Nous tentons de redémarrer les réacteurs, restez calmes...
La catastrophe a failli se produire, et c’est le suivi de l’explosion qui est en cause, malgré la présence sur place d’un géologue : sept semaines plus tôt, le 20 novembre, un pilote aux commandes d’un petit avion privé comme il existe plein en Alaska (souvent des hydravions, dont c’est le paradis !) avait rapporté avoir vu des jets de vapeur sortant du cratère. Le 8 décembre, un panache de vapeur, visible d’Anchorage, avait été observé pendant six heures d’affilée : le géologue sur place ira faire quelques tours d’hélicoptère pour vérifier ce qui se passe, qui semblait très inquiétant. Car, depuis 1778, où le capitaine James Cook en personne avait observé lui aussi une émission de fumée blanche, le cratère n’avait fumé qu’en 1819, 1902 et en 1933. Puis en 1966, dernier épisode connu de ces gesticulations.
A 10H30 le matin du 13, une intense activité sismique est détectée par L’Alaska Volcano Observatory (AVO), créé une année seulement avant l’éruption et qui surveille aujourd’hui 27 volcans. Le géologue en place, qui est convaincu que le volcan va exploser, tente alors d’alerter le maximum de personnes sur l’imminence du réveil du monstre et y parvient heureusement. Le lendemain 14, les secousses augmentent, et à 9h 47 heures, le Redoubt explose une première fois, faisant sauter comme un couvercle de cocotte-minute son cratère de lave fabriqué depuis 1968. Le volcan sautera 3 fois encore le 15 : à 13h52 heures, 15h38, et à 22h13, et il enverra son panache de fumée à 35 000 pieds (plus de 10 000 mètres !). C’est celui-là qui va dériver en altitude vers notre infortuné quadriréacteur.
Ce qui rendait le volcan extrêmement dangereux, c’est la présence d’un manteau de neige et de glaciers, qui en fondant allaient fabriquer cet énorme panache, et fabriquer des lahars, des coulées de boue dévastatrices : exactement le même cas qu’en Islande aujourd’hui avec l’Eyjafjallajökull...qui projette de l’andésite ! Or, "un magma andésitique donnera plus facilement lieu à un dynamisme explosif, "dit-on ! Un volcan qui lui n’a connu d’éruption que deux fois depuis ces 1100 dernière années, et il vaut mieux pense-t-on : la dernière fois c’était en 1821. Mais cela avait commencé en décembre 1821, pour se terminer en... janvier 1823 ! Mieux encore : juste à côté, il y a un autre "endormi" : l’Hekla, bien plus dangereux que Eyjafjallajökull. Or il serait en train lui aussi de se réveiller !
En bas du volcan alaskan, il y a un en plus un terminal pétrolier, conçu en 1967 par la société Cook Inlet Pipeline, (Chevron) relié à un ponton à pétroliers d’un côté et de l’autre à quatre énormes cuves à pétrole (aujourd’hui sept) contenant autant que l’Exxon Valdez. On aura juste le temps de sécuriser le site avant l’explosion principale du 15 décembre, survenue à 17h48 heures, puis une deuxième à 19h27, encore plus gigantesque, emportant le dôme supérieur de lave presque dans son intégralité : c’est celle de la photo illustrant le début de ce texte, ressemblant à une explosion nucléaire avec son onde de choc en altitude, au milieu de son champignon.
Et le 30 décembre 2009, le Redoubt remettait ça, à 11H30 du matin. Panache de fumée et mouvements sismiques, puis pluie de particules. On distribue en hâte 8000 masques respiratoires à la population. Puis plus rien. En février, il expédie à 15 000 pieds (4500 m) des gaz et des roches, et provoque cinq autres éruptions dans le mois. Le 26 mars, les cendres atteignent 65 000 pieds (20 000 mètres !) : on calcule que cela fait 139 terrains de football américain mis bout à bout ! Le 28, Anchorage est recouvert d’un tapis de cendres blanches. Le 30, le volcan fume toujours. On fait évacuer au plus vite les 6 millions de litre de pétrole des cuves du terminal pétrolier, par précaution. Puis tout se calme... on redoute qu’une explosion majeure se produise à nouveau avant la fin de l’année, mais rien ne se passe. 2010, peut-être ? Cette fois, au moins, dès le premier panache aperçu, tous les vols au départ ou vers Anchorage avaient été annulés. Le nuage avait déjà pris la route du Jet-Stream ! Tant pis pour Sarah Palin et sa maison !
