Notes sur la pédophilie et les seuils de consentement (2)
L’histoire détaillée des seuils de consentements montre des fluctuations autour de l’âge de 14 ans. Pédophilie et révolution, ou pédophilie et progrès, ont été liées dans l’esprit de certains. Selon un écrivain français, « Les enfants sont le dernier bastion de la haine du sexe. »
« Pourquoi, vers le milieu du siècle dernier, a-t-on laissé "œuvrer" pendant plusieurs lustres, dans un prestigieux établissement public d’enseignement secondaire de Lyon, deux aumôniers catholiques, le Père A. et le Père G. dont les comportements nous semblent, aujourd’hui, sans équivoque ? » Dans un e-mail, il me précisait :
8 – L’histoire détaillée des seuils de consentements est encore à faire. Selon Aetius, "Héraclite [d’Éphèse] et les Stoïciens déclarent que les hommes commencent leur maturité à la fin de la seconde série de sept années, au moment où l’activité sexuelle se développe." (Opinions, IV, v, 23). Clément d’Alexandrie indiquait que l’âge de l’éphébie était 14 ans en Égypte grecque (Le Pédagogue, III, x, 49). Dans la Rome antique, on pratiqua d’abord l’inspection physique des adolescents pour savoir s’ils étaient pubères ou non ; puis l’empereur d’Orient Justinien (482/565) fixa l’âge de la puberté à 14 ans (Corpus Juris Civilis, "Institutes", I, 22). Ce seuil fut conservé par Grégoire IX (pape de 1227 à 1241) pour le droit canon (Décrétales, IV, ii et V, xxiii).
En France, un seuil légal de 11 ans fut établi en avril 1832. Selon le Garde des Sceaux de l’époque, les jurés se montraient déjà très sévères dans de semblables occasions [relations avec un enfant de moins de 11 ans] car l’enfant n’était jamais considéré comme ayant donné son consentement. Le Code pénal de 1791 réprimait "l’enlèvement d’une fille de moins de 14 ans par violence pour en abuser ou la prostituer" (article 33). À Naples, tout attentat à la pudeur était présumé commis à l’aide de violences s’il avait lieu sur une personne âgée de moins de 12 ans accomplis (Lois pénales de Naples, 1819, article 339). M. Gaillard-Kerbertin proposa sans succès le seuil de 15 ans pour harmoniser avec l’article 332 concernant l’attentat à la pudeur avec violence (Supplément au Moniteur, 3 décembre 1831).
- 11 ans de 1832 à 1863 ;
- 13 ans de 1863 à 1942 ; moyen terme entre 12 ans (Toscane, Sardaigne et Deux-Siciles) et 14 ans (Autriche, Prusse et Suisse), car "l’influence des climats est ordinairement prise en considération dans ces matières".
- 13 ans de 1942 à 1945 pour les relations hétérosexuelles ;
- 21 ans de 1942 à 1974 pour les relations homosexuelles ; disposition du régime de Vichy, conservée en 1945 (ordonnance du 8 février 1945), et effaçant la liberté accordée à l’homosexualité depuis la loi du 19/22 juillet 1791 sur l’organisation de la police correctionnelle.
- 15 ans de 1945 à 1982 pour les relations hétérosexuelles ; ordonnance du 2 juillet 1945, conforme aux vœux de certains criminalistes.
- 18 ans de 1974 (loi 74-631 du 5 juillet 1974) à août 1982 pour les relations homosexuelles.
- 15 ans depuis 1982 (loi 82-683 du 4 août 1982) pour les relations homosexuelles ; la différence de seuil hétéro/homo est donc supprimée en France depuis 1982. Elle subsiste dans un seul pays de l’Union Européenne, 16/18 au Royaume Uni. Les autres pays ont un seuil uniforme, de 14 ans (Autriche, Italie), 15 ans (Danemark, Grèce), 16 ans (Belgique, Hollande, Espagne, Finlande et Portugal) ou 17 ans (Irlande). La Russie possède également un seuil uniforme de 14 ans. En Allemagne existe un seuil "élastique", les relations avec un partenaire de plus de 14 ans mais de moins de 16 ans pouvant ne pas être poursuivies, selon les circonstances.
