No soy ! Plaidoyer d’un carnivore décroissant
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH225/poisson1-2-320a9.jpg)
Faut-il encore manger de la viande ? Scandales alimentaires, cruauté de l'abattage industriel, coupe réglée des forets tropicales, réchauffement climatique : difficile d'occulter cette simple question qui nous est posée avec insistance. Gageons que le sévère requisitoire anti-viande d'un journaliste télégénique publié l'an dernier, No steak [1], ne sera pas le dernier assaut donné a nos habitudes carnivores, bien bousculées depuis Copenhague [2].
Etrangement, on a pas encore vu fleurir, dans la même veine, les campagnes "No cars" ("lundi sans voiture" [3]) ou « No plane ». Les transports ont pourtant un impact environnemental au moins équivalent [4] a celui de la consommation de viande industrielle… et très peu d'entre nous se passent effectivement de voiture.
”No meat” plus ”cool” que ”No car”
Demandons nous, donc, pourquoi les appels de Paul Mc Cartney [5] ont été autant relayés, et non les exhortations de quelques "loosers" décroissants à se remettre au vélo ? Pourquoi « No steak » et pas « No car » ?
On peut penser que la différence tienne au risque de "suicide" social qu’impliquerait toute profonde remise en cause personnelle de nos modes de déplacement ou de chauffage. Imaginez vous, simple salarié, refusant systématiquement vos déplacements professionnels, tant en avion qu’en voiture, ou, pire, aller vous installer à la campagne pour vous chauffer "renouvelable" (c’est à dire au bois). Ceux qui ont essayé témoignent : une existence précaire et souvent solitaire vous attend.
Fort heureusement, boycotter le rayon viande d'un supermarché reste compatible avec un certain "confort" et aura l'heur de ne pas déranger votre patron.
Une question, cruciale, demeure néanmoins : devenir végétarien a t'il un impact justifiant une telle médiatisation ?
C'est improbable [6] !
Avec ou sans viande, le pillage s’accélère
Pour en arriver à cette conclusion, il faut se représenter l'évolution de notre système agricole et industriel ainsi que son fonctionnement actuel. Au centre se trouve la monoculture [7] : un seul type de céréale ou d'oléagineux y est cultivé sur une grande surface, uniforme, ce qui permet de mécaniser et d'engranger des profits inversement proportionnelles à la main d'œuvre employée. Ce model explique la dérive progressive vers le gigantisme des exploitations, soutenue par les contribuables, malgré le cours élevé des céréales. Dans ce cadre, la viande ne constitue en fait qu'un débouché parmi d'autre. Que sa consommation vienne à baisser et la production de céréales part mécaniquement vers des débouchés plus lucratifs (aujourd'hui les biocarburants [8]). L’unique moteur étant la rentabilité, ne pas manger de viande n'empêchera, ni la faim dans le monde, ni la dégradation des sols, ni la déforestation [9]. J'en veux pour preuve l'extension continuelle des palmeraies à huile, des plantations industrielles d'eucalyptus ou d'autres cultures de moins en moins vivrières.
L’agriculture intensive pose problème, pas « la » viande
Beaucoup de végétariens adoptent une vision assez étrange de l'environnement lorsqu’ils évaluent des dommages collatéraux de la viande. Ils oublient parfois que l'agriculture constitue une transformation artificielle des écosystèmes afin de les rendre non pas plus productif (les écosystèmes originaux le sont en général bien plus [11]), mais en les forçant à produire ce que nous, humains, pouvons consommer. On élimine ainsi systématiquement tout ce qui nous gène : pour cultiver les céréales, on retourne la terre afin d´éliminer toutes autres plantes, on tue massivement les insectes et autres limaces qui se nourrissent de végétaux (et on affame ainsi toute la faune qui en dépend), on contrôle activement (élimine) nos concurrents herbivores (lapins, chevreuils), rongeurs (campagnols) ou omnivores (sangliers), afin d’éviter d'être les derniers à récolter. Bref, on éradique la majeure partie des écosystèmes naturels. On ne détaillera pas les effets indirects des pesticides qui tuent massivement poissons, amphibiens et écrevisses… Comparé à ce tableau "idyllique", le bilan des dégâts infligés par l'élevage traditionnel a l'herbe est sans commune mesure : on y combat même plus les grands prédateurs, disparus depuis longtemps. Pourquoi, donc, devrait-on se priver de cette viande-là (ou de ce lait) et la remplacer par des plantes cultivées ? Le bon sens serait simplement de ne pas utiliser plus de un ou deux grammes de protéines issus de cultures (locales) par gramme de protéine animale produite.