Evidemment, on se met (enfin) à réagir et on rédige (enfin) des directives internationales à suivre, pour les prochaines éruptions. Il est temps, mais le chemin sera long encore. En 1995, neuf Volcanic Ash Advisory Centres sont créés à travers le monde. C’est celui de Londres qui donne depuis le début les directives sur l’Eyjafjallajokull. En 2002, une conférence à Dublin de l’Annual International Air Safety Seminar fait avancer un peu plus encore les choses. En novembre 2004, un glacier islandais fait des siennes, justement : le Grímsvötn : c’est le voisin du Vatnajökul. Mais on a déjà oublié cette explosion. La KLM annule à ce moment-là 59 vols. Elle est alors la seule à le faire. Personne d’autre ne se pose alors la question. Enfin, l’U.S. Geological Survey (USGS) va notamment, en 2006, va éditer un code couleur indiquant la dangerosité et ses changements par volcan observé. Les textes internationaux peinent à venir. Le 16 mars 2006, une communication au Congrès US rédigée par Ted Stevens, de l’Alaska, intitulé "Volcanic Hazards-Impacts On Aviation" met clairement les choses au point, et fixe enfin le cap aux Etats-Unis s’entend. C’est le document clé, qui décrit ce qu’on fait aujourd’hui de par le monde. Le rapport a été préparé avec le Capitaine Terry McVenes, Air Safety Chairman de l’Airline Pilots Association, James Quick, Program Coordinator du Volcano Hazardous Program à l ’USGS et le Dr. John Eichelberger, Coordinating Scientist à l’ Alaska Volcano Observatory de l’University de Fairbanks.
Selon McVenes, qui trace le bilan en 2006, "de 1980 à 2005, plus de 100 avions à turboréacteurs ont subi des dommages dus aux cendres volcaniques, avec des coûts de réparation de plus de 250 millions de dollars. Sept de ces rencontres ont causé une panne moteur temporaire, et pour trois, l’avion en cause a temporairement perdu toute la puissance de ces moteurs. Ces défaillances ont parfois eut lieu à 600 miles du volcan en éruption et plus de 1.500 passagers ont été en danger". Ses recommandations sont évidentes : "les Observatoires Géologiques" doivent ", selon lui, "se coordonner étroitement avec les organisations régionales et les autorités de la circulation aérienne afin d’assurer que les avertissements soient diffusés dès que possible. Les exploitants commerciaux devraient veiller à ce que la formation d’équipage comprenne la conduite face aux programmes et procédures d’urgence pour éviter les risques les rencontres non prévues." En résumé, des directives claires, que certains attendaient depuis près de 17 ans... pour éviter les catastrophes qui ont failli se produire.
Le problème n’est pas simple à régler : selon James E.Quick en effet , "la stratégie la plus pratique pour les aéronefs est d’éviter l’espace aérien contenant des cendres volcaniques. Mais éviter des cendres n’est pas simple. Cela inclus des éléments de la surveillance du volcan au sol, la détection par satellite des nuages de cendres, la modélisation des mouvements des nuages dans l’atmosphère, de coordonner les protocoles de communication entre les volcanologues, les météorologues, les contrôleurs du trafic aérien, les dispatchers et les pilotes". Aujourd’hui encore, on le voit bien, ce n’est pas encore simple à réaliser et à mettre en œuvre.
