Non, les politiciens n’échappent pas tous à la Justice
L’indécente tentative de retour dans la vie publique amorcée par Jérôme Cahuzac a suscité beaucoup de commentaires ironiques ou désabusés, du type « Cahuzac, c’est l’arbre qui cache la forêt ». Sous-entendu : la grande majorité des personnalités politiques échappent aux sanctions judiciaires. Et, de fait, beaucoup passent entre les mailles du filet. Mais pas tous : nombre d’élus et de gouvernants ont été condamnés au cours des dernières décennies. Il en est même qui ont écopé de peines de prison ferme. Petit florilège...
… par ordre alphabétique (sans mention des sanctions financières – parfois très lourdes –, ni des peines d’inéligibilité qui ont accompagné ces peines de prison) :
On ne présente plus Isabelle et Patrick Balkany, ce couple sans scrupules que Le Canard enchaîné a surnommé naguère « Les Thénardier ». Lui a été maire de Levallois-Perret durant près de 30 ans, marqués par une fuite en avant de la dette municipale et des pratiques clientélistes. Elle a été sa première adjointe. En 2020, ils ont été condamnés en appel, respectivement à 5 ans et 4 ans de prison ferme, pour « blanchiment de fraude fiscale » et « prise illégale d’intérêt ». Patrick Balkany avait déjà été condamné en appel à 15 mois de prison avec sursis en 1997, déjà pour « prise illégale d’intérêt ».
Moins connu de nos compatriotes, le Guyanais Léon Bertrand, maire de Saint-Laurent-du-Maroni pendant près de 35 ans, a été secrétaire d’État puis ministre délégué au Tourisme durant près de 5 ans lors de la présidence Chirac. En 2017, il a été condamné en appel à 3 ans de prison ferme pour « recel d’abus de biens sociaux ». En 2018, il a de nouveau été condamné en appel dans une autre affaire à 18 mois de prison ferme pour « abus de biens sociaux ».
Ancien maire d’Angoulême et député de la Charente, puis brièvement secrétaire d’État chargé des Collectivités locales, Jean-Michel Boucheron, poursuivi au titre de nombreux chefs d’accusation, s’est enfui en 1994 en Argentine pour échapper à la Justice française qui, de ce fait, a prononcé une peine par défaut. Extradé en 1997, Boucheron a été condamné cette année-là par la Cour d’appel à 4 ans de prison dont 2 ans fermes pour « complicité de faux en écriture de commerce et complicité d’usage de ces faux, recel d’abus de biens sociaux et d’usage de faux, trafic d’influence et délit d'ingérence ».
Outre les malversations qui l’ont conduit devant les juges, Jérôme Cahuzac s’est trouvé au centre d’un énorme scandale pour avoir « menti à tout le pays », comme l’a réaffirmé il y a quelques jours François Hollande ; y compris à lui-même, alors chef de l’État. Ancien maire de Villeneuve-sur-Lot, puis président de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale avant de devenir ministre du Budget, Cahuzac a été condamné en 2018 par la Cour d’appel à 4 ans de prison dont 2 ans fermes pour « fraude fiscale » et « blanchiment de fraude fiscale ».
Durant 12 ans maire de Grenoble, Alain Carignon a également été député européen puis président du Conseil général de l’Isère avant d’être élu député français. Devenu ministre délégué à l’Environnement, puis ministre de la Communication, cet Isérois était promis à gravir d’autres marches lorsqu’il a été rattrapé par la Justice. En 1996, il a été condamné en appel à 4 ans de prison dont 3 ans fermes pour « corruption, abus de biens sociaux et subornation de témoins ».
Grâce, notamment, aux révélations du Canard enchaîné, la France entière a pu suivre les différents épisodes du « Penelopegate ». Mis en cause pour les emplois fictifs d’assistante parlementaire de son épouse et pour d’autres malversations visant à l’enrichissement du couple, François Fillon, maire de Sablé-sur-Sarthe, puis titulaire de différents portefeuilles ministériels avant de devenir Premier ministre de Sarkozy, a été condamné par la Cour d’appel en 2022 à 4 ans de prison dont 1 an ferme pour « détournement de fonds publics ». Une récente décision du Conseil constitutionnel sur un point de droit pourrait ouvrir la porte à un troisième procès.
