Nouvelles du front : année 2008
Nous sommes en guerre, tous autant que nous sommes et la plupart d’entre nous le savons ou le pressentons plus ou moins.
En temps de crise, l’esprit cherche des repères et d’étranges souvenirs remontent à la surface. Un film de 1957, « Planète interdite » où une civilisation impensable avait dû générer un monde d’un tel niveau de complexité qu’un jour, ils commirent une erreur qui causa leur perte sans qu’ils comprennent seulement d’où venait le coup fatal.
Comme le dit un personnage du film « Ils ne pouvaient pas savoir... ».
28 janvier 1986, Challenger grimpe dans le ciel quand Francis Scobee (commandant de bord) reçoit l’ordre « Challenger, go and throttle up ! » A bord, une jeune enseignante que des milliers de jeunes Américains (dont ses élèves) voient monter dans le ciel.
Une poignée de secondes plus tard, un monstrueux feu d’artifice.
Eux non plus ne pouvaient pas savoir que les joints de booster étaient sensibles au froid, que des injonctions politiques et commerciales pouvaient primer les exigences de sécurité.
Mais nous, nous ne pourrons pas dire qu’on ne pouvait pas savoir...

Du 14 au 16 septembre 2007, s’est tenu un séminaire à l’université de Washington sur le thème « The triple Crisis », en référence à la triple crise économique, énergétique et écologique vers laquelle les différents intervenants disaient que nous nous précipitions.
Mickael Klare, David Korten, Vandana Shiva, Susan Georges, Frances Moore-Lappe, Wes Jackson, Khor, Bello, tant d’autres, tous d’accord pour décrire un monde très mal en point, le pire étant à venir.
En débit de l’optimisme de Frances « It’s far too late and things are far too bad for pessimism » ou de Q’Orianka Kilcher (Pocahontas), beaucoup étaient graves dans leurs propos à l’image de Susan Georges « I’m terrified, too » préconisant une politique de temps de guerre et un partenariat public/privé pour essayer de ne pas sombrer dans la tempête qui s’annonçait inévitable.
Ces différentes interventions (pour ceux comprenant l’anglais) demeurent pour moi un bréviaire pour les décennies à venir.
Quand Jeffrey Sachs nous dit que 10 000 à 15 000 milliards de $ pourraient partir en fumée, que l’Agence internationale de l’énergie prévient que le déclin de la production pétrolière est plus rapide que prévu (sans parler des immenses besoins en investissements dans le secteur énergétique), que les scientifiques nous avertissent d’un
How much is too much ?
A quel moment allons-nous sortir de l’hébétude dans laquelle nous sommes collectivement pour nous souvenir que la destinée de tout troupeau aveugle est de finir à l’abattoir ou au fond du ravin ?...
Comme le disait un rapporteur de la commission d’enquête suite au drame de Challenger « Personne ne peut se permettre d’oublier que la nature ne peut être trompée ».
Une première piste déjà évoquée consiste à revoir profondément le fonctionnement de la finance qui voit des intérêts privés détenteur du privilège exorbitant de créer des masses monétaires ex-nihilo (via les emprunts) en exigeant une rémunération qui peut envoyer particuliers comme Etats dans le mur. Que les revenus ne suivent pas et tout le monde se trouve piégé. Ce n’est pas pour rien que le système « souhaite » la diminution en valeur réelle du salaire horaire compensé par une augmentation des heures de travail (travailler plus pour rembourser plus - aux banquiers en particulier, mais aussi aux actionnaires -, puisque cette forme moderne d’esclavage semble si bien tolérée). Bien sûr une loi fondamentale de l’Univers interdit aux Etats de créer tout l’argent qui leur est nécessaire pour leurs investissements, et de prêter à taux zéro aux collectivités locales comme aux particuliers.
Le monde (as we know it) s’effondrerait, alors que là...
