Nouveau projet de l’U.E. : abolir l’histoire
Ce qui suit est une traduction d’un article écrit par une roumaine, l’avocate Levana Zigmund… article publié dans sa version originale sur Active News et dans la revue roumaine « Lumea »
Il y a des passages qui vont probablement « choquer » le lecteur français, mais il ne m’appartenait pas de modifier le contenu, et comme dit le Général Delawarde : « à chacun de se faire son opinion » !
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« Le moyen le plus efficace de détruire un peuple est de lui interdire et de lui annuler la compréhension de sa propre histoire. » George Orwell
Je sais que c'est désuet, mais je continue de m'étonner et de m'indigner lorsque l'ingénierie sociale se fait ouvertement. On pourrait s'attendre à un peu de respect, un peu de décorum, quelques flatteries, un rafraîchissement, une pâtisserie.
J'aurais dit que c'est à cause de l'âge, mais je me vois obligé de constater que c'est bien plus grave : il me manque une conscience européenne adéquate. J'ai eu cette révélation en lisant la résolution du Parlement européen sur la « conscience historique européenne » (http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0030_RO.html), adoptée le 17 janvier 2024.
Bien sûr, ma première réaction a été de me sentir mal de voir qu'à la mi-janvier, alors que j'ouvrais timidement les yeux sur 2024, les élus de l'Europe travaillaient déjà dur – non pas sur quelque chose de trivial (comme les milliers et milliers d'autres décisions prises, dans une frénésie de régulation de la vie humaine qui restera probablement dans l'histoire comme le record absolu de la pensée bureaucratique), mais sur quelque chose de vraiment majeur. Ou du moins, ça en a l'air. Parce que, juste après avoir été gênée pendant quelques secondes et m'être fait un autre café, j'ai réalisé que je n'avais aucune idée de ce qu'est la « conscience historique européenne ». Lacune impardonnable que je me suis empressée de corriger.
Donc, pour ceux que cela intéresse : la « conscience historique européenne » est... un mystère. Sur les cinq pages écrites en petits caractères de l'acte normatif, il n'y a aucune définition. Mais nous voulons trop tout savoir tout de suite. La conscience historique européenne ne se découvre pas en claquant des doigts. Nous devons aussi travailler un peu. Avec l'esprit ludique qui la caractérise toujours, l'Union européenne veut nous engager dans un jeu de société, un genre de quête euro-citoyenne, avec des indices disséminés ici et là, des fausses pistes, des suggestions, des feintes, des révélations. Je l'ai joué. Cela prend du temps, car cela suppose l'étude d'un tas de documents pleins d'euphémismes, de décors et d'ésotérisme bureaucratique, et les conclusions pourraient décevoir (les institutions européennes, du moins, ne semblent pas satisfaites), mais c'est très instructif. J'essaie de résumer ci-dessous autant que possible.
L'identité européenne n'existe pas, mais elle se construit
Tout d'abord, je me suis dit, pour avoir une conscience (européenne), il faut avoir une identité (européenne). J'avais peur de m'aventurer, mais le Parlement européen semble être d'accord avec cette prémisse, car il fait référence, dans le préambule de la résolution, à une étude de base sur « l'identité européenne » (http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2017/585921/IPOL_STU(2017)585921_EN.pdf). La conclusion de cette étude est que, hélas, cela n'existe pas.
Les auteurs de l'étude se lamentent : quelle identité européenne quand nous ne savons même pas très bien ce qu'est l'Europe : « Qu'est-ce que l'Europe en réalité et à quelle Europe nous référons-nous ? L'Europe en tant qu'espace géographique ? L'Europe dans un sens culturel ? L'Union européenne ? Ou peut-être l'Europe comme une sorte d'utopie ou de modèle « transcendantal » ? ».
D'autres se seraient arrêtés là ; si « l'identité européenne » n'existait pas à la date de l'étude, en 2017, de longues décennies après la création des institutions supranationales ouest-européennes et vingt ans après leur grande expansion vers l'est, les chances de la construire maintenant, même si nous le voulions, sont proches de zéro.
Comme le disent les auteurs de l'étude, « les perspectives (de création) d'une véritable identité européenne semblent sombres, compte tenu des difficultés qu'implique la construction d'une identité transnationale et, en particulier, du cadre politique actuel ».
Mais l'Union européenne n'est pas le genre d'entité à renoncer face à la réalité. On nous dit que « stimuler un sentiment d'appartenance européenne parmi les citoyens est (encore) possible » ; en fait, c'est même obligatoire, « un sine qua non, si l'Union veut continuer à exister en tant qu'entité politique, ce qui suppose légitimité et soutien public ».