Claude Guéant , ancien secrétaire général de la présidence puis ministre de l’Intérieur sous Sarkozy, s’est révélé être un « bon client » pour les magistrats : il a en effet été impliqué dans une demi-douzaine d’affaires, dont certaines visant à un enrichissement personnel. En 2017, Guéant a été condamné en appel à 2 ans de prison dont 1 ferme pour « détournement et recel de fonds publics ». En 2022, il a également été condamné dans le dossier des comptes de campagne 2012, plus connu sous le nom d’« Affaire Bygmalion », à une peine de 18 mois de prison dont 6 mois fermes. La défense ayant fait appel, cette dernière peine n’est pas encore définitive.
Figure marquante des Alpes-Maritimes, Jacques Médecin, après avoir été secrétaire d’État au Tourisme, a exercé plusieurs mandats de député et de maire de Nice. C’est dans le cadre de ces derniers qu’il s’est rendu coupable de diverses malversations financières. Pour échapper à la Justice française, Médecin s’est enfui en Argentine, puis en Uruguay d’où il a été extradé en 1994. L’année suivante, il a été condamné en appel à 2 ans de prison ferme pour « corruption passive » et « recel d’abus de biens sociaux ». En 1998, une nouvelle peine de 2 ans de prison ferme a été prononcée en première instance par défaut, Médecin étant reparti en Uruguay. Il n’y a pas eu d’appel, le condamné étant décédé cette année-là.
Ancien collaborateur de François Léotard, Michel Mouillot fut maire de Cannes durant 8 ans. Mais c’est moins ses mandats municipaux qui lui ont valu une notoriété nationale que les multiples affaires financières dans lesquelles il a été impliqué. Deux ans après avoir été condamné par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence à 4 ans de prison ferme pour « corruption et détournement de fonds publics », Mouillot a été une nouvelle fois condamné en première instance à Nice à 6 ans de prison ferme pour « corruption, prise illégale d’intérêts, abus de biens sociaux et faux et usage de faux ». Les deux peines ont été confondues, et le condamné n’a pas fait appel de cette 2e sanction.
Ancien maire, député, puis préfet de police de Paris et ministre du Budget, Maurice Papon a été rattrapé par la Justice dès 1983 la suite de la médiatisation, deux ans plus tôt, par Le Canard enchaîné du rôle qu’il a joué en tant que secrétaire général de la préfecture de Gironde dans la déportation des Juifs de la région bordelaise par les nazis. Au terme d’un très long procès – 6 mois d’audience –, Papon a été condamné en 1998 à 10 ans de réclusion criminelle pour « complicité de crimes contre l’humanité ».
Parmi les justiciables de cette liste, Nicolas Sarkozy est à l’évidence celui dont les casseroles judicaires ont été les plus médiatisées, y compris hors de nos frontières. L’homme, qui a cumulé de nombreux mandats et fonctions diverses depuis la mairie de Neuilly-sur-Seine jusqu’à la présidence de la République, est toujours sous le coup d’une instruction dans le cadre de l’« Affaire du financement libyen ». Il a en revanche été, en 2021, condamné en première instance à 1 ans de prison dont 6 mois fermes pour « financement illégal de campagne électorale » dans l’« Affaire Bygmalion ». Un appel est toutefois en cours. Plus dure a été la peine prononcée en 2023 par la Cour d’appel : 3 ans de prison dont 1 an ferme pour « corruption et trafic d’influence » dans le cadre de ce que l’on a nommé l’« Affaire Paul Bismuth ».
Chanteur dans sa jeunesse, puis homme d’affaires, patron baroque de l’Olympique de Marseille et personnalité politique – il a été député et ministre de la Ville –, Bernard Tapie a mené une vie agitée. Condamné en 1996 à 2 ans de prison dont 8 mois fermes en appel dans l’« Affaire OM-VA », il a été à nouveau condamné en 1997, toujours en appel, à 18 mois de prison dont 6 mois fermes pour « fraude fiscale » dans l’« Affaire du Phocéa ». Quant au verdict le concernant dans le cadre de la célèbre « affaire du Crédit Lyonnais », il n’a pas été prononcé : Tapie étant décédé d’un cancer, sa mort a éteint l’action de la Justice avant que le délibéré du procès tenu en 2021 n’ait été rendu public.
