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Accueil du site > Tribune Libre > Nous confondons crise et transformation

Nous confondons crise et transformation

Non, le futur n’est pas la reproduction du passé en pire

Le mot « crise » est sur toutes les lèvres, présent au détour des toutes les analyses, leitmotiv de cette fin d’année 2011. Cette crise omniprésente, qui fut d’abord vue comme courte et provisoire, est aujourd’hui perçue comme devant durer au moins en 2012, et pour la plupart beaucoup plus longtemps.

Mais, parler de « crise », c’est :
- Penser que nous ne vivons qu’un moment transitoire et désagréable,
- Imaginer qu’une maladie est venue troubler notre organisme et qu’il faut la soigner,
- Et finalement croire que le futur sera identique au passé. Serrons les rangs, donnons un bon coup de collier, et tout repartira comme avant, en quelque sorte !

Je crois qu’une telle vue est profondément fausse, et est largement source du désenchantement actuel. En effet, nous ne vivons pas une crise, mais nous nous vivons un processus de transformation : demain ne sera pas du tout comme hier, et, comme une chenille au moment de sa mue en papillon, nous subissons une réorganisation en profondeur de notre monde.

Quels sont les moteurs de cette transformation et en quoi le monde de demain sera-t-il si différent ?
J’en vois trois essentiels qui se renforcent mutuellement et s’articulent entre eux :
Les niveaux et le mode de vie convergent entre tous les pays : le niveau de vie moyen d’un habitant de nos pays développés était en 1990, soixante fois celui d’un Chinois ou d’un Indien, et huit fois celui d’un Brésilien ; en 2010, il n’était « plus » que neuf fois celui d’un Chinois, trente fois celui d’un Indien, et quatre fois celui d’un Brésilien (voir mes articles Faire face à la convergence des économies mondiales et Nous n’éviterons pas la baisse de notre niveau de vie),
Le système économique et industriel passe de la juxtaposition d’entreprises et d’usines, à un réseau global et de plus en plus complexe : les entreprises ont tissé des réseaux denses entre elles, et entre leurs différents lieux de production. Chaque produit, chaque service, chaque transaction fait intervenir un nombre croissant de sous-produits, sous-services, sous-transactions. Impossible de démêler les fils de ce qui est devenue une toile planétaire.
L’humanité passe d’une juxtaposition d’individus et d’appartenances, à, elle-aussi, un réseau global et de plus en plus complexe : sous l’effet cumulé de la croissance de la population, de la multiplication des transports et du développement d’internet, les relations entre les hommes se tissent finement. Les pensées et les actions rebondissent d’un bout de la planète à l’autre, des intelligences collectives apparaissent. (voir l’article que j’ai consacré au dernier livre de Michel Serres Le temps des crises

Vers quoi allons-nous, je n’en sais rien. Comment une chenille pourrait se penser papillon à l’avance ? Mais je ne vois pas de raison d’imaginer que ce futur sera noir, et j’y vois plutôt des raisons d’espérer :
- Un meilleur partage des richesses entre tous les pays est plus souhaitable, et moins dangereux que les écarts passés, et encore actuels.
- L’émergence de réseaux collectifs – tant entre les structures collectives comme les entreprises, qu’entre les individus – est l’occasion de nouvelles découvertes, et d’enrichissements vrais, tant collectifs qu’individuels.
- Notre passé tapissé de guerres et de gaspillages ne rend pas si sympathique la « chenille » que nous sommes en train de quitter.

Bien sûr, un tel futur est peuplé de défis qu’il faudra relever. En voici quelques-uns :
- Comment protéger et développer le libre arbitre individuel dans un monde de réseaux ? Comment éviter l’homme de devenir une fourmi au service de sa collectivité ?
- Comment faire en sorte qu’aux inégalités entre pays, ne succède pas une inégalité plus forte au sein de chaque région ou pays ?
- Comment, propulsé par la puissance de ces réseaux, ne pas consommer encore plus vite note planète ?
- Quelles structures politiques dans un tel monde ?