Nous découvrons ainsi l'intrigue de ce jeu extrêmement passionnant : nous avons une entité politique ; elle veut continuer à exister ; pour cela, elle a besoin de légitimité et de soutien public (apparemment absents pour le moment) ; les deux nécessitent l'existence d'une identité collective « européenne ». Cette identité collective n'existe pas. Que faire ? Comment ? Nous la créons.
Problème : l'identité nationale
La première chose à laquelle se heurtent les auteurs de l'étude après avoir déploré, pendant quelques pages, la complexité presque impossible du sujet, est l'identité nationale. « Le problème primordial », nous sommes avertis, est « que faire avec l'État national, qui continue d'être le repère politique prédominant en Europe contemporaine et pas seulement ».
L'État national, nous dit-on avec une certaine exaspération, est « le modèle même d'organisation et d'ordonnancement politique, socio-économique et culturel des sociétés depuis le XVIIe siècle », modèle capable de créer une identité nationale basée sur cinq éléments fondamentaux : (1) un territoire historique, ou, pardon, une « patrie » ; (2) une mémoire historique et des mythes communs ; (3) une culture de masse commune ; (4) des droits et obligations juridiques communs ; (5) une économie commune.
Bien sûr, étant une étude « européenne », il nous est précisé que, selon les « experts », tout cela ne crée qu'une « communauté imaginaire », car « même dans les plus petites nations, les gens ne connaîtront jamais tous les autres membres, ne les rencontreront pas, n'entendront même pas parler d'eux, mais, pourtant, dans l'esprit de chacun, il y aura l'image de cette communion », ressentie comme une « fraternité ».
Mais, imaginaire telle qu'elle est, cette identité nationale « a réussi, au cours des deux derniers siècles, à faire en sorte que des millions de gens ne soient pas seulement prêts à tuer, mais aussi à mourir joyeusement pour de telles fantaisies limitées ». Les nations, nous dit-on, ne sont « que des artefacts culturels » ; elles « manquent d'une nature absolue et d'une finalité claire ».
On pourrait presque se sentir mal d'avoir une identité nationale, jusqu'à ce que l'on découvre que, en fait, l'étude « évalue les chances et les limites de tenter de transférer les modèles de construction de l'identité nationale à un niveau supranational ».
Solution : l'identité européenne » copiera celle nationale
En d'autres termes, l'Union européenne souhaite créer une « identité européenne » en imitant le modèle national.
Bien sûr, bien sûr, ne vous inquiétez pas – cette « identité européenne » ne remplacera pas celle nationale, Dieu nous en garde, non. Elle la « complétera » simplement.
En d'autres termes, les cinq éléments fondamentaux ci-dessus deviendront dix. Deux patries, deux ensembles de mémoires historiques et de mythes communs, deux cultures de masse communes, deux ensembles de législations et deux économies. Rien de schizoïde là-dedans.
On ne nous dit pas pourquoi cette « identité européenne » serait moins imaginaire que celle nationale, mais, tant qu'à faire, il semble préférable d'en avoir plusieurs.
Certaines des composantes constitutives de la structure supranationale d'où devrait émerger l'« identité européenne » sont déjà en place depuis longtemps : nous avons une sorte d'économie commune, ou du moins des décisions économiques majeures prises au niveau « européen », une législation adoptée au niveau supranational qui s'impose de plus en plus à la législation nationale, quelque chose qui commence à ressembler à une culture de masse commune, surtout parmi les jeunes des villes (même si elle est d'inspiration américaine, et non « européenne », mais, comme le dit la chanson, « nous sommes tous Américains maintenant »).
Pour ce qui est de l'élément « territoire », on ne peut en parler qu'en termes géographiques, et même là ce n'est pas très clair ; un expert européen (http://www.robert-schuman.eu/en/european-issues/0466-europe-and-the-identity-challenge-who-are-we) rappelle que « l'Europe est entourée de mers au nord, à l'ouest et au sud, mais il n'y a pas de limite géographique évidente au projet européen vers l'est ».
Je ne sais pas si cette précision se voulait offensive ou défensive, mais elle date de 2018. Les textes fondateurs et les principaux actes normatifs de l'Union européenne ne contiennent pas le mot « territoire », qui est associé aux territoires nationaux des États membres, mais seulement le terme plus vague « aire ». De « aire » à « patrie », il y a un long chemin.
Ainsi, si nous avons une économie, une législation et des loisirs communs, nous sommes en revanche moins bien lotis en termes de « patrie », de mémoire historique et de mythes communs européens.
