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Accueil du site > Tribune Libre > No soy ! Plaidoyer d’un carnivore décroissant

No soy ! Plaidoyer d’un carnivore décroissant

Faut-il encore manger de la viande ? Scandales alimentaires, cruauté de l'abattage industriel, coupe réglée des forets tropicales, réchauffement climatique : difficile d'occulter cette simple question qui nous est posée avec insistance. Gageons que le sévère requisitoire anti-viande d'un journaliste télégénique publié l'an dernier, No steak [1], ne sera pas le dernier assaut donné a nos habitudes carnivores, bien bousculées depuis Copenhague [2].

Etrangement, on a pas encore vu fleurir, dans la même veine, les campagnes "No cars" ("lundi sans voiture" [3]) ou « No plane ». Les transports ont pourtant un impact environnemental au moins équivalent [4] a celui de la consommation de viande industrielle… et très peu d'entre nous se passent effectivement de voiture. 

 

”No meat” plus ”cool” que ”No car”

Demandons nous, donc, pourquoi les appels de Paul Mc Cartney [5] ont été autant relayés, et non les exhortations de quelques "loosers" décroissants à se remettre au vélo ? Pourquoi « No steak » et pas « No car » ?

On peut penser que la différence tienne au risque de "suicide" social qu’impliquerait toute profonde remise en cause personnelle de nos modes de déplacement ou de chauffage. Imaginez vous, simple salarié, refusant systématiquement vos déplacements professionnels, tant en avion qu’en voiture, ou, pire, aller vous installer à la campagne pour vous chauffer "renouvelable" (c’est à dire au bois). Ceux qui ont essayé témoignent : une existence précaire et souvent solitaire vous attend. 

Fort heureusement, boycotter le rayon viande d'un supermarché reste compatible avec un certain "confort" et aura l'heur de ne pas déranger votre patron.

Une question, cruciale, demeure néanmoins : devenir végétarien a t'il un impact justifiant une telle médiatisation ?

C'est improbable [6] !

 

Avec ou sans viande, le pillage s’accélère

Pour en arriver à cette conclusion, il faut se représenter l'évolution de notre système agricole et industriel ainsi que son fonctionnement actuel. Au centre se trouve la monoculture [7] : un seul type de céréale ou d'oléagineux y est cultivé sur une grande surface, uniforme, ce qui permet de mécaniser et d'engranger des profits inversement proportionnelles à la main d'œuvre employée. Ce model explique la dérive progressive vers le gigantisme des exploitations, soutenue par les contribuables, malgré le cours élevé des céréales. Dans ce cadre, la viande ne constitue en fait qu'un débouché parmi d'autre. Que sa consommation vienne à baisser et la production de céréales part mécaniquement vers des débouchés plus lucratifs (aujourd'hui les biocarburants [8]). L’unique moteur étant la rentabilité, ne pas manger de viande n'empêchera, ni la faim dans le monde, ni la dégradation des sols, ni la déforestation [9]. J'en veux pour preuve l'extension continuelle des palmeraies à huile, des plantations industrielles d'eucalyptus ou d'autres cultures de moins en moins vivrières.

 

L’agriculture intensive pose problème, pas « la » viande

Beaucoup de végétariens adoptent une vision assez étrange de l'environnement lorsqu’ils évaluent des dommages collatéraux de la viande. Ils oublient parfois que l'agriculture constitue une transformation artificielle des écosystèmes afin de les rendre non pas plus productif (les écosystèmes originaux le sont en général bien plus [11]), mais en les forçant à produire ce que nous, humains, pouvons consommer. On élimine ainsi systématiquement tout ce qui nous gène : pour cultiver les céréales, on retourne la terre afin d´éliminer toutes autres plantes, on tue massivement les insectes et autres limaces qui se nourrissent de végétaux (et on affame ainsi toute la faune qui en dépend), on contrôle activement (élimine) nos concurrents herbivores (lapins, chevreuils), rongeurs (campagnols) ou omnivores (sangliers), afin d’éviter d'être les derniers à récolter. Bref, on éradique la majeure partie des écosystèmes naturels. On ne détaillera pas les effets indirects des pesticides qui tuent massivement poissons, amphibiens et écrevisses… Comparé à ce tableau "idyllique", le bilan des dégâts infligés par l'élevage traditionnel a l'herbe est sans commune mesure : on y combat même plus les grands prédateurs, disparus depuis longtemps. Pourquoi, donc, devrait-on se priver de cette viande-là (ou de ce lait) et la remplacer par des plantes cultivées ? Le bon sens serait simplement de ne pas utiliser plus de un ou deux grammes de protéines issus de cultures (locales) par gramme de protéine animale produite.