9 - Des relèvements de seuils analogues s’étaient produits dans d’autres pays d’Europe pendant les derniers siècles. En Angleterre, une loi de 1575/76 fixait l’âge limite à 10 ans pour les filles, seuil porté à 12 ans en 1861, puis élevé à 16 ans en 1885. Cette évolution est concommitante de la tendance de l’époque contemporaine à l’instauration, puis à la prolongation, de la scolarité obligatoire – jusqu’à 16 ans en France actuellement – et à l’abaissement de l’âge de la majorité civile : pour la France, cette majorité a été abaissée de 25 à 21 ans en 1793, de 21 à 18 ans en 1974 ; ceci venant après l’élévation de 15 à 25 ans au cours des XIVe et XVe siècles. Du VIIIe au XIIIe siècle, cette majorité était à 15 ans 7, seuil qui reste celui du mariage pour les filles (article 144 du Code civil).
Il semble que la notion d’enfant soit aujourd’hui en passe de se confondre avec celle de mineur, et que le législateur, y compris le législateur européen, soit à la recherche d’un seuil unique de maturité ; ce qui sera bien difficile à mettre en œuvre, ne serait-ce que pour la majorité pénale partielle, actuellement fixée à treize ans en France, et qu’on ne peut envisager de relever dans la situation actuelle de délinquance juvénile importante et en augmentation.
10 - Les tentatives de justification de la pédophilie stricto sensu ont émané de la partie la plus radicale du mouvement homosexuel. En 1977, le Manifeste du Groupe Homosexuel de Clermont-Ferrand disait lutter "pour que le droit à la sexualité soit reconnu sans limitation d’âge" (point 6). En 1980, le G.R.E.D. (Groupe de Recherche pour une Enfance Différente) revendiquait le "libre choix de sa sexualité quel que soit son âge" (Masques, n° 5, été 1980, p. 104). Il est vrai que les homosexuels masculins semblent sur-représentés dans les affaires de pédophilie. Selon l’inventaire du Dr Charles Perrier, un tiers des victimes de moins de treize ans d’attentats à la pudeur étaient des garçons (Les Criminels, 1900). Selon le Dr Marcel Eck, la pédophilie "est habituellement homosexuelle, mais pas toujours". D’après Frank M. Du Mas, il y aurait quatre à cinq fois plus de pédophiles parmi les homosexuels que parmi les hétérosexuels (Gay is not good, Nashville : T. Nelson, 1979).
Pédophilie et révolution, ou pédophilie et progrès, ont été liées dans l’esprit de certains. Le 26 janvier 1977, le quotidien Le Monde publiait une pétition en faveur de trois inculpés maintenus trois ans en détention préventive ; il s’agissait de l’affaire dite de Versailles, dans laquelle un sénateur belge, E. Brongersma., décédé en 1998, échappa de peu à l’arrestation ; parmi les signataires, on relevait les noms de : Louis Aragon, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Jean-Louis Bory, Bertrand Boulin, François Chatelet (tous les six décédés), Patrice Chéreau, Gilles Deleuze, Jean-Pierre Faye, André Glucksmann, Félix Guattari, Bernard Kouchner (aujourd’hui ministre d’ouverture et soutien de Roman Polanski), Jack Lang, Danielle Sallenave, Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers.
L’écrivain Jean Gattégno, biographe de Charles Dickens et de Lewis Caroll, avait assimilé la répression des violeurs et des proxénètes d’enfants à la persécution d’homosexuels plus ordinaires dans son article "Du pécheur au militant", paru dans la revue gallimardienne Le Débat (n° 10, mars 1981, pp. 118-131) ; il sollicitait lourdement l’indignation du lecteur de l’article, confusionnant au passage les affaires Dugué et Croissant : « Impossible ici de ne pas renvoyer à l’affaire de cet éducateur employé par la municipalité d’Ivry, et qui fut finalement licencié lorsque’un employé de la F.N.A.C. eut transmis à la police des photos d’enfants qu’il avait données à développer » (note 34). Il déplorait que les « tabous » survivent : « ainsi la pédophilie et la "transsexualité" sont-elles jugées, par beaucoup d’homosexuels, comme des déviances qu’il serait inopportun de défendre » ; il s’agissait « avant tout d’inscrire la lutte pour la libération des homosexuel(le)s dans le combat pour la révolution », ce qui explique le souhait final d’une « vraie répression pour créer des militants ».