C'est ainsi que nous arrivons à la résolution du Parlement européen du 17 janvier 2024 concernant la « conscience historique européenne ».
Histoire-histoire, mais qu'on la connaisse nous aussi
Comme le reconnaît l'étude de base, si la mémoire collective d'une nation, en tant que source de l'identité nationale, repose sur des repères historiques évidents, « dans un contexte supranational, la perception du passé se révèle beaucoup plus hétérogène, et les problèmes que pose la création d'une mémoire collective, voire la définition même de repères historiques, se multiplient ».
Et comment. Je ne veux pas être désagréable, mais je ne sais pas combien de citoyens des États membres occidentaux ont bien en tête que l'Empire romain ne s'est initialement effondré qu'à l'Occident, continuant d'exister en Europe de l'Est, sous forme de Byzance, pendant encore mille ans, raison pour laquelle le « Moyen Âge sombre » de l'Europe de l'Ouest ne s'est pas vu de la même manière dans notre région.
Ou que l'Église orthodoxe n'a connu ni Réforme, ni Renaissance, ni Contre-Réforme ou Inquisition.
Ou que les Européens orthodoxes n'ont pas participé aux croisades, encore moins à l'incursion contre Constantinople.
Cela pour ne pas mentionner que je ne crois pas que Mircea l'Ancien, Étienne le Grand ou Michel le Brave fassent partie de la mémoire collective de quelque pays européen occidental que ce soit, bien qu'ils aient été de grands défenseurs de la chrétienté.
(De Vlad l'Empaleur, je pense qu'on en a entendu parler, car il est Dracula, comme le montrent les poupées grotesques qui infestent l'entrée du Château de Bran).
D'ailleurs, le même expert cité plus haut nous dit que la synthèse de « l' identité culturelle commune » des « Européens » est composée de : « la réalité historique objective apparue après l'effondrement de l'Empire romain » (d'Occident, bien sûr), « l'Église » (catholique, bien sûr), « le féodalisme (cour royale, ville, ordres religieux), les universités (Bologne, Prague, Oxford et Paris) », « Renaissance et Réforme, révolution scientifique et arc du Baroque, de Rome à Prague ». Trop peu d'éléments de l'histoire de l'Europe de l'Est apparaissent sur ce parcours de « l'identité mnésique » européenne.
Bien sûr, en miroir, je doute que de nombreux Roumains sachent grand-chose sur, disons, Outremer, Philippe le Bel, les papes d'Avignon ou Rodolphe II. Je ne pense pas non plus que Otto le Grand hante la mémoire collective des Roumains ; la majorité n'en aurait probablement jamais entendu parler, si le président Klaus Iohannis n'avait pas reçu, en 2020, le Prix Otto le Grand de la ville de Magdebourg pour « son engagement au service de l'idée européenne, de la démocratie, de l'État de droit et de l'unité du continent ».
J'ai donné quelques exemples au hasard pour illustrer les dimensions monumentales de la mission de créer une « mémoire historique européenne » commune à tous les pays situés géographiquement sur ce vieux continent.
Une courte histoire, en deux actes...
C'est une mission si gigantesque que même l'Union européenne, avec toutes les capacités à sa disposition (y compris les « lois mémoriales »), ne l'assume pas. Cependant, elle ne peut pas non plus renoncer, car, comme il a été établi, sans une « identité collective européenne », l'UE ne peut pas survivre.
Que fait une entité avec un problème trop complexe ? Elle le simplifie. Massivement. Jusqu'à l'amputation. Selon la résolution et les documents qui y sont liés, dans l'approche de l'Union européenne, l'histoire a commencé avec la Seconde Guerre mondiale.
Vous vous souvenez de l'histoire antique, médiévale, moderne – les Daces, les Romains, les princes, les voïvodes, Horea-Cloșca-et-Crișan, les dirigeants, Tudor Vladimirescu, la Révolte de 1907, les unions, 1848, la Guerre d'Indépendance, la Première Guerre mondiale, les bataillons roumains, le paradis démocratique de la période de l'entre-deux-guerres sous la dynastie Hohenzollern ? Eh bien, oubliez-les.
L'histoire européenne, en tant que source de génération d'une « identité européenne », se compose de : la Seconde Guerre mondiale (Holocauste), le nazisme et le stalinisme (ces deux derniers pris ensemble).
