Nouvelle condamnation de la Turquie par la Cour européenne des droits de l’homme : violation de la liberté d’expression
Dans un arrêt du 27 octobre 2020, dans l’affaire Kılıçdaroğlu c. Turquie (requête no 16558/18)[1], la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’affaire concerne la condamnation du leader du parti principal de l’opposition (Kemal Kılıçdaroğlu) au paiement de dommages et intérêts pour avoir porté atteinte à la réputation du Premier ministre de l’époque (Recep Tayyip Erdoğan) en raison de deux discours qu’il avait prononcés en 2012 dans l’enceinte parlementaire.
En réalité, Monsieur Erdogan n’a pas apprécié la position exprimée par Kemal Kılıçdaroğlu, lors des débats parlementaires en 2012 et a porté plainte contre lui.
Dans son communiqué, la Cour rappelle les faits : « Le 31 janvier 2012 et le 7 février 2012, M.Kılıçdaroğlu, en sa qualité du chef du CHP, tint respectivement un discours lors de la réunion du groupe parlementaire de son parti. Les discours des 31 janvier et 7 février 2012 portaient sur divers sujets d’actualité, à savoir entre autres, les décisions de justice rendues à l’encontre de protestataires ayant mené des actions contre les projets de centrales hydroélectriques de Tortum (district d’Erzurum, Turquie), l’affaire judiciaire Deniz Feneri, l’événement d’Uludere, une procédure judiciaire devant le Conseil d’État, etc. Dans ses deux discours, M. Kılıçdaroğlu critiqua le Premier ministre de l’époque. Le 1er mars 2012, le Premier ministre engagea deux actions civiles en dommages et intérêts à l’encontre de M. Kılıçdaroğlu, estimant avoir subi une atteinte à son honneur personnel et professionnel ainsi qu’à sa réputation. Le 23 octobre 2012, le tribunal de grande instance d’Ankara rendit deux jugements, condamnant M. Kılıçdaroğlu au paiement de 5 000 livres turques dans chacune des procédures, pour le dommage moral causé à la réputation du Premier ministre. Le pourvoi en cassation de M. Kılıçdaroğlu fut rejeté et son recours individuel devant la Cour constitutionnelle aboutit à un arrêt de non-violation de son droit à la liberté d’expression. »
Erdogan a pris petit à petit, le contrôle de toutes les institutions turques, empêchant la démocratie de fonctionner normalement et imposant sa volonté à tous les niveaux ; de ce fait certains qualifie la Turquie de « démocrature » ou encore carrément, de dictature autoritaire…
Pour la Cour, les deux discours concernaient des sujets d’intérêt général liés, notamment, à des affaires judiciaires relatives à des allégations d’abus de confiance, à une tragédie humaine provoquée par un bombardement de l’aviation turque et à la construction de centrales hydroélectriques. Il était donc naturel que, en tant que personnage politique de premier rang, le Premier ministre vît ses paroles, ses faits et ses gestes être placés sous le contrôle sévère de l’un de ses principaux concurrents politiques. Par ailleurs, les deux discours concernaient des sujets d’actualité ; ils ne visaient pas directement la vie privée du Premier ministre ; et ils reposaient sur certains éléments factuels. D’ailleurs, M. Kılıçdaroğlu les a tenus en sa qualité d’élu dans l’enceinte parlementaire. À cet égard, la Cour rappelle que, précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple (…).
Par conséquent, la Cour a jugé que les juridictions nationales n’ont pas tenu compte dans une juste mesure des principes et critères de mise en balance entre le droit au respect de la vie privée (du Premier ministre) et le droit à la liberté d’expression (de M. Kılıçdaroğlu) définis par la jurisprudence de la Cour.
La Cour a condamné la Turquie à verser à M. Kılıçdaroğlu 6 385 euros (EUR) pour dommage matériel, 5 000 EUR pour dommage moral, et 1 662 EUR pour frais et dépens.
Quand un seul homme impose sa volonté à un pays, la dictature n’est pas loin… Cependant, vue la voie que la Turquie a prise depuis l’accession au pouvoir de l’AKP (islamo-conservateur) de Recep Tayyip Erdogan, rien ne peut nous étonner aujourd’hui concernant le comportement autoritaire du néo-sultan et aspirant calife d’Ankara, qui entraine son pays vers le Moyen-Age…
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