C’est fort dommage, car cela nous oblige à une course à la croissance perpétuelle, impensable avec la trajectoire suivie.
On mettra plus de temps à comprendre que la dérégulation systématique en faveur de la finance et des entreprises s’est doublé d’une réglementation fort efficace vis-à-vis du pouvoir potentiel (correcteur et réglementaire) des Etats.
Comme le dit explicitement « Whose Trade Organization », l’OMC est là pour réglementer l’activité et les droits des Etats, nullement pour s’occuper des devoirs des entreprises.
Comme il est dommage que les Etats aient dû abandonner (en pratique) les droits de douane (autant se trancher les veines) au nom du libre-échangisme. Ces droits équivalaient à une "taxe- carbone
On aurait pu la pondérer en fonction de la masse et du kilométrage parcouru par les marchandises par exemple. Comme le disait récemment Al Gore « We should tax what we burn not what we earn », taxons l’énergie plutôt que le travail.
Le « Cap and Trade » (plafonnement avec marché des droits d’émissions) semble en effet avoir été conçu sur mesure pour nous envoyer dans le mur sans égratigner les pollueurs (ce qui ne les empêche nullement de couiner à titre préventif).
Il faut clairement revoir la taxation des produits financiers au sens large ainsi que la distribution des rôles public/privé.
Taxe-carbone, Taxe « Tobin »,
Quand la satisfaction de besoins fondamentaux (eau, énergie, transports, télécoms, logement, etc.) dépend d’entreprises privées gigantesques (plus de la moitié des plus grosses économies de la planète ne sont pas des Etats, mais des entreprises) dont les préoccupations sociales n’arrivent pas en tête de la liste de leurs objectifs (faut-il préciser ?) on peut imaginer n’être pas en présence de la meilleure formule possible...
Beaucoup viennent de (re)découvrir que ces entreprises qui distribuent peu de leurs bénéfices (que ce soit à l’Etat ou à la plupart de leurs employés) quand ça va, sont en pratique « trop importante pour qu’on les laisse couler ».
Pile nous ne gagnons pas et face elles ne sauraient perdre... Là aussi on peut imaginer des améliorations au système.
Aux cassandres qui nous disent que nous sommes endettés à mort, que nos marges de manœuvre sont nulles et que nous ne pouvons trouver l’argent pour faire ce qu’il y aurait à faire, l’actualité de cette fin 2008 est là pour démentir cette croyance.
Yes, we can !
Une deuxième piste vise à contourner la finitude des réserves naturelles que nous pillons dans une frénésie irresponsable et imbécile.
Dans le secteur énergétique, nous nous battons pour l’utilisation de ressources fossiles finies et en voie de raréfaction. La possession par une minorité de ces ressources permet de les vendre à un prix sans rapport avec le coût de production et, quand on approche le « pic de production », on peut envisager une quasi-vente aux enchères.
D’innombrables conflits en furent et sont la conséquence (Irak et Congo, par exemple).
Une solution déjà connue consiste à développer et favoriser l’accès à des moyens de production d’énergie renouvelables. En effet, ces ressources sont infinies et omniprésentes ce qui élimine les sources de conflits, de spéculation, thésaurisation, etc.
Les allégations selon lesquelles elles ne sont pas à la hauteur des besoins, chères, difficiles à développer ne visent qu’à défendre des intérêts privés. Elles disparaîtront du jour au lendemain quand nous n’aurons plus aucune alternative...
En corollaire, on sait aussi que le développement de transports publics électrifiés performants, trains, bus, tramway (et la facilitation du vélo et de la marche à pied pour tous ceux qui le peuvent) seraient une aubaine collective (au sens le plus large).
Dans ce registre, nous savons aussi qu’un des meilleurs gisements énergétiques que nous ayons est «
Un problème bien plus sérieux nous attend du côté des matières premières minérales que nous devons repousser par une meilleure conception des matériaux et produits ainsi qu’un tri et recyclage le plus poussé possible, en étudiant les alternatives issues de la chimie organique (souvent de l’agriculture au moins pour les précurseurs). On sait que les usages « matière » du pétrole pourront être assurés par des dérivés de produits agricoles.