Un article synthétique nous explique : « Les fondements de la mémoire collective européenne résident dans l'Holocauste, dont la commémoration est devenue progressivement de plus en plus transnationale. En 1993 et 1995, le Parlement européen a adopté deux résolutions anti-discrimination, indiquant une concentration de plus en plus intense sur la commémoration de l'Holocauste... À la mi-2000, la plupart des pays d'Europe occidentale pensaient que l'Holocauste pouvait devenir une mémoire commune pour l'UE. Mais la majorité des pays d'Europe de l'Est ont contesté cette vision. Ils ont soutenu qu'une focalisation exclusive sur l'Holocauste serait une injustice envers les victimes d'autres régimes totalitaires... Ce contraste entre les trajectoires mémorielles des sociétés d'Europe de l'Ouest et de l'Est a poussé l'UE à développer une mémoire collective commune... ».
L'étude de 2017 sur l'identité européenne explique brièvement la même chose : il existe « deux cadres mémoriels concurrents » : « le cadre mémoriel de l'unicité de l'Holocauste, qui a façonné la culture post-guerre en Europe de l'Ouest, et le cadre mémoriel selon lequel le national-socialisme et le stalinisme sont également mauvais, qui est central dans les efforts des nations d'Europe de l'Est pour se réconcilier avec leur passé communiste ».
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La résolution reconnaît « la série d'initiatives passées et présentes au niveau européen pour promouvoir une mémoire historique européenne commune, y compris la Journée de commémoration de l'Holocauste, la Journée européenne de commémoration des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires » et d'autres documents et programmes se référant également à l'Holocauste, au nazisme et au stalinisme.
Allez, pas une histoire en deux actes, peut-être en trois...
Un petit bémol, cependant. Au point six de la résolution, le Parlement européen « reconnaît les crimes commis par les régimes totalitaires nazis, fascistes et communistes, ainsi que pendant le colonialisme, et le rôle joué par ces crimes dans la formation des perceptions historiques en Europe ».
Il semble y avoir un début de quelque chose ici. Un début d'une troisième composante de l'« histoire européenne » selon l'UE.
Notons en passant que, lorsqu'il s'agit de totalitarisme, on nous indique les idéologies politiques génératrices (nazisme, fascisme, communisme), mais pour le colonialisme, le mystère est total. Quelques pays européens ont commencé à établir des colonies en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, en Amérique centrale et du Sud, voire même en Europe, mais voilà, c'est fini ; c'était juste un élan du moment, pendant quelques bons siècles, mais sans aucun ressort idéologique particulier à identifier et, éventuellement, à condamner pour éviter que cela ne se reproduise.
Mais je suis trop tatillon ; ici, c'est l'histoire, pas la pharmacie. Ou, comme le dit la résolution, « la mémoire historique suppose un degré important de subjectivité, étant donné que le choix de ce dont nous devons nous souvenir et la manière dont le passé est interprété impliquent nécessairement des jugements de valeur ». Rien de plus évident.
Ce qui est déconcertant, c'est que, au point précédent, la même résolution affirme de manière décisive que « aborder le passé nécessite le plus haut degré d'impartialité et d'objectivité ».
Enfin, peut-être que je suis en retard par rapport à la norme recommandée de dissonance cognitive et que je vois des contradictions là où il n'y en a pas.
Je reviens au colonialisme. J’y reviens pour rien, car il n'en est plus question dans la résolution. Pourtant, je dois avouer que cela m'a un peu réjoui ; je me dis : tout de même, je n'ai pas rêvé. Il y a au moins une troisième composante de l'histoire européenne, en plus de l'Holocauste et du nazisme-et-stalinisme, même dans la version gravement abrégée promue par l'UE, à savoir le colonialisme.
Vous direz que c'est du Schadenfreude, mais il semble que l'immigration (pardon, la « migration ») en provenance d'Afrique et d'Asie soit liée à ce passé colonial, non ? Les gens viennent à la capitale, pour voir aussi l'héritage, comme c'est normal.
Et puis, si je me trompe quant à la « migration », il existe d'autres indices dans les études européennes que, tout de même, le colonialisme a existé et produit encore des effets aujourd'hui.
Colonialisme sans colonies
Un article publié en 2023 (http://www.europenowjournal.org/2023/02/24/decolonizing-european-memory-cultures/) dans Europe Now, le journal en ligne du Council for European Studies de l'Université Columbia, dit que « Depuis 2020, le mouvement global Black Lives Matter a attiré l'attention sur les traces ubiquistes du colonialisme européen dans les espaces publics et les institutions. ...Ces actions (de protestation) ont établi un lien entre les violences raciales auxquelles sont confrontées quotidiennement les personnes de couleur en Europe... et la longue histoire du colonialisme européen. »
Jusque-là, que dire ; mon identité et ma conscience historiques de Roumain (car les européennes ne sont pas encore prêtes) ne me permettent qu'une position de spectateur.