Député puis secrétaire d’État, c’est dans le cadre de son mandat de maire de Draveil (près de 26 ans à l’hôtel-de-ville) que Georges Tron a commis, à l’encontre de collaboratrices, les faits qui lui ont valu d’être renvoyé aux Assises pour « agressions sexuelles » et « viol ». En 2021, cet homme autoritaire et manipulateur a été condamné à 5 ans de prison dont 3 ans fermes.
Outre ceux-là, des dizaines de ministres, de sénateurs, de députés, de présidents de collectivités locales ou de maires – et même un ancien chef de l’État – ont été condamnés par la Justice à des peines de prison avec sursis, le plus souvent assorties de pénalités financières plus ou moins lourdes et de peines d’inéligibilité. La plupart ont été sanctionnés pour des malversations commises dans l’exercice de leur mandat. Parmi ces condamnés – excepté ceux, trop nombreux, qui l’ont été pour diffamation – figure une belle brochette de justiciables qui ont eu, peu ou prou en leur temps, une notoriété au plan national :
Sylvie Andrieux, Daniel Aeschlimann, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Bansart, Jacques Barrot, Jean-Michel Baylet, Jean-Pierre Bechter, Pierre Bédier, Jacques Bompard, Jean-Michel Boucheron (un homonyme), José Bové, Philippe Briand, Jean-Christophe Cambadélis, Philippe de Canson Joseph Castelli, Richard Cazenave, Jacques Chirac, Édith Cresson, Serge Dassault, Jean-Paul Delevoye, Harlem Désir, Patrick Devedjian, Hubert Falco, Georges Fenech, Alain Ferrand, Gaston Flosse, Roger Garaudy, Thierry Gaubert, Jean-Claude Gaudin, Alain Griset, François Grosdidier, Jean-Noël Guérini, Meyer Habib, Jean-Paul Huchon, Alain Juppé, Jean-Christophe Lagarde, Jérôme Lavrilleux, Jean-Marie Le Chevallier, François Léotard, Gérard Longuet, Alain Madelin, Jean-François Mancel, Jean-Charles Marchiani, Catherine Mégret, Jacques Mellick, Michel Mercier, Lucette Michaux-Chevry, Michel Noir, Charles Pasqua, Jean-Pierre Pernot, Jérôme Peyrat, Éric Piolle, Jean-François Pupponi, Julien Ravier, Didier Robert, Michel Roussin, Wallerand de Saint-Just, Didier Schuller, Daniel Simonpieri, Thomas Thévenoud, Jean et Xavière Tibéri, Jean-Jacques Urvoas, Manuel Valls.
Qui seront les prochaines personnalités politiques condamnées* ? Les jeux sont ouverts...
Cela dit, une chose est sûre : une majorité de nos concitoyens est écœurée par le non-respect récurrent des engagements de campagne, mais aussi furieuse des choix politiques ou économiques désastreux pour les classes populaires, ou bien encore dégoûtée par l’incurie des gouvernants dans la reconquête – toujours différée – des quartiers en déshérence. Mais contrairement au vœu, très largement fantasmé, d’un grand nombre de nos compatriotes, il ne se passera rien en termes judiciaires à l’encontre des élus coupables de ces manquements.
Le plus souvent délibérés, parfois emblématiques d’une évidente incompétence, et trop souvent symptomatiques du mépris des élites pour les attentes populaires, ces manquements ne constituent en effet pas des motifs de poursuite au regard du Code pénal. Ce n’est donc pas à la Justice que les élus déloyaux vis-à-vis de leurs électeurs devront rendre des comptes au terme de leur mandat, mais à leurs électeurs s’ils ont l’outrecuidance de solliciter à nouveau leurs suffrages.
* Olivier Dussopt est actuellement le mieux placé : le 27 novembre, 10 mois de prison avec sursis ont été requis contre lui pour « favoritisme » ; les magistrats feront connaître leur décision le 17 janvier.
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