 

Il y’a pêche et pêche…

Ensuite, pourquoi devrait-on aussi se passer de poisson, une ressource qui fournit 16 % des protéines animales consommées par l'humanité [12] (et une part importante d'acides gras essentiels), pour finalement le remplacer par… plus d'agriculture ? A cause de la surpêche nous répondra t'on ! Certes, mais, une fois encore, c'est le mode d'exploitation industriel qui est en cause et non pas le fait de manger du poisson en général. La pêche industrielle, elle aussi aidée par le contribuable [13], est absolument inefficace et destructrice [14], sans parler de l'élevage du saumon, simple gâchis de protéine animale, qui devrait logiquement être interdit (il faut 3 kg de poisson fourrage, y compris maintenant du maquereau et du chinchard, pour obtenir un kilo de saumon [15]). Pourtant, une autre pêche, artisanale, durable et globalement plus productive, pourrait encore s’imposer [16].

 

Boucs émissaires et bonne conscience… pas suffisant !

Bref, ne faisons pas porter aux seules omnivores [17], la responsabilité d’une destruction causée par notre veule impuissance à reformer collectivement, ou contourner individuellement, ce système de production. Faute de « tout claquer » pour aller cultiver nous-mêmes nos légumes, aller pêcher notre poisson, élever nos poules, nous pouvons tout de même essayer d'aller (à vélo) acheter directement a ceux qui le font consciencieusement… ou au minimum mimimorum, acheter bio ! Le steak aura alors un bien meilleur goût que celui de bien des tofus...

 

- - -

Yann kervennic

38 ans, Ancien chercheur en physique, foncièrement écœuré par la recherche scientifique, démotivé par le travail salarié en général, je survie depuis deux ans en dépensant peu. Je recherche à m’installer définitivement au nord de la Suède, pays de mon dernier contrat, seul ou avec d’autres...

- - -

 

Références

 

[1]

Aymeric Caron, No steak, Fayard, 2013

[2]

L'ombre portée de l'élevage

Rapport de la FAO sur les impacts de l'élevage, ayant influence les négociations de COP15

http://www.fao.org/docrep/012/a0701f/a0701f00.htm

[3]

http://www.meatfreemondays.com/

[4]

Ademe, émissions par secteur d'activité

http://www2.ademe.fr/servlet/KBaseShow?sort=-1&cid=96&m=3&catid=12599

[5]

« Climat : Paul Mc McCartney prône un jour sans viande en Europe. »

Le point du 3 décembre 2009

http://www.lepoint.fr/actualites-insolites/2009-12-03/climat-paul-mccartney-prone-un-jour-sans-viande-en-europe/918/0/401136

[6]

« The vegetarian myth : food, justice and sustainability », Lierre Keith, PM press, 2009 (non traduit)

http://books.google.se/books?id=_KGWcPH41qYC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

[7]

Ecrits et conférences de Claude Bourguignon

« Le sol, la terre et les champs », Claude et Lydia bourguignon, éditions sang de la terre.

http://books.google.se/books/about/Le_sol_la_terre_et_les_champs.html?hl=de&id=h2KsiSUy5CwC&redir_esc=y

Conférence en ligne

https://www.youtube.com/watch?v=5WqrY9m2PzA

[8]

"US biofuel production should be suspended, UN says"

http://www.bbc.co.uk/news/business-19206199

[9]

Un tableau nuancé décrivant les mécanismes de la déforestation (politique de développement économique, pauvreté, exploitation industrielle).

http://earthobservatory.nasa.gov/Features/Deforestation/deforestation_update3.php

[10]

Voir par exemple le rapport :

« Evolution des cultures et impacts sur l'environnement »,

Michel Poiret (Eurostat)

http://ec.europa.eu/agriculture/envir/report/fr/evo_cu_fr/report_fr.htm

[11]