Mais l'article continue :
« Cette histoire apparaît de manière différente selon les nations, mais elle fait partie d'un héritage commun, virulent, de tout le continent (européen), y compris dans des endroits qui n'ont jamais eu de colonies, mais ont même été colonisés comme partie des empires habsbourgeois, ottoman ou russe » (le soulignement est de moi).
Voilà comment c'est pour le pauvre homme ; même colon sans colonies, il est encore colonisé.
L'article nous donne l'exemple de l'ancienne Yougoslavie, colonisée par les trois empires mentionnés, où « les Allemands et les Soviétiques se sont affrontés violemment au XXe siècle » et « de plus, le servage – parfois comparé à l'esclavage des plantations – a duré plus longtemps là-bas que dans la partie occidentale du continent ».
Faible, mais le matériel du client est comme ça. Quoi qu'il en soit, des efforts sont faits.
Héritages exclusifs, mais inclusifs
Au cas où vous ne vous en souviendriez pas, le mouvement Black Lives Matter a organisé une manifestation à Bucarest, à laquelle ont participé une dizaine ou une quinzaine de personnes qui, d'après le texte lu au micro, semblaient se considérer comme « de couleur », bien qu'elles n'étaient même pas bronzées, et qui protestaient contre la « suprématie blanche » et la discrimination à l'encontre des femmes et des « personnes transgenres ».
Au cas où nous ne croirions pas nos yeux et nos oreilles, le micro a ensuite été passé, de manière illustrative, à une « personne transgenre », qui a lu sur une feuille qu'elle ne voulait pas vivre dans un pays où les personnes de couleur sont tuées par la police, un pays qui « ne prend pas la responsabilité des siècles d'esclavage, de lynchages et d'oppressions systématiques contre les personnes de couleur » et qui ne met pas fin à « l'héritage transgénérationnel du racisme ».
Dans un cumul éblouissant de fonctions, la même « personne transgenre » portait une pancarte où il était écrit « Travailleurs du sexe contre le racisme ».
Et moi, qui pensais que, du moins dans ce domaine d'activité, le bénéficiaire du travail devrait pouvoir discriminer un peu, non ?
Malheureusement, ce n'est pas une digression gratuite. Nous pouvons tous observer, y compris à partir des brefs extraits ci-dessus, la multitude de glissements terminologiques et conceptuels qui entourent le « colonialisme », conduisant à la prolifération des catégories de victimes et, respectivement, de bourreaux.
La résolution du Parlement européen sur la « conscience historique européenne » est pleine de références aux « injustices basées sur le genre, les croyances et l'appartenance ethnique », « la lutte contre les différentes formes d'intolérance et d'inégalité et la construction de sociétés plus inclusives », « les stéréotypes de genre, les asymétries de pouvoir et les inégalités structurelles... profondément enracinées dans l'histoire européenne » ; le Parlement européen « regrette le manque d'une approche suffisamment multiculturelle et tenant compte de la dimension de genre dans l'enseignement de l'histoire » et « considère essentiel de traiter la marginalisation des femmes et d'autres groupes sociaux sous-représentés dans l'histoire et invite les États membres à mettre un accent plus fort sur cet aspect dans les programmes d'enseignement nationaux ».
En mettant bout à bout ces fragments, je crains que le colonialisme n'ait été inclus, même à moitié mots, dans la sélection étroite de l'histoire d'où devrait émerger « l'identité européenne » non pas comme une reconnaissance d'un passé incontestable, tout comme le fascisme, le nazisme et le communisme, dans le but d'éviter la répétition de tragédies historiques.
Et non pas parce qu'une quelconque répartition fraternelle des richesses et avantages colossaux obtenus par certains pays grâce à leurs colonies serait en préparation.
La présence du colonialisme sur la liste de la honte semble indiquer que nous, tous les Européens, indépendamment du fait que nos pays aient ou non eu des colonies, devons partager un sentiment de culpabilité historique envers « l'héritage virulent » du colonialisme, culpabilité qui est une prémisse nécessaire à l'acceptation de politiques dites « inclusives ».
Vieux et nouveaux narratifs
Maintenant que nous avons vu les composantes de « l'histoire européenne », passons à la méthode. Comment utiliser l'histoire comme un outil de construction d'une identité transnationale ?
L'approche « indispensable », nous dit l'étude de base, est une concentration « non pas sur ce que nous devons nous rappeler, mais plutôt sur comment nous devrions nous rappeler le passé ».
