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Ne surtout pas scier la branche sur laquelle les « zélites » sont assises

Il paraît donc que rien ne peut se comprendre, chez David Ricardo, sans constamment repasser par le travail de production. Ce dont Thomas Piketty néglige de tenir compte. Chez lui, le travail se trouve représenté par le salaire. Il est un intervenant de l'économie parmi d'autres. Il s'affronte à ceux-ci à l'occasion de la répartition, dans un système qui est considéré comme horizontal : rien que de la démocratie méritocratique.

C'est pourtant un travers que Thomas Piketty connaît bien et qu'il a lui-même dénoncé. Arrêtons-nous-y un petit instant en observant comment cela se définit dans son langage, c'est-à-dire quand on se trouve animé de cette préoccupation centrale de la "répartition" qui sert de pilotis à l'idéologie de la "méritocratie" et des "zélites" :
« Les économistes du XIXe siècle avaient un immense mérite : ils plaçaient la question de la répartition au cœur de l'analyse et ils cherchaient à étudier les tendances de long terme. » (Thomas Piketty, op. cit., page 38.)

De quels économistes du XIXe siècle Thomas Piketty veut-il nous parler ? À cet endroit de son livre, il n'a encore évoqué que trois personnages qui peuvent entrer dans cette catégorie : Malthus (1766-1834), Ricardo (1772-1823) et Marx (1818-1883). Si ce sont bien les personnages qu'il vise, il a raison une fois sur trois, c'est-à-dire seulement dans le cas de Malthus. Pour les deux autres, tout est centré sur la production et sur le travail, c'est-à-dire - indirectement chez Ricardo, et très directement chez Marx -, sur l'exploitation du travail. Ce qui est un gros mot, depuis qu'on nous a massacré Joseph Staline... 

Imperturbablement, Thomas Piketty poursuit sa réflexion sur le passé de sa discipline et, peut-on le penser, sur ces trois messieurs-là :
« Leurs réponses n'étaient pas toujours satisfaisantes - mais au moins posaient-ils les bonnes questions. Nous n'avons dans le fond aucune raison de croire dans le caractère autoéquilibré de la croissance. » (Idem, page 38.)

C'est ben vrai, cha...

Mais, la croissance, voilà le grand mot lâché !... Et qui dit croissance, dit répartition, le mieux étant que celle-ci se réalise "au mérite"..., tout à fait à l'horizontale. C'est d'ailleurs à cet endroit que le système tangue dangereusement, et qu'il y a urgence. Thomas Piketty l'a bien compris, lui aussi :
« Il est plus que temps de remettre la question des inégalités au cœur de l'analyse économique et de reposer les questions ouvertes au XIXe siècle. » (Idem, page 38.)

Mais pas celle de l'exploitation ?...

Thomas Piketty rue donc, à sa façon, dans les brancards de l'économie contemporaine. Écoutons-le encore sur ce thème qui lui tient manifestement à cœur :
« Pendant trop longtemps, la question de la répartition des richesses a été négligée par les économistes, en partie du fait des conclusions optimistes de Kuznets, et en partie à cause d'un goût excessif de la profession pour les modèles mathématiques simplistes dits "à agent représentatif". » (Idem, page 38.)

Ici, une note de bas de page nous aide à nous orienter :
« Dans ces modèles, qui se sont imposés dans la recherche comme dans l'enseignement de l'économie depuis les années 1960-1970, on suppose par construction que chacun reçoit le même salaire, possède le même patrimoine et dispose des mêmes revenus, si bien que par définition la croissance bénéficie dans les mêmes proportions à tous les groupes sociaux. » (Idem, page 38.)

Mais Thomas Piketty parvient-il à échapper vraiment au travers qu'il dénonce ? Peut-être pas autant qu'il le souhai-terait. En tout cas, l'interprétation qu'il fournit de ce que serait l'analyse ricardienne pèche sur ce point qu'il lui fait perdre tous les liens qu'elle entretient avec le travail de production, et ceci dans la perspective - évidemment essentielle - de la fondation de la... valeur économique.

Lisons David Ricardo :
« La valeur d'une marchandise, ou la quantité de toute autre marchandise contre laquelle elle s'échange, dépend de la quantité relative de travail nécessaire à sa production, et non de la plus ou moins grande rétribution versée pour ce travail. » (David Ricardo, op. cit., page 51.)

Pour Ricardo, le salaire n'est pas constitutif de la valeur de la marchandise produite. C'est la seule quantité de travail qui l'est.

Mais, dira-t-on, les bâtiments, les machines et les matières premières utilisées ne comptent-ils pour rien dans la valeur économique de la marchandise produite ? Si, bien sûr, répond Ricardo, mais tout ceci se réduit également en une valeur économique produite elle-même par du travail. Ce sont des objets qui résultent d'un travail de production et dont la valeur se transmet à la marchandise produite en dernier ressort au fur et à mesure de leur utilisation dans sa fabrication :
« Il n'y a pas que le travail immédiatement appliqué aux marchandises qui en modifie la valeur ; il y a également le travail consacré à la production des instruments, des outils et des bâtiments assistant ce travail.  »  (Idem, page 62.)

Mais le salaire lui-même, par quoi est-il déterminé ? Est-ce, chez David Ricardo, une affaire de répartition ? C'est là effectivement que tout se joue... en mode capitaliste de production. D'où l'intérêt d'y aller voir.

Michel J. Cuny


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