En 1984, le mouvement homosexuel C.U.A.R.H. réclama dans son Manifeste européen la légalisation de la pédophilie, mais le gros du mouvement homosexuel s’en tient encore à sa "pentalogie" GLBTQ, gais, lesbiennes, bisexuels, transexuels et queer. À la fin des années 1970, le Groupe de Libération Homosexuelle de Rouen demandait l’abaissement de la majorité sexuelle à 13 ans, mais ajoutait : « En dessous de 13 ans, le problème est complètement différent. Il n’est pas question pour nous de cautionner ni de défendre des relations directement sexuées entre un adulte et un mineur de moins de 13 ans. » (Allonz’ enfants, n° 6, hiver 1978-1979)
11 - La revue L’Infini publiée par Gallimard (avec le concours du Centre National des Lettres) et dirigée par Philippe Sollers (signataire de la pétition de 1977) a consacré l’ensemble de son numéro 59 d’automne 1997 (142 pages) à "La Question pédophile", avec une suite, une réaction publiée dans le numéro 60 d’hiver 97-98. Un questionnaire a été proposé, quarante-deux réponses de personnalités sont publiées.
Roger Dadoun définit la pédophilie comme "intérêt sexuel pour l’enfant avec passage à l’acte" ; le pédophile selon Catherine Millot est un "adulte ayant des relations sexuelles avec un impubère". Bertrand Boulin (1949-2002, fils de l’ancien ministre R.P.R. Robert Boulin) constatait que "l’enfant est aujourd’hui le mineur" ce qui est certes une confusion regrettable [encore faite par Roland Castro sur La Cinquième – Ripostes, 11 mars 2001, et par Philippe Sollers sur LCI, 14 mars 2001]. Frédéric-Charles Coulet posait une question : "Y aurait-il par hasard un rapport entre la criminalisation [il s’agit plutôt de stigmatisation, puisque la pédérastie est légale sur la tranche d’âge 115-18] de la pédérastie, l’éclipse d’une certaine beauté chez les jeunes et la délinquance des mineurs qui insiste chaque matin dans les colonnes des journaux ?" Florence Dupont déplorait un "déferlement de bonne conscience fondé sur la haine" et Gilles Chatelet (dans le n° 60) une "hystérie anti-pédophile". Le magistrat Yves Lemoine constatait que "le sort de l’enfant est d’être abusé", mais on peut ne pas s’y résigner.
Renaud Camus y écrivait, bien naïvement : "Si la sexualité, comme je crois, n’a strictement rien de répréhensible en soi, on ne voit pas pourquoi elle le serait chez les enfants, ou avec les enfants. Il est absurde de considérer qu’elle serait illicite jusqu’à un certain âge, et deviendrait licite du jour au lendemain, dès que cet âge est dépassé. Les enfants ont une sexualité et des pulsions sentimentales bien connues, qui peuvent très bien se porter sur des adultes, en particulier sur de jeunes et beaux adultes, professeurs de gymnastiques ou moniteurs de colonies de vacances, comme nous l’avons tous vu" ; il considérait la pédophilie comme une "arme absolue de langage". Sur son site web, visité le 18 mai 2001, il persistait : « Les enfants sont le dernier bastion de la haine du sexe. Autant dire qu’il est farouchement protégé. Pourtant, si on pensait vraiment que le sexe est tout à fait innocent ; si on était tout à fait convaincu, comme je le suis, que par essence il est tout entier du côté de la douceur, de la bienveillance, de la gentillesse, de l’humour, et bien sûr de la plus complète liberté de chacun ; si on acceptait de l’envisager comme un des plus grands bonheurs de la vie, certes, mais aussi comme l’un des rapports humains les plus riches, les plus complexes, les plus chargés de civilisation et de sens ; si on croyait vraiment tout cela, que l’on dit croire, mais que l’on ne croit pas sérieusement, la preuve, on ne trouverait pas si monstrueux que des adultes initient des enfants à ces plaisirs-là, pourvu qu’il s’agisse bien de plaisirs, et véritablement de liberté. »
Sylvain Desmille caractérisait pertinemment la pédophilie comme un "métissage des temps", ce qui est également vrai de la pédérastie grecque ou gidienne, et bien souvent même de la sexualité entre adultes ; comme l’écrivait Frédéric Nietzsche dans ses notes de lecture sur Dühring, « toutes les fois que la différence d’âge ou de caractère produit un contraste semblable à celui de l’homme et de la femme, ce contraste peut aussi bien nourrir une expression dans la sensibilité », ce qu’il n’était pas le premier à remarquer (car Horace et Montaigne avant lui). Enfin, deux exemples de l’inexistentialisme selon Marcel Gauchet : pour Philippe Forest, "l’enfance n’existe pas, elle est le rêve du pédophile" ; pour Michel Houellebecq, "les pulsions sexuelles de l’enfance n’existent pas".
12 - À la différence de l’homosexualité, la pédophilie n’avait jamais trouvé le moindre commencement d’adhésion chez les grands auteurs classiques ou modernes, à l’exception notable du marquis de Sade. Elle était explicitement rejetée par Platon (Symposium, 181 d-e), ce qui passe trop souvent inaperçu : le convive Pausanias reprochait à ceux qui aiment les impubères de surprendre leur jeunesse et de profiter de leur crédulité pour les duper avant de les abandonner ; et il estimait que la loi aurait dû interdire les relations avec les garçons trop jeunes. Si l’interdiction semble conçue plutôt dans l’intérêt de l’amant que dans celui de l’enfant, il reste la notion de duperie dans le cas de l’enfant. Dans les Lois (II, 653 b-c), Platon réaffirmait l’incapacité morale de l’enfant dans les relations amoureuses. Le philosophe Aristoxène de Tarente pensait que l’apprentissage tardif de la sexualité était préférable, qu’il fallait empêcher l’enfant de chercher à avoir des relations sexuelles, et même de savoir ce dont il s’agit, avant l’âge de vingt ans (Stobée, Florilège, IV, xxxvii, 4).
Michel Onfray faisait donc erreur, dans son Antimanuel de philosophie (Rosny : Bréal, 2001) en affirmant : « Un pédophile, dans la Grèce de Platon, n’est pas condamné ou condamnable » (page 134) ou « À l’ère atomique, Socrate croupirait en prison. » (page 135).
Dans ses deux premières brochures (1864) le magistrat allemand K. H. Ulrichs, grand défenseur des homosexuels et promoteur du concept de "troisième sexe", précisait que le pais grec n’était pas un impubère, ce qui a été confirmé depuis par plusieurs hellénistes chevronés (H. I. Marrou, K. J. Dover, F. Buffière, B. Sergent) : son âge allait de 12-15 ans à 20-21 ans.
Montaigne déplorait le non-respect de "l’âge de choix et de connaissance" en amour (Essais, III, v, page 868, et xiii, page 1087 de l’édition P. Villey/PUF), ce qui correspond exactement au "consentement avec discernement" que l’on exige aujourd’hui ; il ajoutait : "l’amour ne me semble proprement et naturellement en sa saison qu’en l’âge voisin de l’enfance" (III, v, page 895), mais l’âge voisin de l’enfance, ce n’est pas l’enfance (distinction reprise par Tolstoï dans Enfance, adolescence et jeunesse) ; il esquissait la description d’une véritable liberté sexuelle en écrivant « qu’on aime un corps sans âme ou sans sentiment quand on aime un corps sans son consentement et sans son désir. » (III, v, page 882). Des mots qu’on n’a hélas plus guère l’habitude d’entendre ... Le marxisme vulgaire et la sociologie aidant, les « pratiques sexuelles » ont remplacé l’amour.
Montesquieu était choqué qu’une loi anglaise permette à une fille de sept [ou dix ?] ans de se marier : "Cette loi était choquante de deux manières : elle n’avait aucun égard au temps de la maturité que la nature a donné à l’esprit, ni au temps de la maturité qu’elle a donné au corps." (Esprit des lois, XXVI, 3). Ces deux temps de la maturité sont en effet requis simultanément dans les relations amoureuses et sexuelles. Les critiques que Voltaire adressaient aux non-conformistes ne visaient pas la relation symétrique des "garçons qui s’aiment" (Traité de Métaphysique, chapitre IX), mais toujours une situation d’abus de pouvoir des jésuites et autres religieux (Desfontaines et Marsy, notamment) sur leurs élèves ; abus de pouvoir que la gauche anticléricale dénoncera vigoureusement tout au long de la IIIe République (alors qu’aujourd’hui la gauche caviar se mobilise en faveur de Roman Polanski). L’utopiste Charles Fourier imaginait que l’harmonie passionnelle, qui devrait réaliser une pleine "liberté en amour" (l’expression est de Molière dans Dom Juan) rejetterait quiconque "enseignerait aux enfants ce qu’ils doivent ignorer" (Le Nouveau monde amoureux). Encore le respect de l’âge des jouets et de l’étude, avant celui de l’amour.
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