Il y’a pêche et pêche…
Ensuite, pourquoi devrait-on aussi se passer de poisson, une ressource qui fournit 16 % des protéines animales consommées par l'humanité [12] (et une part importante d'acides gras essentiels), pour finalement le remplacer par… plus d'agriculture ? A cause de la surpêche nous répondra t'on ! Certes, mais, une fois encore, c'est le mode d'exploitation industriel qui est en cause et non pas le fait de manger du poisson en général. La pêche industrielle, elle aussi aidée par le contribuable [13], est absolument inefficace et destructrice [14], sans parler de l'élevage du saumon, simple gâchis de protéine animale, qui devrait logiquement être interdit (il faut 3 kg de poisson fourrage, y compris maintenant du maquereau et du chinchard, pour obtenir un kilo de saumon [15]). Pourtant, une autre pêche, artisanale, durable et globalement plus productive, pourrait encore s’imposer [16].
Boucs émissaires et bonne conscience… pas suffisant !
Bref, ne faisons pas porter aux seules omnivores [17], la responsabilité d’une destruction causée par notre veule impuissance à reformer collectivement, ou contourner individuellement, ce système de production. Faute de « tout claquer » pour aller cultiver nous-mêmes nos légumes, aller pêcher notre poisson, élever nos poules, nous pouvons tout de même essayer d'aller (à vélo) acheter directement a ceux qui le font consciencieusement… ou au minimum mimimorum, acheter bio ! Le steak aura alors un bien meilleur goût que celui de bien des tofus...
Yann kervennic
38 ans, Ancien chercheur en physique, foncièrement écœuré par la recherche scientifique, démotivé par le travail salarié en général, je survie depuis deux ans en dépensant peu. Je recherche à m’installer définitivement au nord de la Suède, pays de mon dernier contrat, seul ou avec d’autres...
Références
[1]
Aymeric Caron, No steak, Fayard, 2013
[2]
L'ombre portée de l'élevage
Rapport de la FAO sur les impacts de l'élevage, ayant influence les négociations de COP15
http://www.fao.org/docrep/012/a0701f/a0701f00.htm
[3]
http://www.meatfreemondays.com/
[4]
Ademe, émissions par secteur d'activité
http://www2.ademe.fr/servlet/KBaseShow?sort=-1&cid=96&m=3&catid=12599
[5]
« Climat : Paul Mc McCartney prône un jour sans viande en Europe. »
Le point du 3 décembre 2009
[6]
« The vegetarian myth : food, justice and sustainability », Lierre Keith, PM press, 2009 (non traduit)
[7]
Ecrits et conférences de Claude Bourguignon
« Le sol, la terre et les champs », Claude et Lydia bourguignon, éditions sang de la terre.
Conférence en ligne
https://www.youtube.com/watch?v=5WqrY9m2PzA
[8]
"US biofuel production should be suspended, UN says"
http://www.bbc.co.uk/news/business-19206199
[9]
Un tableau nuancé décrivant les mécanismes de la déforestation (politique de développement économique, pauvreté, exploitation industrielle).
http://earthobservatory.nasa.gov/Features/Deforestation/deforestation_update3.php
[10]
Voir par exemple le rapport :
« Evolution des cultures et impacts sur l'environnement »,
Michel Poiret (Eurostat)
http://ec.europa.eu/agriculture/envir/report/fr/evo_cu_fr/report_fr.htm
[11]
« Ecologie », Robert E. Ricklefs et Gary L. Miller, éditions de Boeck, p.192
[12]
Rapport de la FAO :
« World fisheries and aquaculture », p. 5
http://www.fao.org/docrep/016/i2727e/i2727e01.pdf
[13]
[14]
http://fluctuat.premiere.fr/Societe/News/40-de-la-peche-serait-gaspillee-selon-le-WWF-3223568
Rapport de la commission sur l'impressionnante inefficacité économique du chalutage intensif concernant la morue (rendements comparés de zones avec et sans chalutage, se référer au conclusions du rapport)
http://www.europarl.europa.eu/committees/de/pech/studiesdownload.html?languageDocument=EN&file=60131
[15]
[16]
L’exemple de la pêche, majoritairement artisanale, en Norvège
http://www.neo-planete.com/2011/10/13/la-peche-durable-de-cabillauds-en-norvege/
[17]
Georges Monbiot, "I was wrong about veganism. Let them eat meat- but farm it properly",
The Guardian, 6 septembre 2010
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2010/sep/06/meat-production-veganism-deforestation
Légendes des photos
Poulets : Poulets, poules et lapins élevés en liberté par l’auteur, a l’herbe, vermine, restes de repas, fruits et châtaignes avariés, topinambours, grain bio.
Poissons : Exemple type de pêche de l’auteur, sans aucune émission de carbone (déplacement a vélo, pêche a la ligne ou en plongée).
Solitaire : La vie quotidienne du carnivore décroissant.
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