Ne pas vendre la peau de l’ours...
En politique, il ne faut pas croire tout ce que prédisent les sondages. Jordan Bardella ferait bien de s'en souvenir.
Il s’était déjà figé dans une posture de premier ministre, voire de président de la République : cravate et costumes bien coupés, cheveux courts d’où pas une mèche ne dépasse, le sourire volontiers ironique, un ton arrogant, presque méprisant, vis à vis de ses adversaires. Quand eux parlaient au nom de leur famille politique, en employant sagement la première personne du pluriel, lui disait toujours « je ». « Je veux redonner sa grandeur à la France. Je veux redonner du pouvoir d’achat à mes compatriotes, etc, etc... ». En oubliant qu’il n’était que le représentant bien formaté d’un parti qui n’a – heureusement – jamais exercé le pouvoir.
Le bon score du RN au premier tour de ces législatives précipitées avait encore gonflé un peu plus son égo, au point de refuser le débat avec les autres candidats : puisque tout semblait joué en sa faveur désormais. Du reste, il y avait tellement d’approximations dans son programme qu’il valait mieux pour lui éviter les questions de fond et s’en tenir à des déclarations d’intention : tant qu’il y a des électeurs pour vous croire…
Mais les Français sont moins stupides et moins dociles que d’aucuns voudraient qu’ils soient. Ils sont surtout plus méfiants qu’ils ne paraissent et ne veulent pas donner les clés de la maison France au premier blanc-bec venu, fut-il aussi lisse qu’un représentant de commerce. Et contre toute attente le RN, sûr, trop sûr de ses 34 % d’électeurs du premier tour, s’est retrouvé médaillé de bronze au soir du 7 juillet. Ses 143 députés le placent malgré tout derrière Ensemble (150 sièges) et surtout le Nouveau Front Populaire (178 sièges) qu’il a tant dénigré.
Jordan Bardella aurait dû relire la fable de la Fontaine, L’ours et les deux compagnons. Car pas plus que la peau du plantigrade qu’il ne faut vendre avant de l’avoir tué, il ne faut pas non plus jouer au grand chambellan avant d’être officiellement investi dans cette fonction. C’est le peuple, et pas les sondages, qui décide, in fine, du destin des prétendants à la couronne dans une démocratie. Ce sera sans doute la grande leçon de ce feuilleton électoral qui aura bouleversé, même pour la bonne cause, les vacances des Français.
Il a également bousculé le régime – un peu trop – présidentialiste de la 5eme République. Car si on ne sait pas encore quel sera le nouveau premier ministre, on sait au moins qu’il aura, bon gré mal gré, les coudées plus franches pour jouer pleinement son rôle. Avec la composition de cette nouvelle Assemblée Nationale, Emmanuel Macron va devoir s’en tenir à son pré carré. Il ne pourra plus faire la pluie et le beau temps et gouverner à coups de 49-3 le pays. Lui aussi va devoir apprendre à vivre plus près des représentants de la nation et dialoguer avec eux sur les dossiers sensibles. Au bout du compte, c’est sans doute la démocratie qui sort gagnante de ce grand chamboulement. Aussi bavarde et insupportable qu’elle paraisse à certains.
Jacques Lucchesi
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON