Notre lavage cérébral quotidien

La télé fonctionne sur le principe du plaisir - un plaisir facile. On peut dire que la télé se tète comme un sein, mais avec les yeux. Et c'est un plaisir de téter, un plaisir de basse intensité, mais l'important est le flux et la tiédeur de ce qui coule. Le contenu de ce que l’on nous montre va des émissions amusantes les plus légères aux scènes de violence les plus atroces. Mais même les images les plus douloureuses ne nous empêchent pas de dormir. C'est peut-être une homéopathie de l'horreur brute. L'image choc est aussitôt remplacée par une autre, par mille autres, et la mise en flux sur l'écran de ce qui dérange, la désamorce, l'exorcise. L’émotion, les larmes qui sont le carburant ordinaire de la télévision, ne signifient pas grande chose. Ce sont de mauvais conducteurs des sentiments profonds. Si beaucoup de gens versent plus de pleurs aux feuilletons télévisés qu’à l’enterrement de leurs proches, c’est que la mise en scène est meilleure.
La course à l'audience, dont les effets se manifestaient jusqu'alors par des surenchères pour la diffusion de films ou d'événements sportifs, pervertit maintenant tout autant "l'information" télévisuelle. C'est la quête permanente de l'audience qui impose les sujets à retenir, instillant, jour après jour, une hiérarchie de valeurs, et créant sa propre réalité. La télévision s'arroge le droit de fabriquer de toutes pièces des objets d'information qui, au départ, n'existaient pas. Elle impose ainsi les sujets qui lui paraissent devoir être les seuls à retenir l'attention, et l'ensemble des autres médias, dans un réflexe d'alignement, ne traitent plus que des seuls thèmes dont la télévision a jugé bon de parler.
Bien entendu, le souci de vendre, de répondre aux demandes d’un public ne sont pas des préoccupations triviales. Elles accompagnent toute l’histoire de la presse démocratique et seules les sociétés totalitaires avaient prétendu s’en affranchir. Mais l’information n’est pas seulement une marchandise. Elle a toujours partie liée avec la vérité, l’esprit public, la morale républicaine. L’impérialisme du marché sur l’information n’entraîne pas seulement une dégradation de celle-ci au rang de pure marchandise, mais aussi la victoire du divertissement sur l’information et du consommateur sur le citoyen. Il aboutit, de façon plus pernicieuse, à une révision du concept même de vérité. Le marché ne retient et ne recycle que des vérités vendables. Il ne s’intéresse qu’aux révélations, fussent-elles abjectes, pour lesquelles on subodore l’existence d’un public. Les autres, toutes les autres, sont renvoyées au néant.
Les images défilent, s'empilent, se télescopent, s'annulent à force de changements de cap, d'accélérations, d'émotions et de course contre la montre. Le sacro-saint rythme du défilement des séquences est essentiel : pensez donc, si le téléspectateur allait sur une autre chaîne ! L'office de 20 heures aborde à chaud deux fois plus de sujets qu'il y a vingt ans, qu'il traite deux fois plus vite avec deux fois moins de réflexion, mais avec la même mise en scène. Il s'ensuit une uniformisation rampante de la pensée, un totalitarisme mou d'extrême centre et la menace à terme d'un abêtissement généralisé.
Nous sommes constamment exposés à la surmédiatisation d'un fait, d'un événement, d'une personnalité et parfois même d'une idée qui, à un moment donné, emplit des ondes et les pages de nos médias. L'information-spectacle est fille de cette surmédiatisation. Le monde politique a lui-même une responsabilité certaine. Se montrer devient plus important que prouver sa capacité à agir. Pour un député, se faire voir au journal télévisé paraît plus important que de défendre un engagement ou une proposition de loi. En agissant de la sorte, les politiques se plient aux exigences de la toute puissante Télévision. Les journalistes télévisuels sont moins des professionnels de l’information que les personnalités du show business.
Notre vision du monde résulte essentiellement de celle qui nous est donnée à voir et à entendre par les médias audiovisuels, qui exercent un véritable magistère sur les représentations collectives qui prévalent à un moment donné. Heureusement nous avons a la capacité de décoder les informations ou désinformations, à en extraire de leur masse sans cesse croissante ce que nous jugeons bon de croire et de critiquer.
La télévision est une machine à décerveler l'opinion. Ses dérives illustrent au plus haut point la caricature du système de l'information. Les autres médias, et notamment la presse écrite, s'escriment souvent dans un "suivisme" aussi malheureux qu'inopportun. Seuls les débats publics sur les sites comme Agoravox nous offrent une alternative.
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