En fait, la catastrophe évitée en 1989 n’était pas non plus la première du genre. Le 24 juin 1982, un 747-236B de British Airways, le "City of Edinburgh" avec 247 personnes à bord, immatriculé G-BDXH. faisant la liaison Kuala Lumpur, Malaysie, vers Perth, en Australie avait subi exactement le même sort. C’est le vol Speedbird 9. Le pilote, un anglais, Eric Moody, voit lui aussi ses quatre réacteurs s’éteindre en même temps, mais sans distinguer lui de nuage En bon anglais flegmatique, il annonce tranquillement à ses passagers : "Mesdames et Messieurs , c’est votre commandant qui parle. Nous avons un petit problème. Les quatre moteurs sont arrêtés. Nous faisons de notre mieux pour les avoir à nouveau sous notre contrôle. J’espère que vous n’êtes pas trop inquiets". Le pilote à l’humour ravageur réussira, comme on vient de le décrire, à faire redémarrer ses réacteurs et sera accueilli comme il se doit en héros en Australie. Il avait perdu 6900 mètres d’altitude à s’échiner à redémarrer ses moteurs : parti de 36 000 pieds (10 900 m), il savait qu’il pouvait tenir 23 minutes en l’air en planant : cela en prendra 15 pour relancer les moteurs ! Il descendra ainsi jusqu’à 4000 m, la hauteur des montagnes d’Indonésie qu’il comptait survoler. A cette hauteur, l’avion est couvert de feux de St-Elme ! A l’atterrissage, il n’arrive toujours pas à comprendre ce qui lui est arrivé. Il en a une petite idée quand même : son pare-brise est subitement devenu tout noir, d’une poudre noire qui se colle aux balais de ses essuie-glaces, juste après s’être illuminé de tas de points brillants. Ce n’est que le lendemain que les techniciens lui apprendront que ses réacteurs ont ingéré de la cendre volcanique ! Les feux de St-Elme, c’était les morceaux de silice collés aux surfaces, qui par frottement de l’air, se chargeaient en électricité : en remontant, ils disparaissaient !
Le coupable, c’était un des volcans de Java en pleine éruption, et personne pour le surveiller. Le Mont Galunggung, au sud-est de Djakarta. On lui ramène les aubes de ses compresseurs : certains sont en bouillie ! L’avion, remotorisé, revolera jusqu’en 2004 et sera "scrappé" en juin 2009. Son incroyable aventure est devenue un des épisodes de Aircrash Investigation de la BBC. Une série TV remarquable, d’ailleurs. Le 13 juillet 1982, un B-747 numéro 9U-SQD de Singapore Airlines faisant la liaison Singapour- Melbourne avec 230 personnes à bord perd l’usage de deux de ses moteurs en traversant les mêmes cendres du Galunggung mais réussit à se poser en catastrophe : personne n’avait défini de route de diversion, même après l’exemple précédent. En 1982, aucun texte ne régissait le comportement à avoir devant pareille difficulté aérienne.
Aujourd’hui, la question se pose donc une nouvelle fois la dangerosité de ces projections. Pour le savoir, les représentants de pilote ont demandé à ce que l’on fasse des "tests". On aurait pu songer aussi à des prélèvements, pour vérifier de quelles particules exactement il s’agissait. Car ça, on a su le faire, en France pour aller "respirer" les particules des nuages atomiques. On y a envoyé des drones, dont un Vampire télécommandé, mais aussi des Vautours, munis de pièges à particules. A peine rentrés, ils étaient bons pour un bon coup de brosse. Et leurs pilotes pour développer de beaux cancers, également. Les américains ont fait de même avec des B-29 puis des T-33, avec sous les ailes des "boîtes" qui s’ouvraient et se refermaient par télécommande.
Mais il y a plus simple en réalité. Du 12 au 22 avril, voila qui tombe bien, un grand "Response Force Air Live Exercise ", un grand exercice de l’Otan était prévu entre plusieurs pays, dont l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Tchéquie, l’Italie, et même la Turquie. Intitulé "Brillant Ardent", on l’aurait crû dédié aux particules qui génèrent si bien les feux St-Elme ! On y avait vu dès le 14 avril un Mirage F-1 en train de se ravitailler à un bon vieux KC-135 de l’351st Air Refueling Squadron venu de Midenhall en Angleterre... voilà toute une bande de joyeux drilles qui ont donc pu sillonner tranquillement les cieux européens ces derniers jours : il y avait, paraît-il, plus de 60 appareils engagés par pays ! Le verdict des militaires n’a pas tardé à être connu : dès le 15, par exemple, tous les vols ont été suspendus au dessus de l’Angleterre !
