Ni Dieu, ni César, ni Tribun...
Ni Dieu, ni César, ni Tribun… Ces paroles de l’internationale devraient exprimer la pensée commune de tous les militants du mouvement ouvrier. Et pourtant… J’entends encore les « maoïstes » de 68 scander : « Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao » au congrès de l’UNEF d’Orléans en 1971. Ils brandissaient dans un ensemble parfait le petit livre rouge de Mao. Il parait qu’ils étaient, pour la plupart, de brillants intellectuels. Et ils n’étaient pas les seuls à considérer ainsi quelques leaders comme des Dieux.
Malheureusement, le stalinisme, plus que tout, a fait des dégâts dans l’esprit des militants du mouvement ouvrier du monde entier et, évidemment, les militants du Parti Communiste Français n’ont pas été épargnés. Tous ont trouvé normal que Lénine en premier et Staline ensuite soient vénérés comme des Dieux : embaumés, placés dans un mausolée… Les immenses statues érigées dans tous les pays de l’URSS et ailleurs contribuent à cette béatification. Du coup, Marx et Engels furent traités de la même façon. Eux-aussi sont devenus des icônes sacrées. Il est malsain de s’intéresser à la pensée de divinités et, s’il est néanmoins permis de lire les écrits des uns et des autres, aucune critique ne saurait être tolérée. Pendant toutes ces années noires du stalinisme, les militants du PCF, pour la plupart, ne savaient absolument rien de ce que furent effectivement la vie de Marx et celle d’Engels et ils ne lisaient même pas le Manifeste du Parti Communiste. Ils propageaient d’ailleurs des idées sur la nation ou la famille qui étaient complètement à l’opposé de la pensée de Marx. La femme de Thorez pouvait répéter à l’envi, à propos de l’IVG, que « les femmes des travailleurs ne veulent pas des vices de la bourgeoisie ». Les choses ont-elles beaucoup changé ?
De ce passé proche, il est grand temps de faire table rase et cela concerne tous les militants du mouvement ouvrier. Aucun militant et aucun leader n’est exempt de critiques. D’ailleurs tous les hommes évoluent au cours de leur vie pour le meilleur, quand il s’agit par exemple, de Jean Jaurès et Victor Hugo, ou pour le pire, quand il s’agit de Marcel Déat et Jacques Doriot. Ce n’est pas pour autant que toutes les critiques sont de même nature. Il faut différencier les critiques adressées à ses proches, à ses adversaires ou à ses ennemis. Cela amène, en ce qui concerne le mouvement ouvrier, à distinguer trois catégories : ceux dont nous partageons le combat, les adversaires qui sont dans d’autres organisations du mouvement ouvrier et l’ennemi de classe. Tous sont critiquables mais pas de la même façon, pas au même titre. Quand je critique les « nôtres », ceux dont j’estime être l’héritier et ceux avec lesquels j’ai combattu, je dois en plus me poser la question : au nom de quoi puis-je les critiquer ? Ai-je fait mieux qu’eux ? Pouvais-je faire mieux ? Pour ce qui est du passé que je n’ai pas vécu, je suis la plupart du temps incapable de répondre à ces questions. Au mieux, je peux dire ce qu’il aurait fallu que je fasse. Qui peut dire ce qu’il aurait fait s’il avait dû être embarqué dans le conflit de la « guerre d’Algérie » ? Pour ma part, je peux dire aujourd’hui que j’aurais dû refuser de combattre les nationalistes algériens, me ranger de leur côté ou me réfugier en Yougoslavie. Mais qu’aurais-je fais à l’époque ? Probablement que j’aurais été contraint de faire comme tout le monde.
Mais je voudrais surtout inviter tous les militants du mouvement ouvrier à faire de même. Il faut abandonner définitivement la notion de « fidélité au parti » qui oblige à taire toute critique, à obéir à des ordres. Il ne faut pas prendre les problèmes à l’envers. Ce n’est pas parce que nous avons décidé de suivre telle ou telle organisation que nous devons en adopter toutes les idées, tous les objectifs, toutes les consignes. C’est au contraire parce que cela nous paraît être la meilleure manière de défendre nos idées et d’atteindre nos objectifs que nous décidons à un moment d’adhérer à telle ou telle organisation. Nous pouvons avoir d’ailleurs des divergences sur des points que nous considérons comme secondaires avec une organisation à laquelle nous adhérons mais sans cacher ces divergences. Bien des militants parlent à ce sujet des divergences programmatiques et des divergences conjoncturelles. Les premières sont rédhibitoires. Elles imposent de changer d’organisation. Les militants qui ne sont pas d’accord sur quelques points clefs concernant le programme n’ont rien à faire dans la même organisation car ils y seraient condamnés à l’impuissance. Les secondes peuvent être discutées.