Autrement dit, je traduis librement, nous devons internaliser « le récit » – la narration, ou le scénario qui s'impose. Ensuite, tous les détails factuels s'aligneront joliment dans la « mémoire », comme des poussins derrière une canne, soutenant le scénario.
L'Union européenne a eu et a encore plusieurs scénarios d'intégration. Une synthèse très appréciée et souvent citée dans les sources européennes est une étude publiée en 2016 par Ian Manners et Philomena Murray sous le titre « The End of a Noble Narrative ? European Integration Narratives after the Nobel Peace Prize ».
Je cite l'introduction :
« Est-il important qu'il existe ou non une histoire de l'intégration européenne que nous puissions raconter sur l'évolution de l'UE au cours des six dernières décennies ? Est-il important que nous ayons une seule histoire ou plusieurs, ou que cette histoire soit cohérente et convaincante ? Est-il important que cette histoire change au fil du temps ? Notre réponse à ces questions est oui, cela compte. Parce que « les narrations sont des histoires que les gens racontent pour comprendre leur réalité ». Les stratégies narratives, « y compris les « normes narratives » » qui donnent cohérence et structure au « texte », assurent à celui qui les propose et les entretient la capacité de « définir la « normalité » et la légitimité » – « légitimer le passé et le présent où les narrations fonctionnent comme justification d'une entité politique ou d'un projet politique. »
(Si cela semble obscur, sachez que les auteurs font référence à Lyotard ; je fais ce que je peux).
En termes clairs, une entité politique ou un projet politique a besoin d'une histoire que les sujets croient pour qu'ils soient perçus comme légitimes et atteignent leurs objectifs.
L'histoire, c'est-à-dire « le récit », n'a pas besoin d'être nécessairement vraie, mais simplement suffisamment crédible.
Manners et Murray passent en revue quelques-unes des narrations de l'intégration européenne utilisées par l'UE jusqu'à présent, en commençant par « l'UE comme véhicule de la paix et de la reconstruction après la guerre » (scénario applicable exclusivement à l'Europe de l'Ouest et pour lequel l'UE a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2012) et en continuant avec la « Nouvelle Narration pour l'Europe », la narration économique (l'UE comme « marché unique », l'UE comme instrument de lutte contre le chômage et l'inflation, etc.), « l'Europe sociale » (narration qui est restée en position secondaire par rapport à l'économique) « l'Europe verte » (qui entre en conflit avec la narration économique) et « l'Europe globale » (qui est passée par plusieurs étapes : l'UE comme instrument de « domptage de la mondialisation », « l'Europe néolibérale » et « la forteresse Europe »).
Chacune de ces narrations a eu une certaine dose de crédibilité, une ancre plus ou moins profonde dans la réalité et une capacité plus ou moins grande à se replier face aux intempéries.
En 2019, Ursula von der Leyen proposait aussi une « narration de l'UE tout inclusif », dont les détails, si vous voulez les connaître, lisez-les vous-mêmes.
Dans quelle mesure chacune de ces narrations survivra-t-elle aux multiples crises qui affectent l'UE aujourd'hui, reste à voir.
L'Europe des valeurs en flux
Mais il semble qu'une nouvelle narration se profile, apparemment détachée de l'économie et du domaine social au sens classique. Cette narration est celle des « valeurs européennes communes » – dignité humaine, tolérance, liberté et égalité, solidarité et démocratie.
Cette narration joue un rôle direct dans la formation de la « conscience historique européenne ».
La résolution attire l'attention sur le fait qu'« il est important de passer d'une « culture européenne de la commémoration », qui est principalement descendante et préoccupée par ce que les Européens devraient se souvenir, « à une culture du souvenir », ascendante et centrée sur les citoyens, basée sur des principes et des valeurs européennes communes... ».
L'étude de 2017 détaille que, pour obtenir cette « culture du souvenir », les pays doivent « s'abstenir strictement de toute tentative d'établir une hiérarchie de la culpabilité ou de la souffrance ou d'essayer de compenser les crimes entre eux » et développer « une compréhension mutuelle permettant une réconciliation bi- et multilatérale ».
« Inhérente à cette approche est la disposition à discuter sans réserve des moments difficiles de l'histoire nationale. Des pas symboliques prometteurs ont déjà été faits dans cette direction, notamment par ce qu'on appelle les « politiques du regret »... où des dirigeants nationaux ont assumé la responsabilité des méfaits du passé de leur pays et se sont engagés dans des actes publics d'expression du remords. »
Avant que je puisse formuler dans mon esprit ne serait-ce que la première des nombreuses stupéfactions, l'étude continue :
« Une telle approche dépourvue de préjugés (!) de l'histoire soulève encore une autre question : l'abandon de l'idée de « vérité historique » en tant que catégorie absolue... Peut-être qu'il existe des faits historiques, mais il n'y a pas de vérité historique unique ou statique. »
Ensuite, il est cité Foucault, qui aurait dit, comme on pouvait s'y attendre, que « la vérité reste toujours intrinsèque et, en même temps, fait partie des structures de pouvoir existantes à un moment donné, se modifiant au fil de l'histoire ».
