Néandertal jouait aussi avec le feu
Le nucléaire est une invention presque comme une autre. Travailler la nature, la transformer, la modeler selon nos besoins, exploiter ses ressources, inventer ce qui n’existe pas : ce n’est pas nouveau. Cela fait partie de l’espèce et l’énergie nucléaire n’est à ce point de vue qu’un prolongement du pilon et de la roue. Toutes les espèces modifient quelque peu leur environnement ou au moins interagissent avec. L’humain est en tête dans ce processus de transformation.

La maîtrise de l’énergie
La quête d’énergie est inhérente au monde vivant. La maîtrise du feu a été une étape décisive pour notre évolution. Initialement le feu apportait la chaleur et la protection. Il a contribué à la transformation de l’alimentation, donc à de possibles changements physiologiques.
Puis le feu a permis de transformer la matière et de développer la technologie, par exemple par la fabrication d’outils et d’armes plus perfectionnés que la pierre taillée. L’évolution technologique a développé l’inventivité des humains et a peut-être contribué à son développement intellectuel en multipliant les connexions neuronales nécessaires à la créativité. Car le dénominateur commun à toutes ces avancées est bien la créativité phénoménale des humains.
Concernant le feu une étude publiée il y a deux jours tend à montrer que l’homme de Néandertal le maîtrisait très bien et que grâce à cette aptitude il a développé une technologie particulière :
« Publiée lundi 14 mars dans Proceedings of the National Academy of Sciences, une étude américano-néerlandaise passant en revue de nombreux sites archéologiques, montre chez l’homme de Néandertal une utilisation soutenue et habile du feu, que ne pratiquaient pas les espèces humaines qui l’ont précédé en Europe.
... l’étude confirme une utilisation quotidienne et avisée du feu chez Néandertal à partir de cette période, avec notamment des traces de cuisine et la fabrication d’une colle destinée à fixer les lames de pierre sur des manches ou des hampes en bois, élaborée à partir d’écorce de bouleau chauffée. »
Technologie et créativité
Il semble décidément que notre lointain cousin Néandertal était plus intelligent que ce qui lui était accordé pendant longtemps. Sapiens, notre ancêtre direct, le chef de file de l’Homme moderne, a toujours eu la préférence. Question de famille peut-être, ou de beauté car le front plus penché en arrière de Néandertal n’a pas cette effet majestueux du front vertical de Sapiens ! Cela démontre que l’intelligence n’est pas seulement la conséquence d’une configuration cérébrale particulière. D’ailleurs on sait qu’une bonne partie des humains actuels compte environ 4% de matériel génétique du cousin. Qui n’est donc pas un simple primate de type chimpanzé ou bonobo.
Une étude de décembre 2010 avait déjà annoncé l’usage du feu par Néandertal, grâce à des particules alimentaires retrouvées dans des fragments de dents. L’étude plus récente la confirme et la complète en y ajoutant l’aspect technologique.
Néandertal et Sapiens ne pouvaient pas savoir jusqu’où la maîtrise du feu, la quête énergétique et cette inventivité allaient mener l’espèce. Des empires allaient se construire, des langues allaient croître et d’autres disparaître, des fusils et des bombes seraient inventés, la poésie couvrirait des pages entières de bouquins, on irait sur la Lune, on inventerait des centrales nucléaires. L’égalité et le vote seraient un jour instaurés. Une forme de démocratie remplacerait peu à peu les autocraties en tous genre.
Une démocratie à plusieurs étages. Un des reproches que l’on entend contre le développement du nucléaire est qu’il a été imposé par un lobby sans vrai débat démocratique et qu’il cache la merde au chat. En partie, oui. Qui a les connaissances nécessaires pour décider d’une chose aussi technique ? Très peu de gens. Et puis les citoyens ont voté pour des partis qui acceptent le nucléaire. De plus les lobbys tendent à s’enrichir en faisant prospérer l’espèce - les lobbys ne poussent pas sur la pauvreté. Mais la démocratie n’a pas aboli les rapports de force : elle a partiellement tempéré les pouvoirs arbitraires et multiplié les contre-pouvoirs.
La maîtrise du feu et les technologies associées ont été des facteurs de pouvoir et de prospérité, ainsi que de démocratisations partielle des savoirs. Je pense par exemple à l’imprimerie. Pourtant la technologie de fabrication du papier est polluante. Devrait-on renoncer aux livres à cause de cela ?
La population n’a certes pas de pouvoir décisionnaire direct sur le nucléaire et sur les grandes innovations technologiques. La démocratie à plusieurs étages ne donne pas accès au contrôle de tout par tout le monde. D’ailleurs un système où tout le monde contrôle tout est-il viable ? Il y a là matière à une réflexion ultérieure.
Délégation et intégrité
La centrale de Fukushima avait déjà été critiquée de longue date pour les failles de sa sécurité. Il y a eu des déficiences humaines dans la prise en compte de ces critiques. Le problème est ici la capacité et l’intégrité morale d’un exploitant à gérer honnêtement une technologie très puisante et potentiellement dangereuse.
Tout peut être dangereux. J’imagine volontiers que Néandertal s’est brûlé souvent en faisant du feu. Il a pu incendier des forêts, ou des maisons quand les premières cheminées étaient au centre de la hutte. Mais les dégâts étaient très limités par rapport au nucléaire.
Que ce soit à la Nouvelle-Orléans, où la consolidation des digues n’avait pas été réalisée, que ce soit à Fukushima, il y a des défaillances humaines dans ces deux catastrophes majeures. La démocratie de délégation veut que l’on charge des groupes ou sociétés d’exploitation de s’occuper d’un secteur à notre place. Aucun citoyen n’a le temps ni les connaissances pour s’occuper de tout ce qui concerne sa ville ou son pays. La délégation est donc nécessaire. Soit ce sont des sociétés privées qui sont chargée du travail, soit c’est l’Etat. Les sociétés font du profit. C’est normal. Pas plus qu’un individu une société ne peut travailler en perdant plus d’argent qu’elle n’en gagne. Un paysan sème 1’000 grains de blés dans l’espoir d’en récolter 10’000 ou plus.
A défaut de tout savoir les citoyens comptent donc sur l’intégrité des groupes en charge d’une responsabilité. C’est indispensable pour qu’un rapport de confiance s’établisse et que la sécurité des humains soit assurée. Dans les catastrophes récentes je n’incriminerais pas tant la recherche du profit en tant que tel que le manque d’intégrité de certains humains ou groupes, et leur cupidité, ou leur désintérêt pour la collectivité qui les a mandatés.
Les récentes catastrophes nous incitent entre autres à augmenter le volume des débats sur les sujets de société et à demander plus de rigueur et d’intégrité de la part de ceux qui reçoivent une délégation.
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