Quelques militants de la France Insoumise me poursuivent de leur hargne voire de leur haine. Il est vrai que je pense beaucoup de mal de leur leader Jean-Luc Mélenchon et je ne me prive pas de le dire. J’ai écrit tout un livre le concernant : « De François Mitterrand à Jean-Luc Mélenchon ». Mais il faut tout de même que ces militants s’interrogent sur leur propre comportement. Est-ce que dans la France Insoumise il n’est possible de critiquer les leaders qu’au moment où on claque la porte ? Ils sont nombreux ceux qui ont maintenant un regard critique sur la politique de Jean-Luc Mélenchon : Djordje Kuzmanovic, François Cocq, Charlotte Girard, Liem-Hoang Ngoc, Corinne Morel-Darleux, Thomas Guénolé, Sylvie Heyvaerts, Andréa Kotarac, Sarah Soilihi, Manon Le Bretton, Gérald Maniable, Laurent Beaud, Pierre-Axel Blondel. Mais à l’intérieur de la LFI, personne ne semble réfléchir. Tout le monde est d’accord avec le Dieu. C’est d’autant plus étonnant que, pour être d’accord avec lui, ils en viennent à renier leurs idées. J’ai en effet le souvenir d’avoir passer des heures à expliquer aux militants de la France Insoumise que Jean-Luc Mélenchon ne voulait pas quitter l’UE. Ils ne voulaient rien entendre. Jean-Luc Mélenchon n’avait-il pas dit d’une part « l’Europe on la change ou on la quitte » et d’autre part qu’il avait un plan A et un plan B ? Ne fallait-il pas déduire que le plan A c’était « on la change » et le plan B c’était « on la quitte ». Nous leur avons expliqué pendant des heures que ce n’était pas du tout ce que Jean-Luc Mélenchon voulait dire. Peine perdue. Puis Jean-Luc Mélenchon se faisant plus clair dans ses déclarations, il a bien fallu qu’ils admettent qu’il n’était pas question de quitter l’UE dans leur très cher programme. Qu’ont-ils fait ? Rien ! Ils ont renié leurs idées d’hier. Ce sont des renégats fidèles au chef et au parti.
Il y a quelques temps des militants de la LFI s’interrogeaient sur le candidat qui serait le plus judicieux de présenter aux élections présidentielles. Le nom de Ruffin a été notamment avancé. Il y a eu tout un article à ce sujet sur AgoraVox. Mais, Jean-Luc Mélenchon a annoncé qu’il sera le candidat et immédiatement les militants de la LFI ont cessé de s’interroger. Que font ceux qui hier voulaient que Ruffin soit le candidat ? Rien !
Mais les militants de la FI ont un sérieux argument. Ils font de l’arithmétique et regardent les sondages. Ils en déduisent qu’ils sont forts, nombreux et fort nombreux. Je ne suis pas certain que leur appréciation soit exacte mais cette question ne m’intéresse pas. Ils n’ont que mépris pour ceux qui, comme les militants de l’AGIMO, ne sont à leurs yeux que quantité négligeable. La question est vieille de plus d’un siècle. Avec de tels arguments certains en viennent à confondre les élections avec le PMU. Ils veulent voter pour le plus fort, pour celui qui va gagner. Toute la question est de savoir pourquoi on adhère à une organisation. Est-ce pour défendre les opprimés, les travailleurs ? Est-ce pour faire la révolution socialiste ? Est-ce pour construire un monde meilleur ? Est-ce pour être du côté des plus forts ?
