan de l’Histoire. D’où une certaine mélancolie de la part de l’auteur : « Et moi, je reste prisonnier de cette sinistre époque qui ne nous offre que des spectacles désenchantés ou déshumanisants. » Par ailleurs catholique fervent, Franck Abed déplore « la sécheresse spirituelle » de notre époque, laquelle suinte l’ennui quand elle ne se vautre pas carrément dans l’autodestruction décadente de la mondialisation.
Une autodestruction qui se manifeste éhontément dans la négation de notre passé, voire sa mutilation lorsque des petits morveux courent comme dans une cour de récréation parmi les tombes de la nécropole nationale de Douaumont pour – nous dit-on ! – célébrer le centenaire de la bataille de Verdun. Négation, effectivement, quand on refuse de célébrer dignement le bicentenaire de la mort de Napoléon ou de la victoire éclatante d’Austerlitz. Inversement, souligne si justement l’auteur, en 2005 nous avons envoyé des fleurons de notre flotte navale, dont la frégate Jean Bart, le sous-marin nucléaire d’attaque Perle et le porte-avions Charles de Gaulle, à Portsmouth pour célébrer… une défaite française, à savoir Trafalgar ! Et, à propos des décideurs français qui mettent ainsi Napoléon sous le tapis, l’auteur répond avec raison : « En définitive, dans la pénombre de notre époque, le génie napoléonien les renvoie à leur nullité. »
Car il est inutile d’être un amoureux transi de Napoléon – je n’en suis pas un – pour constater les faits : sa vie fut une épopée digne d’Homère. Napoléon, « ce mortel éternel », en effet, « sculpta littéralement sa vie pour qu’elle répondît aux attentes de la gloire ».
Mais contrairement à nombre de ses successeurs à la tête de la France, Napoléon ne fit pas son marché historique, ni ne céda à cet anachronisme idiot dont il est aujourd’hui victime, quitte à faire mentir la réalité. « De Clovis au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout », affirmait-il. Il savait que la réconciliation des Français, après l’ouragan révolutionnaire, était une nécessité absolue pour restituer la grandeur de la Nation. Les diviseurs actuels devraient méditer cela : « Un gouvernement, digne de ce nom, assure la concorde et la paix civile à son peuple. Pour cela, il dispose des moyens d’action pour mener à bien ses missions. Il impose la marche à suivre. Tout le contraire de ce que nous vivons en France depuis des décennies. Reculades, faiblesses, mensonges, hypocrisie, soumissions apparaissent comme les maîtres-mots des gouvernements successifs de la République. »
Napoléon, féru d’Histoire, apparaissait comme un nouvel Auguste – fils adoptif de Jules César et premier empereur romain –, avec en ligne de mire « l’union des européens ». C’était compter sans l’insulaire Angleterre, qui finit par le terrasser, à grands coups de finances, comme de nos jours les États-Unis lorsqu’ils veulent asseoir leur hégémonie. Et, même en leur pouvoir sur l’île de Sainte-Hélène, « rien ne paraissait à dédaigner quand il s’agissait d’humilier ce superbe ennemi de l’Angleterre ». Pour ce faire, l’Angleterre eut un auxiliaire de choix en la personne d’Hudson Lowe, « caricature vivante du fonctionnaire fourbe et maniaque ». « Finalement, ils attachèrent Prométhée à un rocher » qu’il ne quitta que bien plus tard, mort, en 1840, lors du retour des cendres de l’Empereur à Paris.
Cependant, Napoléon, vaincu de son vivant, les vainquit à son tour une fois mort, devenant un mythe à l’égal d’un Alexandre de Macédoine. Comme le rappelle l’auteur, il n’a cessé, depuis, d’être une source d’inspiration : « Il existe plus de livres écrits sur Napoléon que le nombre de jours écoulés entre sa mort et aujourd’hui. Ce qui nous donne plus de 73 000 ouvrages. Dans le même ordre d’idées, les historiens recensent près de mille films ayant pour cadre ou thème le Premier Empire. Il s’agit d’un véritable record. Trois cents acteurs ont joué Napoléon. C’est dire la fascination qu’il exerce encore sur les esprits. »
Ces rêveries du napoléonien solitaire qu’est Franck Abed ne sont toutefois pas un champ de désolation nostalgique, parce que l’Espérance – deuxième vertu théologale – s’insinue tout au long de l’ouvrage. Espérance qui fait dire à l’auteur que le phare français n’est pas encore éteint et qu’il nous appartient de le maintenir allumé et, qui sait, de le faire briller comme au temps de la grandeur impériale française : « Un jour, je sais que, guidés par le glorieux exemple de nos aînés, nous nous réveillerons. Les Français sortiront tôt ou tard de leur torpeur. Nous ne manquerons pas à notre Histoire. Nous ne subirons pas éternellement le souffle violent des forces obscures. […] Par conséquent, l’Histoire étant le théâtre de l’imprévu, nous ne sommes pas à l’abri de surprises politiques insoupçonnables. Napoléon nous montre le chemin. Je sais qu’un avenir radieux nous tend les bras… »
En attendant, Napoléon, le héros éternel est une lecture salutaire, en ce sens qu’elle nous parle d’une certaine France avec des étoiles dans les yeux. Ce qui n’est pas négligeable à l’heure où la haine de soi est devenue une religion d’État.
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