Au Nord, la Pologne, la Finlande, l’Estonie, la Suède, la Norvège, la Hollande et la Belgique étaient eux engagés dans l’autre volet de l’exercice, "Frisian Flag"... or là, le verdict est aussi vite venu, preuves photographiques à l’appui cette fois : la Finlande, après avoir fait voler un des ces cinq Hornets engagés dans l’exercice au sein du nuage, a mis en ligne ses effets : ils sont ahurissants. Les General Electric F404-402 de l’appareil en ont pris un coup et sont bons pour la révision ! Le 19, c’est un officiel US de l’Otan qui récidive : selon lui, "plusieurs" F-16 ont été endommagés : "on a trouvé du verre à l’intérieur des réacteurs" affirme-t-il. Du verre, car les morceaux de silice, mixés dans les compresseurs à haute température se sont en effet transformés en verre ! En tout cas, alors que le Secretaire Général Anders Fogh Rasmussen fanfaronnait comme à son habitude en clamant le 18 avril que le nuage n’influencerait en rien la conduite des exercices.... les trois gros Awacs, les avions les plus chers participant à l’exercice quittaient discrètement la veille l’Allemagne pour... l’Italie ! Quand on sait combien de temps tiennent en l’air les avions militaires au regard des civils, les photos du Hornet Finlandais font peur... Sur mer, aucune nouvelle en revanche : c’est pourtant la France avec son Charles de Gaulle qui conduit le volet marin de l’exercice, appellé "Brilliant Mariner" (quelle imagination !) avec 10 navires et 30 avions français, mais pas un mot de notre bon ministre à ce sujet. Les Rafales, ce n’est pas le moment de leur fabriquer de belles tuyères de verre, semble-t-il...
Reste enfin une solution. Les Etats-Unis disposent encore d’un avion spécialisé ramasseur de poussières. Un très étrange engin : le WB-57F (*). Un Canberra angais qui on a greffé des ailes immenses (qui pendouillent au sol) et de nouveaux réacteurs. Trois exemplaires seulement, construits en 1963, le NASA 925, 926 et 928, des engins capables de grimper à 60 000 pieds avec à bord deux pilotes en tenue de cosmonaute, façon SR-71. Il ont effectué des missions au dessus de l’URSS, ou au Viet-Nam sous le nom de missions "Patrica Lynn". Il sera choisi pour aller pister les particules des essais nucléaires US dès sa mise en service "au retour, on pouvait laver l’intérieur des moteurs" raconte un ancien mécanicien, David Ellis. La plupart de ses pilotes décèderont de cancer, eux aussi. Or, ils sont où ces deux avions civils restants (les 926 et 928), puisque travaillant pour la NASA ? Et bien là c’est une surprise, figurez-vous. Ils sont indisponibles pour aller visiter de plus près les rejets du volcan islandais. Manque de chance !
L’un est toujours au National Center for Atmospheric Research (NCAR) du Colorado, où il conduit des recherches sur le réchauffement climatique. L’autre est à... Kandahar, en Afghanistan... arrivé au départ pour faire de la cartographie agricole, avec l’US Geological Survey (USGS), ou faire le bilan des ressources du pays, il a vite dérivé pour faire des cartes militaires. Mieux encore : il sert aujourd’hui de relais de communications entre le sol, les avions et les drones. On l’a chargé de faire l’intermédiaire avec l’aberration volante qu’est le F-22. Sa présence indique que les Etats-Unis s’apprêtent à le déployer là-bas. Devenu "Experimental Battlefield Airbone Communications Node" (BACN), il n’a donc pas une minute à lui à consacrer à un nuage volcanique qui risque fort, s’il perdure, de fabriquer d’autres déconvenues en Europe. Il faut choisir en quelque sorte. Et en transformant leur avion civil en adjoint des militaires, les USA ont donc choisi. On peut encore attendre pour avoir des prélèvements à haute altitude sur nos fameuses cendres. La guerre d’abord !
(*) Tous les renseignements sur le WB-57F de Kandahar sont extraits du numéro du mois de Combat Aircraft, May 2010, Vol 11, N°5.
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