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Nouveau directeur au Monde, mais ancienne mythologie de l’information

M. Éric Izraélewicz, le nouveau directeur du journal Le Monde, était l’invité des « Matins de France-Culture », vendredi 18 février 2011 (3). L’occasion lui a été donnée d’expliquer son premier éditorial du 15 février. On pouvait y lire que « Le Monde doit changer sans pour autant renoncer à son identité  ». N’était-ce pas une formule cousine du paradoxe de Don Salina dans « Le Guépard » de di Lampedusa : « « Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi ! » - « Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change » ?

C’est bien l’impression que l’on retire de l’interview du directeur du Monde sur France Culture. Ont été resservies une nouvelle fois les sempiternelles croyances d’une mythologie de l’information des médias qui, loin d'assurer leur promotion, les discréditent.
 
Des informations vraies ?
 
Citant « (leur) maître à tous  » fondateur du journal, Hubert Beuve-Méry, M. Izraélévicz écrivait, par exemple, que « la mission du Monde est d’ amener (sic !) au lecteur des informations claires, vraies et dans la mesure du possible, rapides et complètes  », mission présentée par l’animateur Marc Voinchet comme « la définition du journalisme tout court  ».
 
Qu’un journal diffuse des « informations vraies  » et non des « bobards », c’est bien le moins tout de même qu’on attende de lui ! Mais il faut se méfier de l’usage de l’adjectif « vrai » ou du nom « vérité ». La charge morale de ces mots tend à induire en erreur quand on parle d’information. Les médias n’échappent pas au principe qui régit la relation d’information : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Autrement dit, selon un aphorisme prêté à Churchill, « en temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle devrait toujours être protégée par un rempart de mensonges  ». Et il en est de même en temps de paix puisque le conflit est l’ordinaire des hommes dont le souci premier est de ne pas s’exposer inutilement aux coups d’autrui. On préfère donc parler de « représentation de la réalité plus ou moins fidèle  » et de « leurres  », dans le cas d’une représentation éloignée de la réalité. Et on ne peut en vouloir à quiconque d'en employer, même aux médias !
 
Hyper-information et mal-information
 
M. Izraelewicz a prétendu ensuite que « nous sommes dans un monde de l’hyper-information, de la mal-information  ». Ces termes imprécis à souhait induisent aussi en erreur. Que signifient-ils ?
 
- Le premier voudrait dire que l’on jouit d’une surabondance d’informations ? Il est vrai que les prodigieux moyens médiatiques qui abolissent temps et espace, donnent accès à une masse d’informations comme jamais l’humanité n’en à connue depuis son origine.
 
- Le second terme « mal-information » laisse entendre que l’on n’est pas pour autant « bien informé ». On ne saurait contredire. Mais la faute à qui ? Les médias soumis aux contraintes de la relation d’information ont certes leur part de responsabilité, mais leurs récepteurs également. « La mal-information » n’est pas un mal du siècle : c’est l’ordinaire de tout récepteur depuis toujours quand il ignore les contraintes inexorables qui s’exercent sur l’information : 1- celles des motivations de l’émetteur obéissant au principe évoqué plus haut, 2- celles des médias avec leurs ressources, leurs sources et l’exiguïté du temps et de l’espace de diffusion, 3- celles enfin des propriétés du récepteur, une cible indocile à deux centres, la raison et le cœur selon les termes de Pascal, qu’il convient d’atteindre simultanément à des degrés divers.
 
Une prétention à s’ériger en autorité 
 
Dans ce contexte, M. Izraéléwicz est-il pour autant fondé à présenter son journal comme une autorité capable de résoudre cette « mal-information » ? Il vante par trois fois « l’expertise (de ses) journalistes » qui les autoriserait à dire : « voilà ce qui est important aujourd’hui » !
 
On ne songe pas à refuser au journal Le Monde, pas plus qu’à n’importe quel média d’ailleurs, le droit d’établir la hiérarchie des informations de leur choix en fonction de leur cadre de référence. Mais de quel droit le directeur du Monde peut-il monter en chaire pour annoncer, comme parole d’Évangile, « ce qui est important aujourd’hui  » ? Tout au plus peut-il dire : voici ce que nous croyons important aujourd’hui ! La représentation de la réalité que peut offrir Le Monde mérite d'être considérée, mais ne peut être reçue comme la seule à devoir l’être. On a trop d’exemples où le journal Le Monde, comme d’autres médias, par les leurres de la mise hors-contexte ou de l’omission pure et simple a livré des représentations très éloignées de la réalité qu’on nomme des leurres.
 
Un traitement de l’information amputé d’une opération capitale
 
Comme tous ses confrères, M. Izraéléviwicz fait croire, en effet, que le traitement de l’information ne nécessite qu' une seule opération alors qu'il en comprend deux : « Nous avons une équipe, a-t-il soutenu, dans laquelle nous avons une expertise, vous avons des journalistes qui connaissent bien leur sujet, qui ont des contacts, qui enquêtent, qui cherchent l’information, qui la vérifient. Voilà ce qui va faire la différence et qui va permettre au Monde de maintenir, voire de développer sa position dans le nouvel environnement tel qu’il se dessine pour l’information. »
 
On ne conteste pas que la première opération du traitement de l’information consiste à la vérifier, à la recouper. Mais quel journaliste ignore qu’une seconde opération est aussi importante : c’est celle de la réflexion qui conduit à la décision de sa diffusion ou non  ? On a récemment entendu enfin un journaliste, Daniel Schneidermann, faire état de cette opération que tait en général la profession : « les journalistes, a-t-il dit en substance, ne sont pas libres d’écrire ce qu’ils savent  » (1). L’expertise dont se gargarise le directeur du Monde n’a rien à voir dans cette prise de décision. C’est d’une autre expertise qu’il s’agit. Ce n'est pas honteux de le reconnaître. Elle obéit au principe régissant la relation d’information énoncé plus haut : savoir garder secrètes les informations susceptibles de nuire à ses intérêts et ne diffuser que celles qui les servent.
 