Je prendrai un exemple. Un certain Lénine qui avait dû s’exiler en Suisse à la suite de l’échec de la révolution de 1905 appris en février 1917 que le peuple russe avait mené à bien une première révolution. Ils avaient liquidé le vieil impérialisme du tsar. Le gouvernement de Kerenski s’était mis en place. Ce gouvernement voulait faire fonctionner un régime capitaliste en faisant quelques réformes démocratiques. C’était ce qu’on appellerait aujourd’hui un gouvernement de front populaire. Un « gouvernement de gauche » comme disent nombre de journalistes et de politiciens c’est-à-dire un gouvernement composé de représentants des organisations ouvrières et de quelques politiciens représentants la bourgeoisie. Un tel gouvernement n’acceptera jamais de rompre avec les intérêts des capitalistes. Lénine quant à lui veut mener à bien une révolution socialiste non seulement en Russie mais dans toute l’Europe puis dans le monde. Il a, à ce sujet, de bonnes nouvelles sur la situation en Allemagne où la révolution semble imminente. Il n’est pas question pour lui de participer au gouvernement de Kerenski. Or, il apprend que des militants de son parti, le parti bolchevik, se sont fourvoyés dans ce gouvernement : un gouvernement qui a toutes les caractéristiques du premier gouvernement de Mitterrand. Un gouvernement qui ne peut donc que trahir les intérêts des travailleurs. Le parti bolchevik est pourtant le parti que lui-même, après d’âpres batailles politiques, a réussi à mettre en place et il est encore très minoritaire dans le mouvement ouvrier. Depuis l’éclatement de la révolution de Février Lénine fait tout ce qu’il peut pour rentrer en Russie et il n’a qu’une idée en tête : rassembler un parti fidèle aux intérêts des travailleurs, un parti révolutionnaire. Il ne voit qu’une solution : organiser une scission au sein du parti bolchevik pour rassembler une poignée de militants décidés à mener le combat. Il est prêt à organiser une minorité de ce parti minoritaire. Il ne sert à rien d’être nombreux si cela réduit à l’impuissance. De ce point de vue, un parti qui tient son assemblée générale dans une cabine téléphonique peut jouer un rôle bien plus important qu’un parti de dizaines de milliers de membres qui suivent béatement un chef. Un tribun qui fait de beaux discours bien creux mais qui ne mènent à rien si ce n’est à la division des travailleurs n’est qu’un traître du mouvement ouvrier. De ce point de vue la politique de Jean-Luc Mélenchon qui s’est d’emblée déclaré candidat aux élections présidentielles est claire. Je l’ai expliquée dans un précédent article. Il veut interdire qu’un candidat unique des trois organisations PS, PC et LFI puisse émerger.
Alexis Tsipras avait raison de dire : « J'ai eu le sentiment que Jean-Luc Mélenchon n'avait pas envie de gouverner. Je me suis rendu compte qu'il ne saurait pas très bien quoi faire en cas de victoire. » Il ajoutait : « Ce n'est pas une position de gauche. Lorsque vous êtes de gauche, vous devez vous préparer au pouvoir avec un programme en faveur des plus faibles ». La seule différence entre les deux comparses c’est qu’Alexis Tsipras a été amené à gouverner ce qui n’est pas le cas de Jean-Luc Mélenchon. Alors, Mélenchon qui ne cachait pas hier son grand amour pour Tsipras affiche maintenant un semblant de désaccord. Pourtant, quoiqu’il en dise, s’il gouvernait en restant dans l’UE, il faudrait bien qu’il fasse comme son collègue du PGE (Parti de la Gauche Européenne) : appliquer la politique de l’UE. Tout le cirque qu’il fait pour reprocher à Tsipras sa complaisance avec l’autorité européenne ne trompe que ceux qui le veulent bien. Jamais l’UE ne céderait sur ces questions. C’est pourquoi il ne veut pas gouverner et se comporte, en divisant les rangs des travailleurs, comme un suppôt de Macron.
Si les militants de la LFI veulent que Jean-Luc Mélenchon soit président de la république alors c’est la politique de l’AGIMO qu’ils doivent défendre. Ils doivent exiger qu’il y ait un candidat unique pour les organisations ouvrières. Au besoin, que le PS, le PC et la LFI organisent une élection partielle ouverte à tous pour désigner le candidat unique. Dans ces conditions, Jean-Luc Mélenchon aurait toutes les chances d’être désigné comme le représentant des travailleurs et, dans ces conditions, il serait élu. Mais, si actuellement les militants de la LFI acceptent la division en défendant la politique de Jean-Luc Mélenchon alors, ils sont comme lui, ils ne veulent pas qu’il gouverne. Ils auront leur part de responsabilités dans la catastrophe qui se profile car les milliardaires qui sont derrière Macron ont l’absolue nécessité d’imposer une terrible dictature pour museler la classe ouvrière. A l’inverse, un candidat de la classe ouvrière élu pourra organiser un référendum pour confirmer que le peuple ne veut plus de l’UE comme il l’a déjà affirmé en 2005. Ainsi, libérés de cette domination étrangère, les travailleurs pourront se défendre. Ceux qui veulent cette politique doivent se regrouper dans une véritable Avant-Garde Internationaliste du Mouvement Ouvrier (AGIMO).
Finalement, Lénine n’a pas eu besoin de faire une scission dans le parti bolchevique. Rentré en Russie, il a réussi à convaincre tous les bolcheviks de le suivre sur son orientation. Pour ma part, j’invite encore et toujours les militants qui veulent défendre les travailleurs à nous rejoindre dans l’AGIMO. Nous essaierons de tenir notre assemblée générale en un lieu moins exigu qu’une cabine téléphonique.
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