Nostradamus : un devin controversé
A chaque événement marquant des médias se réfèrent aux prophéties de Nostradamus : l'implosion de l'URSS - l'attaque des twin-torwers - l’élection du pape François - l'incendie de Notre-Dame - les gilets jaunes (mutins vestus d'or) - l'islamisation : « Par la discorde négligence Gauloyse Sera passage a Mahommet ouvert », ou « Dans le Danub et du Rin viendra boire ; Le Grand Chameau, ne s'en repentira ; Trembler du Rofne, et plus fort ceux de Loire ; Et près des Alpes Coq le ruinera » - la pandémie de la Covid 19... Prophéties ou divagations poétiques ?
Michel de Nostredame né à Saint-Rémy-de-Provence le jeudi 14 décembre 1503 est l'aîné d'une famille de six enfants nés d'un père notaire et de dame Reynière, une descendante de la tribu israélite d'Issakhar. Lors du rattachement de la Provence au royaume de France (1499), l'édit de Louis XII ordonne l'expulsion des Juifs ou leur conversion sous peine de confiscation de tous leurs biens. Son arrière grand-père paternel choisit de se faire baptiser en 1459 et de prendre le nom de Pierre de Nostredame.
Michel de Nostredame passe son enfance à Saint-Rémy-de-Provence instruit par des membres de la famille avant d'aller poursuivre ses humanités en Avignon en 1518. Celles-ci terminées, il s'inscrit en 1521 à la faculté de médecine de Montpellier. L''« année terrible » (1523) connaît une sécheresse et une famine catastrophiques. Deux années plus tard, la peste venue d'Italie va se répandre en Provence et en Roussillon, la Faculté de médecine ferme ses portes (certains auteurs pensent qu'il en aurait été exclu). Michel de Nostredame va alors pérégriner dans le sud-ouest : Narbonne, Toulouse, Bordeaux pour y soigner les malades et approfondir ses connaissances en « pharmacaitrie ».
Michel de Notresdame, passionné par les auteurs de l'antiquité grecque et latine, rejoint la faculté de médecine de Montpellier en 1529 sous le nom de Micheletus de Nodta Domina... Ses études terminées, le jeune médecin épouse vers 1533 Anne de Cabrejas, la fille d'un notable d'Agen qui lui donnera deux enfants, un garçon et une fille. Cinq années plus tard sa femme et ses deux enfants décèdent de la peste ; ses beaux-parents de lui réclamer la dot versée à leur fille.
En 1538, Michel de Nostredame est soupçonné par le Tribunal de l'Inquisition de Toulouse de fréquenter des hérétiques. Pendant six ans il va se déplacer en France et en Europe. En 1544, la région d'Aix-en-Provence est victime d'inondations et d'une reprise de la peste. Michel de Nostredame soigne les malades avec un onguent composé de feuilles de cyprès mêlées à de l'eau de rose rouge et des clous de girofle. Le 11 novembre 1547 il épouse Anne Ponsard, une jeune veuve de Salon-de-Crau (Salon de Provence) qui lui donnera trois filles et trois garçons. Le couple s'installe à Saint-Remy-de-Provence où Michel de Nostredame exerce comme médecin et « astrophile ». A la renaissance, l'horoscope reste déterminant pour connaitre l'issue de la maladie et en choisir le traitement. « L'anatomie relie chaque organe à un signe du zodiaque, autorisant un pronostic, en cas de maladie, selon la position des astres qui exercent leur influence sur les hommes ».
Il est de coutume à l'époque de latiniser son patronyme, Michel de Nostredame devient Nostradamus, que l'on pourrait traduire par : nous donnons (domus) les choses qui sont les notres (nostra). La translittération de Nostredame en latin serait Nostra domina. Nostradamus évoque aussi un travestissement macaronique. La langue macaronique, apparue au XV° siècle en Italie pour la poésie va se répandre en Provence parmi les étudiants. Il s'agit d'un mélange de provençal et de la langue françoyse vulgaire suivi d'une terminaison latine. Cette forme d'écriture est utilisée par des poétes et dans les milieux universitaires hostiles au monde judiciaire, au clergé et aux marchands. En 1536, la poésie macaronique est répandue dans toute la Provence (Ad Suos Compagnones studiantes d'Antoine Arène a été publié en 1529).