La naissance de ce nouveau monde prendra de longues années. Cette transformation qui est en cours, va se prolonger et s’accélérer. Quand sera-t-elle terminée ? Comment savoir ? Mais comment imaginer qu’elle ne va pas prendre plus de dix ans, probablement plus de vingt, et peut-être une cinquantaine d’années…
C’est de cela dont nous devrions parler, et non pas d’une crise. C’est à cela que nous devrions nous préparer. Une telle transformation est douloureuse, surtout dans sa phase initiale.

Mais si nous arrivions à faire comprendre que les difficultés actuelles sont des étapes nécessaires à la naissance d’un nouveau monde meilleur, alors chacun pourrait se mobiliser en positif.
Alors qu’aujourd’hui chacun est persuadé que le pire est devant nous, que le passé est un éden perdu, et qu’une descente aux enfers nous attend.
Nos pays, et singulièrement la France, sont riches de leur passé, et de le capital accumulé – il suffit de voyager un peu pour s’en rendre compte –, nous avons les ressources pour faire face à cette transformation.

A deux conditions :
- que nous ayons confiance en un futur meilleur et mobilisateur,
- que nous développions une politique de solidarité, faisant porter les efforts là où les richesses ont été accumulées effectivement.

Beaux sujets pour la campagne présidentielle à venir, non ?


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11 réactions à cet article    


  • ZEN ZEN 21 décembre 2011 11:57

    Vers quoi allons-nous, je n’en sais rien

    Moi non plus... smiley


    • ddacoudre ddacoudre 22 décembre 2011 01:03

      bonjour robert

      j’ai fais à peu prés la même analyse.http://www.agoravox.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=106428
      ddacoudre.over-blog.com
      cordialement


      • samagace69 22 décembre 2011 02:22

        L’analogie de la chenille et du papillon est poétique mais la crise que nous allons traverser me semble pas aussi reluisant.

        En effet il y a un effet cumulatif de crises en préparation ; crise économique , financière,politique , écologique, crise éthique du aux excès de la société de consommation etc..
        Ces crises ont une portée systémique en ce sens qu’elles accentuent l’effondrement de nombreuses organisations complexes et menace en permanence la stabilité de nos propres institutions. Le chaos résultant ne donne pas de bon signes d’encouragements en regard de l’histoire contemporaine. l’histoire est fait de luttes et de forces contradictoires parfois très violents.
        Bref,le passage d’un autre monde pacifié prendra quelques temps....



        • oj 22 décembre 2011 03:57

          c’est une crise car cette phase de transformation a ete générée sans préparation en laissant cyniquement les mecaniques de transformations s’imposer sans penser la transition.

          les peuples subissent sans avoir choisi.


          • Robert Branche Robert Branche 22 décembre 2011 11:16

            Cette « crise » n’a été générée par personne en particulier. Elle est la traduction de l’évolution du monde, et du passage à un nouveau mode d’organisation et de la relation entre les hommes. Elle est aussi la traduction d’une mutation de l’homme lui-même.

            Difficile de développer tout ceci en quelques lignes dans le cadre d’un article.
            Je vous conseille de lire sur ces sujets tout ce qu’a écrit Michel Serres.
            Personnellement, je vais sortir un nouveau livre d’ici la fin de l’année qui abordera aussi ce sujet.

          • Jason Jason 22 décembre 2011 09:15


            Oui, je sais, la vie dans l’au-delà sera tellement meilleure qu’ici bas.

            Dans 50 ans, je serai mort. Qu’est-ce que je fais aujourd’hui ?

            Le temps, c’est le nerf de la finance et de la vie. Là est le problème.

            Je comprends votre vision et le recul nécessaire pour ne pas se laisser asphyxier par les informations dont nous sommes bombardés à chaque instant.

            Je préfère me pencher sur les dysfonctionnements dans les structures et les procédures sur lesquelles reposent des scandales bien ancrés et très discrets. Transformation, oui, mais au service d’un servage généralisé.

            J’en ai fait la liste par-ci, par-là, sur Avox. Je publierai un jour un résumé. Ca aussi, c’est une promesse.


            • Robert Branche Robert Branche 22 décembre 2011 11:19

              Bien sûr qu’il faut s’occuper des dysfonctionnements, et je m’en préoccupe aussi. Mais cela n’est possible qu’à partir d’une compréhension de ce qui est en train de se passer et de la transformation en cours. C’est aussi ce qui permet d’expliquer que le futur est meilleur que le passé, et que, donc les efforts actuels vont permettre d’aller vers du mieux...


            • Jason Jason 22 décembre 2011 13:16


              Bonjour,  Robert Branche

              Le capital est mobile avec une rapidité extraordinaire grâce à l’informatique, alors que le travail ne l’est pas. Le capital n’étant qu’un opportunisme de classe se satisfaisant de tous les régimes, il peut donc se fondre dans toutes les sociétés. Il a un côté protéiforme que le travail n’a pas.

              Nous avons sous les yeux une défaite historique diluée sur au moins une centaine d’années, et qui met en évidence que dans le conflit Capital-Travail, c’est le Capital qui a gagné. Je parle de conflit, pas seulement moral (exploitation de l’homme par l’homme), mais au simple niveau comptable-financier. L’argent qui va au travail ne va pas aux profits. C’est mathématique.

              Le temps des états, le temps du travail et le temps du capital ne fonctionnent pas sur la même échelle. Contrôler le temps de ces trois transactions fondamentales, c’est ça le défi des nouvelles structures.

              De même pour l’espace. Le travail est sédentaire, et le capital est mobile (à la milli-seconde sur les ordinateurs) qui peut se poser en tous lieux de la terre.

              L’aveuglement politique et les clubs influents veilleront à ce que ces structures restent intactes. Le reste ne sera que maquillages et littérature.


              • ZEN ZEN 22 décembre 2011 13:48

                c’est le Capital qui a gagné.

                C’est bien ce que reconnaissait W.Buffet, lucide ou naïf


                • al.terre.natif 23 décembre 2011 10:33

                  @ l’auteur

                  « demain ne sera pas du tout comme hier, et, comme une chenille au moment de sa mue en papillon, nous subissons une réorganisation en profondeur de notre monde. »

                  Nous subissons (! !) et c’est bien là une partie du problème. La transformation en cours n’est pas le fruit de milliers d’années d’évolution, ni d’une adaptation à un environnement particulier, non, cette transformation est le fruit, pour moi, de la cupidité et de l’individualisme.

                  « Vers quoi allons-nous, je n’en sais rien. Comment une chenille pourrait se penser papillon à l’avance ? »

                  Justement, peut être que la chenille n’a pas d’imagination, ou est bien programmée pour faire tel ou tel papillon, mais nous ne sommes pas ni des moutons, ni des chenilles. Nous pouvons imaginer un futur qui nous conviennent et travailler individuellement et en groupe pour arriver vers ce futur imaginé.

                  Ce qui me pose problème dans votre analyse, c’est justement ce coté « laissons-nous faire », serrons les coudes et affrontons la tempête, il suffit d’attendre, demain sera plus beau. Non, il faut agir et non attendre, chacun avec ses moyens, chacun selon ses convictions. 

                  Oui il faut espérer un avenir meilleur.
                  Oui il faut imaginer chacun quel serait le meilleur futur pour tous.
                  Mais il faut agir, marcher pas à pas vers cet avenir qui nous va bien, et non attendre patiemment que d’autres (les réseaux économiques et politiques ?) construisent leur vision de l’avenir.

                  Donc, OUI à l’espoir, et NON à l’attentisme d’une solution uniforme et choisie par d’autres !!!
                  Il vaut beaucoup mieux avoir quantité de petites solutions qu’une seule et grande unique (gouvernement ou bien organisations mondiales)


                  • vieux bob vieux bob 25 décembre 2011 10:24

                    Je suis largement d’accord, quoique je considère qu’ Edgar Morin « ratisse » plus loin : le problème est tellement « complexe », comme il l’a précisé !
                    Je souhaite beaucoup de courage et surtout de clairvoyance à toutes les « petites poucettes », comme l’écrit le philosophe « Michel Serres ».

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