Comme pour l’énergie, il faut changer de paradigme.
Yes, we can
Nous ne sommes pas condamnés à la décroissance énergétique (ni même sans doute matérielle), mais clairement à changer nos pratiques de chasseurs/cueilleurs à moins de souhaiter le chaos pour ceux qui nous suivent.
La frugalité individuelle et une gestion de « bon père de famille » (nécessaires) ne pourront nous empêcher de taper collectivement dans le mur quand l’essentiel de notre consommation énergétique et matérielle par exemple ne résulte pas de nos choix individuels.
Sans doute, ces approches (je n’ai fait qu’esquisser) ne nous empêchent nullement de pourvoir aussi à la satisfaction des besoins basiques (alimentaire, d’éducation, santé, accès à la contraception, etc.) dans les pays qui n’ont pas les moyens d’y pourvoir seuls. Lester Brown (
Où sont les meilleurs placements que nous puissions trouver en ces temps troublés sinon l’investissement humain (au sens large), y compris ailleurs que chez nous ?
N’obligeons pas la moitié de la planète à exporter ses habitants faute de biens à nous vendre ou plutôt de services à nous rendre.
Des partenariats sous le modèle du concept "
A la réflexion, il semble bien que nous ayons sous la main tout ce dont nous avons besoin pour nous en sortir élégamment (je veux dire dans les larmes et la souffrance des plus pauvres et plus faibles d’entre nous) une fois de plus.
Tout peut-être sauf une démocratie digne de ce nom…
Quand l’Etat français (parlons de ce pays minuscule) est corseté jusqu’à l’étouffement par le « droit mondial » de l’OMC (je n’ai pas le souvenir que les peuples aient eu à ratifier quoi que ce soit, d’un débat public, de polémiques sans fin à l’assemblée à quelques jours du Noël 1994) et les contraintes européennes (contraintes pour les peuples, plutôt que pour les « marchés ») et que la seule alternative crédible aux élections est entre un parti de droite (UMP) clairement en place pour satisfaire la minorité la plus riche et un parti de centre-droit (PS) qui a aux détails près la même idéologie (il a aimablement fourni l’actuel président du FMI et le secrétaire général de l’OMC) on a du mal à imaginer l’émergence d’une politique novatrice...
Finalement, il ne suffit pas (comme pour le climat) d’avoir assez de bonnes cartes dans son jeu pour gagner la partie. Encore faut-il concrètement s’en servir à temps et de façon intelligente.
Inspirons-nous de la victoire d’un improbable candidat aux récentes élections présidentielles américaines. Bougeons-nous, dans les têtes et dans les actes.
Nous pouvons radicalement changer à échelle individuelle et inspirer autour de nous. Collectivement, nous avons un pouvoir financier colossal et encore le droit de sanctionner dans les urnes (au 1er tour, a minima) ceux qui se présentent aux élections sans aucun projet pour nous sortir des ornières et des impasses.
N’en déplaise aux cassandres, la fin de notre civilisation n’est pas pour demain et la mise à mort de ce système se fera dans une évolution plus qu’une révolution.
Yes, we can
J’ai parlé de guerre en introduction. Pas de guerre économique qui est le hochet qu’on veut bien nous donner pour nous divertir voire nous endormir. Non une vraie guerre contre la bêtise, l’ignorance, l’égoïsme, la lassitude, le désespoir, le cynisme, l’hypocrisie, la désinformation, bref, tout ce qui peut nous pousser à croire que nous ne pouvons rien et que ce monde est trop fort et trop rusé pour nous, que le combat ne sert à rien et que réfléchir et œuvrer au bien collectif est utilisé notre intelligence à nos dépens.
Yes, we can
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