Nostradamus voyage à la rencontre d'apothicaires en Italie : Venise, Milan, Gênes, Savonne, Vérone avant de se fixer en 1549 à Salon-de-Crau et de publier ses « Pronostications », des almanachs mêlant l'astrologie avec des prévisions météo pour les semailles, obtenir d'abondantes récoltes, et des conseils de santé (Nostradamus a recours aux éphémérides de : Casellus, Moletues, Pitatus et de Simus). Les premiers almanachs valables une année sont vendus sur les marchés. A partir de 1555, le lecteur peut découvrir pour chaque mois de l'almanach, un quatrain décasyllabique devant annoncer un événement marquant.
Les Présages sont publiés au mois de mai 1555 sous forme de recueils. La première édition des Centuries est confiée, après avoir reçu l'autorisation royale, à Macé Bonhomme imprimeur à Lyon. Ces prophéties au style sibyllin sont rédigées sous une forme versifiée, les quatrains, strophes de quatre vers en rime réunis par cent forment une Centurie, un format courant au XVIe siècle. La première édition compte 353 quatrains. L'année suivante, Nostradamus publie « livre de recepte ou Traité des confitures » texte qu'il a rédigé depuis 1552. Une nouvelle édition des Centuries est publiée en 1557 par le maître imprimeur Antoine du Rosne, elle inclut 642 nouveaux quatrains, sixtains et présages. L'édition complète des Centuries (I à X) publiée en 1568 regroupe 6.338 prophéties valables jusqu'à l'an 3.797.
Un quatrain va contribuer la renommée de Nostradamus : « Le Lyon jeune le vieux surmontera ; En champ bellique par singulier duelle ; Dans cage d'or les yeux lui crèvera ; Deux classes une ; puis mourir, mort cruelle ». Selon certains auteurs modernes, ce quatrain fait référence à la mort du roi Henri II lors d'un tournoi dans le quartier du Marais (Paris). Le vendredi 30 Juin 1559, des cérémonies célèbrent le traité de Cateau-Cambrésis qui met fin aux affrontements entre les armées de Henri II, roi de France et celles de Philippe II roi d'Espagne pour le contrôle de l'Italie. Au second assaut les lances se brisent, un éclat de celle de Gabriel de Lorgnes comte de Montgomery, capitaine de la Garde du roi, glisse sur la cuirasse, de s'introduire sous la visière d'Henri II et pénétrer dans l'œil du roi. Malgré les soins prodigués par Ambroise Paré et André Vésale, Henri II s'éteint le 10 juillet. A noter que personne, à l'époque, n'a établi un quelconque rapprochement entre la mort du roi et la prophétie de Nostradamus... Pour quelques spécialistes, il s'agirait de faits relatifs à la 4° croisade (1198-1204) et non à la mort du roi Henri !
Le 16 décembre 1561, le comte de Tende, gouverneur de Provence de passage à Salon fait arrêter Nostradamus sur l'ordre du roi. Lors de son séjour à Agen, Nostradamus n'aurait prononcé des paroles en faveur des Luthériens devant des Franciscains qui en attestèrent devant l'Inquisiteur de Toulouse. Nostradamus est relâché et peut continuer à rédiger ses almanachs sans être inquiété. Les ouvrages de Nostradamus ont traversé les siècles sans jamais connaître la censure des autorités religieuses, ni voir leur inscription à l’index des livres interdits. Le Pape accepta que l'almanach de l'année 1563 lui soit dédié.
L'opinion publique reste très partagée sur les prophéties nostradamiennes. Nostradamus : médecin, apothicaire, astronome, astrologue, poète, qui parle latin, grec, hébreux, provençal, arabe, allemand, espagnol et admiré de Ronsard (un des sept poètes du mouvement littéraire la Brigade devenue la Pléiade en 1556) ne peut être dissocié de : la renaissance - la révolte des Cabans - des guerres religieuses - l'inquisition - la peste - la guerre contre les Anglais, etc. Les Centuries reflètent les hantises de l'époque : cataclysmes naturels, épidémies, famines, phénomènes astronomiques incompris et leur cohorte de malheurs. Après Copernic, les prédictions seront délaissées par les lettrés et par les hommes de science et restées cantonnées aux nativités (horoscopes).
Les Centuries ont connu plus de 200 rééditions et ont donné lieu à la publication de près de dix mille ouvrages ! Très peu de documents existes et de nombreuses divergences apparaissent entre les interprétations des historiens, des auteurs lambda et des exégètes. On ne connaît pas le texte original des Prophéties rédigées en latin, seules des copies retouchées au cours des siècles ou des traductions comportant des altérations sont parvenues jusqu’à nous. Les Centuries astrologiques ont été rédigées pendant une période de transition entre le latin et le français devenu langue administrative en 1539 (ordonnance de Villers-Cotterêts). L'imprimerie se généralise, mais des indifférenciations perdurent (i/j - u/v - s, x ou z pour le pluriel). Le passage de l'ancien françoys au moyen français et la prononciation rendent le sens incertain auxquels viennent se surajouter : les erreurs du copiste, du correcteur (passage du manuscrit à l'imprimé), de l'imprimeur et les transgressions volontaires de Nostradamus...