« Ecologie », Robert E. Ricklefs et Gary L. Miller, éditions de Boeck, p.192

http://books.google.se/books?id=XzK4kmJws9UC&pg=PA197&lpg=PA197&dq=biomass+gary+miller+ecology&source=bl&ots=VlSg9XFskS&sig=9KShF4sqVmk3H3Nq2rD0zaFkWro&hl=fr&sa=X&ei=LtgzUYTLEcmN4AT_hoHoAQ&ved=0CE0Q6AEwBA#v=onepage&q=biomass%20gary%20miller%20ecology&f=false

[12]

Rapport de la FAO :

« World fisheries and aquaculture », p. 5

http://www.fao.org/docrep/016/i2727e/i2727e01.pdf

[13]

http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/03/31/les-subventions-europeennes-aux-pecheurs-favorisent-la-surpeche_1326623_3234.html

[14]

http://fluctuat.premiere.fr/Societe/News/40-de-la-peche-serait-gaspillee-selon-le-WWF-3223568

Rapport de la commission sur l'impressionnante inefficacité économique du chalutage intensif concernant la morue (rendements comparés de zones avec et sans chalutage, se référer au conclusions du rapport)

http://www.europarl.europa.eu/committees/de/pech/studiesdownload.html?languageDocument=EN&file=60131

[15]

http://www.nytimes.com/2012/01/25/science/earth/in-mackerels-plunder-hints-of-epic-fish-collapse.html?pagewanted=all

[16]

L’exemple de la pêche, majoritairement artisanale, en Norvège

http://www.neo-planete.com/2011/10/13/la-peche-durable-de-cabillauds-en-norvege/

[17]

Georges Monbiot, "I was wrong about veganism. Let them eat meat- but farm it properly",

The Guardian, 6 septembre 2010

http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2010/sep/06/meat-production-veganism-deforestation

 

- - -

 

Légendes des photos

 

Poulets : Poulets, poules et lapins élevés en liberté par l’auteur, a l’herbe, vermine, restes de repas, fruits et châtaignes avariés, topinambours, grain bio.

Poissons : Exemple type de pêche de l’auteur, sans aucune émission de carbone (déplacement a vélo, pêche a la ligne ou en plongée).

Solitaire : La vie quotidienne du carnivore décroissant.


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9 réactions à cet article    


  • foufouille foufouille 14 janvier 2014 15:38

    « Je recherche à m’installer définitivement au nord de la Suède, »

    bon courage, il a pas l’air de faire chaud. faut se trouver une suédoise avant .......


    • kervennic kervennic 14 janvier 2014 16:48

      Salut,

      Je ne pensais pas que mon texte serait publie aussi vite. Je l’avais ecrit a l’epoque en reaction au livre de Caron. Il avait ete refuse en l’etat, apres pas mal d’echange par rue89 (d’ou le format assez compact). Comme j’etais alors sans aucun revenu, j’avais decide de laisser tomber l’affaire.

       J’ai decide de l’ (r)envoye a Agora suite aux nombres de mails de propagandes tres aggressifs qui ont ete couronne par une tribune libre sur les phile et les phages. j’ai pense que ce serais un droit de reponse (je concois que c’est court et donc necessairement plein de raccourcis, mais il y a des references tres precises). La tribune a laquelle je me refere n’est pas un fait unique. Pour avoir cru un temps a l’activisme, je peux temoigner de l’extreme focalisation des milieux « ecolo » sur ce sujet. Dans ces milieux, en tout cas en suede, l’omnivore est stigmatise et ne peut pas concretement y rester.

      Je donnerai un exemple concret. Il y’a 6-7 ans, un mouvement s’est cree en Suede prenome Climax.L’idee etait de faire un activisme de confrontation face a ce que les suedois appellent le « bilism » (bil = voiture). De jeunes gens bloquaient alors les routes, roulaient a velo en plein milieu de routes a la circulation chargee etc. Puis ils ont bloque une piste de l’aeroport d’Arlanda pour denoncer les lignes interieurs concurrencant le train. Le resultat fut unecondamnation et une amende gigantesque. Par la suite, lors des reunions auxquels j’assistaient, je pouvais voir le discours changer et se focaliser sur la viande. Maintenant ils ne font que de l’activisme dans ce sens et tout le reste du message a disparu.