Le journal « Le Monde » a changé de directeur, mais sa mythologie de l’information reste inchangée. Les mêmes croyances erronées ont été répétées au cours de cette émission. Il est vrai que M. Izraélewicz aurait tort de se gêner : si on en croit le sondage publié récemment par La Croix, plus d’« un Français sur deux » vit en pleine confusion intellectuelle : il est conscient que les médias sont dépendants des pouvoirs politiques et économiques… mais ça ne l’ empêche pas de penser qu’ils sont neutres ! (2) 
 
 
(1) Schneidermann : « Les journalistes ne sont pas libres d’écrire ce qu’ils savent », AgoraVox, 28 janvier 2011.
http://www.agoravox.tv/actualites/medias/article/schneidermann-les-journalistes-ne-29086
 
(2) Paul Villach, « Plus d’« un Français sur deux » jugent les médias sous influence… mais neutres !  », AgoraVox, 16 février 2011.
 
(3) Extraits de l’interview de M. Eric Izraelewicz, nouveau directeur du journal Le Monde dans « Les Matins de France Culture  », le 18.02.2011
 
« Marc Voinchet .- (…) Dans votre premier éditorial en tant que directeur, le 15 février, vous dites « Le Monde doit changer sans pour autant renoncer à son identité. » Vous citez Beuve-Méry : « La mission du Monde doit amener au lecteur des informations claires, vraies et dans la mesure du possible, rapides et complètes. » Cela dit, c’est la définition du journalisme tout court.
 
M. Izraelewicz .- Le Journal Le Monde doit vous dire ce qui est important. Nous sommes dans un monde de l’hyper-information, de la mal-information. Donc l’expertise que les journalistes du Monde peut apporter c’est vous dire : voilà ce qui est important aujourd’hui, vous expliquez et vous projetez dans l’avenir. C’est sur ce que nous devons travailler davantage.
(…) La crédibilité des journalistes, selon l’enquête publiée par La Croix, décroît et est mise à mal. C’est un défi pour un journal comme Le Monde.
MV .- Vous avez dit que Le Monde devait redevenir un créateur d’informations, alors qu’un site internet comme Huffington Post est plutôt un agrégateur d’informations.
 
EI .- Le fait que Le Monde soit producteur d’informations, de scoops, d’exclusivités. Mais aussi compte tenu de son expertise, de sa qualité, nous serons un des derniers producteurs d’informations parce que nous avons une équipe dans laquelle nous avons une expertise, vous avons des journalistes qui connaissent bien leur sujet, qui ont des contacts, qui enquêtent, qui cherchent l’information, qui la vérifient. Voilà ce qui va faire la différence et qui va permettre au Monde de maintenir, voire de développer sa position dans le nouvel environnement tel qu’il se dessine pour l’information.
 
MV .- Qu’est-ce que ça veut dire vraiment « créateur d’info » ?
 
EI .- Pour diverses raisons, notamment économiques, Le Monde a peut-être un peu perdu cette capacité à révéler, à apporter des informations nouvelles. Mon rôle va être de redonner le goût de l’information exclusive à nos équipes.
 
MV .- Vous êtes toujours d’accord avec cette définition du journalisme par Beuve-Méry magnifique : « Le journalisme c’est à la fois, le contact et la distance  » ?
 
EI .- J’ai d’ailleurs utiliser cette expression dans ma campagne électorale interne. J’ai toujours appliqué ce principe : être proche et distant à la fois de ses sources et de ses informateurs.
 
MV.- Il y en avait une autre moins élégante adressée aux journalistes : oui, faites vous inviter dans les voyages de presse, puis crachez dans la soupe !
 
EI – (Rire gêné) Il y avait une autre expression qui disait aux jeunes journalistes qui arrivaient : faites chiant ! J’ai dit dans ma campagne : « Faites vivant plutôt que chiant ! » (…) On continuera à faire nos conférences de rédaction debout. C’est le meilleur moyen pour que la réunion ne dure pas trop longtemps. »

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3 réactions à cet article    


  • french_car 23 février 2011 12:42

    En 3 lignes :
    - Le Monde veut rester une référence dans le monde journalistique
    - Le Monde veut vérifier l’info avant de la diffuser
    - le nouveau patron du Monde ne dit pas qu’il veut censurer l’info au risque de déplaire
    Et Popaul de nous en faire une tartine - sans leurre pour une fois - son pensum quotidien.


    • L'enfoiré L’enfoiré 23 février 2011 17:17

      RAS. Tout est pour le mieux dans le meilleur des Mondes, quoi.... smiley


    • Epiménide 23 février 2011 19:08

      Paroles de Don Fabrice ou de Tancrède ? ou de Tancrède d’abord, de Fabrice ensuite ? Encore une information à vérifier.

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