Les textes courts ajoutent à herméticité et contribue à les « densifier ». Selon les éditions, le texte mêle l'alphabet latin et grec, la langue provençale, des abréviations (phi veut dire Philippe ou le nombre d'« or » 1.618), des symboles astrologiques et ésotériques qui en complique l'interprétation. La renaissance voue un véritable culte aux écritures secrètes, quelques auteurs soutiennent que Nostradamus a dissimulé les clefs pour la lecture des Centuries dans le « livre de recepte ou Traité des confitures ». Le moine Johannes Trithemus a publié Polygraphie (vers 1499), dans lequel il détaille une méthode stéganographique dont le texte final ressemble à un poème en latin (Ave Maria). Les lettres sont remplacées par des mots de façon à présenter un texte anodin, chaque mot ou locution correspond à une lettre : dans la félicité = R, a perpétuité E, en paradis N et ainsi de suite. Les marchands et les hommes politiques des Républiques de Venise, Florence et la papauté mobilisent leurs meilleurs savants sur la question. Au milieu du XVI° siècle, Blaise de Vigenère popularise une méthode dérivée de celle de Johannes Trithemus, et Jérôme Cardan invente le principe des grilles. Certains vers et quatrains déstructurés semblent assimilables au cut-up ! Nostradamus a-t-il « découvert » le procédé bien avant William Seward Burroughs ?
Nostradamus utilise rarement le futur, il fait seulement mention de neuf dates pour 1.000 quatrains. Selon Jean Perrat (1881), les détails astrologiques peuvent indiquer la date d'un événement : « Tremblement si fort au mois de May / Saturne, Caper, Iupiter, Mercure au bœuf / Vénus aussi, Cancer Mars. En Nonnay / Tombera gresles lors plus grosse qu'un œuf », ce qui correspond à la date du tremblement de terre et aux fortes averses dans la région ardéchoise survenus le 4 mai 1549... Au XVI°, l'astrologie repose encore sur les prédécesseurs de Ptolémé. La Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Jupiter et Saturne tournent autour de la Terre (géocentrisme) enveloppés par des étoiles fixes. Nicolas de Cues a découvert que la terre tourne sur son axe en 1440, Copernic l'héliocentrisme vers 1513 et que la Terre est une planète. De Revolutionibus Orbium Coelestium publié trente années plus tard restera inscrit à l'Index des livres interdits par l’Église jusqu'en 1835 !
Au XVI° siècle, le calendrier Julien marque dix jours de retards sur les saisons. La rotation de la Terre autour du Soleil dure 365 jours, 5 heures, 48 minutes et 46 secondes, ce qui entraîne un décalage de trois jours tous les 400 ans. Ce n'est qu'en 1582 que le pape Grégoire XIII décide d'y retrancher 10 jours. Le jeudi 4 octobre est suivi du vendredi 15 octobre ! Les années divisibles par 400 seront bissextiles (1600, 2000), retranchant ainsi 3 jours tous les quatre siècles. Autre inconvénient, une même date d'une année à l'autre, tombe à des jours différents, et les trimestres n'ont pas le même nombre de jours.
Le 17 juin 1566, Michel de Nostradamus rédige son testament qu'il déchire en trois parties, d'en remettre une à Maître Roche, une autre à sa femme et la dernière à son frère Jehan, les trois parties devront être réunies après sa mort. Le 2 Juillet il est « Trouvé tout mort prez du lict & du banc » emporté par une crise cardiaque à l'âge de 62 ans, 6 mois et 10 jours. Sa dépouille est d'abord inhumée dans l'église du couvent des Frères Mineurs de Salon-de-Provence, puis déplacée dans l'église Saint-Laurent. En 1791, la sépulture est violée et le cercueil brisé à coups de hache par des soldats de la Garde nationale du Vaucluse qui pensent y découvrir quelques valeurs monnayables. Tout ce qu'ils y découvrent, selon la légende, une plaque de cuivre portant sa dernière prophétie : « Quand nonante cinq reviendra - Après ; six ans de libera ; - François, d'un grand heur jouira, - Qui moi de mai fleuri, verra ». Les nostradamiens y lisent la date de la profanation de la sépulture...
Bis repetita placent.
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