      Je ne vais pas polluer l’espace des commentaires plus longuement, mais voudrais juste vous fare remarquer que de nombreux medias, tel Le Monde, reprennent ce presuppose anti viande (il va falloir manger des insectes, etc), Leur presuppose est toujours que nous ne pourrons pas changer nos facons de produire, arreter la globalisation de l’agroalimentaire (du au developement des transport), arreter l’urbanisation et la concentration des emplois, arreter la concentration agricole. Evidemment vu comme cela, il faudra bien tenter d’en venir a modifier l’alimentation et les hommes pour s’adapter. Je ne parle meme pas de population car la il y’a interdiction d’aborder le sujet.

      Mais ceci n’est pas une fatalite et probablement pas une possibilite. C’est ce qui va dans le sens du pouvoir economique actuel qui est tout de meme en dificulte.

      Je n’ai pas aborde le probleme de la fertilisation des terres. Tant que l’on a des intrants, la question ne se pose pas. Si l’on veut fermer le circuit pour maintenir la productivite, a cause du prix des intrants chimique, je pense que le recours aux animaux s’imposera a nouveau. Le probleme n’est donc plus vegetarien ou pas mais quel est la forme la plus efficace et ecologique de produire des proteines de qualite, et quelle production on pourra obtenir.

      Concernant le poisson de mer, la productivite actuelle n’est pas maximum car la gestion a ete desastreuse, concernant d’autre type d’elevage, nos dechet pourrait etre mieux valorise comme nourriture animal. Il existe aussi des possibilite de pisciculture fertilisee comme en asie qui semble tres productive, etant donne que le poisson ne depense pas d’energie pour l’homeothermie.


    • lionel 14 janvier 2014 21:45

      Salut à vous, le livre indispensable (foi d’ancien végétarien) de Keith Lierre est traduit en Français :

      http://pilulerouge.com/vegetarian-myth/

      Un livre indispensable pour les végétariens qui ont l’esprit ouvert et curieux.


      • ZenZoe ZenZoe 15 janvier 2014 13:18

        Bonjour,
        15 euros + 4,50 de FDP, trop pour moi. Pourriez-vous nous dire rapidement ce que dit l’auteur là-dedans ? S’agit-il de développer le local, comme semble l’indiquer la dernière phrase ? Merci !



      • wawa wawa 15 janvier 2014 08:18

        a enfin un peu de bon sens.

        dans le m^me genre :

        ou les travaux de savory sur l’intensification de l’elevage nomade concentré pour lutter contre la desrtification :


        bon courage pour le nord de la suède, moi je préfère les tropique

        • Le printemps arrive Le printemps arrive 15 janvier 2014 13:51

          En dehors des raisons que l’auteur invoque au début pour ne pas manger de viande, il y en a une qui est d’ordre physiologique.
          La viande apporte des protéines composées de nombreux acides aminés soufrés que l’organisme ne métabolise pas, il faut donc les éliminer et cela demande un surcroît de travail au foie et aux reins.
          Une viande mal mastiquée (c’est -à-dire réduit en bouillie) va finir putréfiée dans les intestins et donc causer des inflammations puis des troubles physiologiques.

          Manger de la viande (d’autant plus mal mastiquée) va imposer à l’organisme un travail d’élimination dont il peut se passer et c’est une autre raison qui me plaît.

          De plus manger de la viande accompagnée d’un féculent est une aberration physiologique puisque les féculents sont métabolisés en milieu basique grâce à la salive et que la viande, après le travail salivaire est métabolisée en milieu acide.


          • grokwik 30 décembre 2014 15:23

            Et le fait d’être végétarien n’empêche pas de militer pour d’autres formes de transport, pourquoi ne pas combattre sur plusieurs fronts : Notre alimentation ET nos modes de transport ?


            • kervennic kervennic 30 décembre 2014 18:43

              De toute evidence !

               Mais si tu entreprends de denoncer avec la meme intransigeance les transports motorise, je t’assure que tu n’obtiendra jamais de tribune dans le monde.
               Cela pour une raison bien simple : ouvre le magazine hebdomadaire et compte les pubs pour le foie gras et celles pour les grosses berlines.

              Ensuite pour approfondir le debats il faut evidemment considerer d’autre services potentiels des animaux, comme la traction, et la production d’engrais ou le controle des pestes en agriculture traditionnel.

              J’ai publie une serie de trois videos sur internet pour approfondir le debat (youtube, chaine « kervennic »).

              En tout cas, ce sont des sujets qui meritent une reflexion.

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