Et, en apothéose : « De même, la vérité d'une personne n'est pas nécessairement la vérité d'une autre. Étant donné que les différentes cultures, mais aussi les individus au sein de ces cultures, soulignent différents aspects de la vérité, il existe une multitude de « vérités » même à un moment historique donné. »
Qui a encore des questions n'a pas été assez attentif. « L' identité européenne » est une en flux, subjective, associée à une « conscience historique européenne » dictée, selon Foucault, par les structures de pouvoir du jour.
Ou, comme l'a dit Churchill, qui était, quoi qu'on en dise, un causeur bien meilleur que Foucault : « L'histoire sera indulgente envers moi, car j'ai l'intention de l'écrire moi-même. »
Mais, si l'identité et la « conscience historique » flottent dans une telle dérive relativiste, comment sont-elles encore ancrées dans les « valeurs européennes » – une expression qui évoque, pour ainsi dire, quelque chose de défini et de pérenne ?
Je crains que les valeurs ne soient soumises exactement au même régime relativiste que la « vérité historique », chose pleinement observée pendant la soi-disant pandémie.
Devoirs à domicile
Je mentirais si je disais que je suis trop étonné par ce qui précède. Créer une identité commune à des millions d'individus est une tâche difficile et de longue haleine, même lorsque vous disposez du creuset parfait qu'offre l'État national.
Essayer de le faire sur une population énorme, composée d'individus avec une identité nationale encore bien définie, différenciée culturellement et linguistiquement, et avec une longue histoire de conflits, est « un acte difficile et potentiellement dangereux », pour citer même la résolution.
La seule façon d'essayer de le faire est à travers un immense projet d'ingénierie sociale. Dans ce cas, je pense que vous devez proposer un « narratif » quelque peu plausible et convaincant, qui a une importance réelle dans la vie des sujets ; quelque chose d'économique, social, ou la paix – des narrations proposées avec succès par l'UE dans les décennies précédentes.
Il est compréhensible qu'aujourd'hui, de telles promesses de paix et de prospérité soient moins crédibles, pour des raisons que nous voyons du matin au soir à la télévision.
Mais cela n'excuse pas la proposition d'un scénario (« l'Europe des valeurs ») non seulement excessivement abstrait, mais aussi tellement décrédibilisé qu'il devient une sorte de fantaisie de circulation.
La démocratie, par exemple, est une valeur européenne, mais personne ne m'a demandé si je voulais qu'on y ajoute une « identité européenne », basée sur une « conscience historique européenne ».
Je dis « ajout » bien que, évidemment, il ne s'agisse pas d'un supplément plus ou moins bipolaire, mais d'un remplacement de l'identité et de la conscience historique nationales.
Cela ressort clairement de la résolution, qui « invite les États à mettre à jour leurs programmes d'enseignement et les méthodologies d'enseignement actuelles pour détourner l'attention de l'histoire nationale vers celle européenne et mondiale et pour mettre davantage l'accent sur la compréhension de l'histoire supranationale ».
Les devoirs continuent et sont très concrets : le Parlement européen demande « que l'enseignement de l'histoire européenne et de l'intégration européenne... devienne une partie intégrante des systèmes éducatifs nationaux », demande aux États « d'élaborer ensemble un « manuel de l'UE » pour les activités scolaires, offrant des orientations communes, des faits et des chiffres impartiaux pour l'enseignement de l'histoire européenne » et « de fournir des matériaux pédagogiques (d'histoire) et des formations adaptées, permettant aux enseignants de se concentrer mieux sur les aspects transnationaux et les multiples facettes de l'histoire ». Plus « combattre les stéréotypes et les vérités dogmatiques (« vaches sacrées ») de l'histoire nationale ».
Je ne me demande pas lesquelles seraient les nôtres pour ne pas augmenter ma tension artérielle.
Avertissements
Et puis, si vous faites de l'ingénierie sociale et que vous dites aux sujets que vous le faites, ne serait-il pas bon de viser un résultat cohérent, cohésif ou au moins fonctionnel ?
L'identité et la conscience proposées ne sont ni l'une ni l'autre, mais seulement un petit moule dans lequel peuvent tenir, selon les besoins, les contenus prévalents du jour.
