Aujourd'hui, au moins deux moyens infaillibles de vivre une expérience mystique inoubliable s’offrent au militant UMP de base : une nuit dans les champs, aux Journées Mondiales de la Jeunesse, où fuyant les cantiques, les ronflements et l’odeur de pieds de ses camarades de tente, il finit par se jeter à poil sur une clôture électrifiée, à 3 heures du mat, ou bien une campagne présidentielle derrière Nicolas Sarkozy. C’est au choix.

« Les socialistes ne peuvent pas gagner », « Vous allez voir ce que vous allez voir », ou encore « Le changement, c'est moi ! ». Par ces fanfaronnades « off », fuitées à doses de moins en moins homéopathiques dans la presse, Nicolas Sarkozy vient de mettre le bout de son nez dans la campagne, répondant à l’anxiété croissante de troupes UMP, ahuries de sondages, qui le pressaient de se déclarer. Les spams de Copé (30% des électeurs touchés — dont votre serviteur — pour 1,9 millions d’euros), ça suffisait plus. Et aussitôt, les piaffants apôtres se déchaînent, Henri Guaino « Spleen doctor », Frédéric Lefebvre et Nadine Morano « Geek ta mère », et bien d’autres fourmis cathodiques prennent leur bâton de pèlerin. Ici on twitte les louanges du Maître — 140 caractères pour vanter ses exploits, Nadine, est-ce raisonnable ? Là, on se répand en désopilantes métaphores sur un adversaire roulé dans la farine par une simple ménagère. Gageons qu'avec notre blé, à 450 000 Euros de frais de sécurité par déplacement (chiffrage de René Dosière), la ceinture de biceps qui promène sa Majesté Nicolas devrait lui éviter une telle turpitude.
Les moins chanceux, comme Copé, se coltinent d’aller relayer le message en France profonde, pour le plus grand bonheur d’adhérents UMP qui commençaient à se demander s’ils allaient rentabiliser leur cotisation, tant les gueuletons-meetings se faisaient rares ces derniers temps. Faut les comprendre, les pauvres, jusqu’ici on les alimentait… qu’en emails. Ça nourrit pas son militant. Qu’ils se rassurent : en attendant Dieu, la France de Nicolas va pouvoir ripailler avec ses saints, se goberger de choucroutes en s’extasiant aux réformes, la vingtaine de taxes crées en 5 ans, la TVA sociale, ou les bienfaits de la guerre en Lybie — et bientôt en Syrie pour faire bonne mesure ? On va chopiner du gros qui tâche en célébrant le service minimum, roter de bien–être à l’évocation de l'interdiction de la burqa. Puis on s’assoupira à même les tréteaux du cirque, gavé de mangeailles et de discours mal gastriqués. Repu ? Oui. Rassuré ? Peut-être. Au fond, ils les méritent, leurs bombances. Cinq ans d’allégeance, tout de même ! Ils en ont digéré d’autres.
Mais Dieu, me direz-vous, qu’attend-il, Lui ? On connaissait le Sarkozy infusé de Bling-Bling, l’olibrius vibrionnant à 100 000 mégavolts, acharné à nous faire bouffer, soi-disant pour notre bien, 5 taxes et réformes séculaires par mois. Une maille à l'endroit, une maille à l'envers. Et voici le Sarkozy tortue en campagne, sûr de son avantage sur un lièvre socialiste qui aurait mangé toutes ses carottes... pardon « tiré toutes ses cartouches ». Bignolles ! On nous l’a changé. Et si on ne connaissait pas les talents de comédien du bonhomme, on pourrait presque croire en sa métamorphose — quand bien même elle semble aussi incongrue et improbable qu’un lâcher de vachettes sur le boulevard Saint Germain, suivi, tant qu’on y est, par un toro-piscine dans la fontaine des Innocents.
Soit ! Saint Nicolas plane à présent bien au-dessus des contingences matérielles : la campagne, ses mêlées électorales, ses démêlés, ses casseroles et ses farines. Au passage, il prend le risque de voler au-dessus d’un nid de 260 000 (170 000 selon la police) absolus et très hallucinés cocus encartés à l’UMP. A eux les doutes. A lui l’Extase. Mais attention ! Dans la nébuleuse des mystiques et allumés en tous genres, St Nicolas d’Avila veut passer pour celui qui garde les pieds sur terre. De la hauteur de vue, certes, mais aussi de l’huile de coude et du courage ! Ses extases ne l’empêchent pas de gouverner avec opiniâtreté et de réformer avec vigueur. Il veut laisser son empreinte, car bonne. La campagne ? On verra en son temps. Mi-février, peut-être. Très fracassant, certainement. Il a des idées, « des nouveaux concepts ». Connaissant les anciens, on en tremble. Ça va cogner ! Quant à l’éveil cosmique… la lumière au bout du tunnel. Il l’a annoncé : c’est pour avril ! Le mois des poissons et des résurrections.
A l’occasion de ses vœux à la presse, tour à tour perdu et retrouvé, au-dehors et au-dedans, recto et verso — et vice versa —, Nicolas s’est fait miel, ruisselant de compassion pour les journalistes. Plein badin ! Au passage, il s’en est pris violemment à « l'information immédiate », lançant aux deux cent privilégiés accrédités de ce raout « Vous n’avez plus le monopole de l’information, vous n’avez même plus le monopole des média », en référence à « l'univers de l’auto-information où chacun peut s’emparer des média ». Un univers d’expression libre et citoyenne, où les révolutions ne se font plus à la Bastille mais sur les réseaux sociaux, et où SOPA et PIPA remplacent la troupe et la canonnade. Dans un élan de répression aussi abrutie que vaine. Un univers, bien sûr, dont cet auto-proclamé visionnaire ne comprend pas le premier atome. Et qu’il contrôle encore moins, à son grand dam. Le monde d’aujourd’hui… pourtant, Monsieur le Président.
Et dans ces conditions, comment ne pas sourire quand, libérant le prophète qui décidément sommeille en lui, il fait étalage de ses « ravissements », se transportant, à bonds de grand gourou, au-delà d’un horizon de sondages calamiteux, vers sa victoire et les verdoyantes prairies des champs Elyséens, avec une lucidité inouïe et extravagante.
Nuit obscure ou joie profonde ? Il n’y a que la foi qui sauve. Ses partisans n’ont donc plus qu’à attendre la grâce divine qui portera leur Champion sur le fauteuil de Président, par un enchantement qui échappe encore aux prévisions des instituts de sondages et aux limites de nos pauvres sens. Et espérer que la vague enveloppante de cet Autre Tout Puissant, veuille bien les installer, eux aussi, sur leurs modestes fauteuils de ministres, députés, maires ou sénateurs UMP, comme la mer, dans sa grande bonté, dépose la bouteille du naufragé sur le rivage.
Déculottée cuisante ? Clôture électrifiée ? Saut à l’élastique sans élastique ? Perso, j’ai pas le goût des triques. Après tout, à chacun son trip, son expérience mystique. Mais en attendant, Courage ! Ça plane pour Lui.