Par exemple, pour le moment, la préoccupation semble être le mauvais usage des consciences historiques nationales encore non transformées européen, qui utilisent l'histoire à des fins, bien sûr, politiques, car c'est par la politique que s'exercent les droits politiques qui décrivent la démocratie, qui concerne un peuple avec une conscience historique nationale, l'histoire étant en grande partie politique.
L'année 2024 est une année électorale importante en Europe et dans de nombreux pays, on observe une montée de groupes politiques qui promeuvent d'autres narrations européennes que celle désirable aujourd'hui à Bruxelles. De nombreuses études sur les soi-disant « contre-narrations » de l'intégration européenne existent. (Exemples ici, ici et ici).
La résolution exprime cette préoccupation par une série d'avertissements qui me font penser que, du moins pour le moment, jusqu'à ce que notre conscience historique européenne aseptisée dont nous avons parlé grandisse, l'ordre du jour est de bien tenir en laisse la conscience nationale existante, pour qu'elle ne saute pas par-dessus la clôture de l'Union.
Parmi d'autres choses, le Parlement européen nous avertit que « l'histoire ne doit jamais être relativisée, dénaturée ou falsifiée à des fins politiques ». Celle-là est bonne. Eh bien, l'objectif pour lequel l'UE veut relativiser les histoires nationales, comme on nous le dit avec sujet et verbe, n'est-il pas aussi un objectif politique ? Ce doit être une autre politique, la bonne, ou subjectivement bonne, sinon je ne comprends pas.
Ensuite, le Parlement européen « demande aux institutions européennes, aux États membres, aux pays candidats et potentiellement candidats, aux institutions éducatives et aux acteurs de la société civile de renforcer leurs efforts pour promouvoir la réconciliation, de s'abstenir de toute tentative d'instrumentalisation de l'histoire à des fins politiques et de lutter contre le révisionnisme et le négationnisme historique tant dans l'Union européenne qu'en dehors ».
La résolution, je le répète, date du 17 janvier 2024. Je ne peux même pas imaginer de quoi il s'agit.
Enfin, il y a d'autres avertissements, mais le dernier est plutôt faible, comme un espoir immature : le Parlement européen « estime que les mémoires collectives nationales contribueront finalement à une sphère publique européenne et fusionneront en son sein, et que dans cette sphère, les cultures nationales de mémoire se complèteront mutuellement, au lieu d'être en compétition, et que l'approche de l'histoire deviendra une question d'action civique plutôt que politique ».
Sur cette note sifflée de malheur se termine la résolution du Parlement européen sur la « conscience historique européenne ».
Cui prodest ?
Je reviens au point de départ et je dis : à quoi bon tout ce parcours verbeux, contradictoire et alambiqué sur quelles ingénieries sociales devraient être exécutées, sur plusieurs générations, si le temps le permet, et avec des chances de succès que même le Parlement européen ne voit pas très bien ?
Était-il donc nécessaire, de toute urgence, en ce début d'année qui ne s'annonce pas du tout bon, de ce document obscur, mariné dans des concepts postmodernes, qui ne réussit qu'à consterner les citoyens déjà enflammés par l'absence de solutions aux problèmes réels, graves et immédiats qui menacent leur sécurité et un niveau de vie décent ?
Si les avertissements politiques disséminés dans la résolution étaient le sujet, je pense qu'ils ont déjà été et sont encore largement exprimés dans une variété d'autres discours des représentants de l'Union.
Mais édicter que l'adoption de positions politiques non alignées à Bruxelles est l'expression interdite de la manipulation des histoires nationales – manipulation permise, semble-t-il, uniquement dans les nobles objectifs de « l'intégration européenne » – ne fait qu'insulter l'intelligence et irriter le citoyen dont le soutien et la loyauté sont maintenant plus nécessaires que jamais à l'Union européenne.
Ainsi, je ne sais pas à qui profite cette tentative désespérée de créer un Homo Europaeus Novus, sans racines, sans histoire, sans foi et sans politique, mais bien traumatisé ; je sais cependant qu'elle est mort-née, comme toutes les autres, qui ont été.
Une chose est certaine : quand vous avez besoin d'un Homme Nouveau pour votre projet, cela signifie que vous n'avez pas de projet. Alors, nous nous demandons : Quo Vadis, Europe ?
Voici le document de l’UE : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2023-0402_FR.html
Et voici le lien vers le document paru dans la presse roumaine : https://www.activenews.ro/opinii/Noul-proiect-UE-abolirea-istoriei-187992 ?
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