Nuits de cauchemar sous les bombes
Une infirmière témoigne : « Hier soir, on a eu une alerte à l’hôpital. Les bombardements étaient si forts qu’on a conduit tous les blessés dans les couloirs où le grondement des explosions était presque étouffé. On leur a lu un journal à voix haute et j’ai commencé les procédures du soir, mis les gouttes dans les yeux, appliqué les compresses, puis j’ai dû retourner à la salle des pansements à contrecœur. À l’intérieur, j’avais vraiment l’impression que les bombes étaient toutes proches et que mon tour allait venir. Du matin au soir, l’artillerie bombarde la ville. Entre pans de vie, immeubles d’habitation, dépôts d’essence, hôpitaux, les bombardements font des dizaines de morts chaque jour. Je ne peux pas comprendre, ma tête refuse d’admettre la barbarie qui va jusqu’à bombarder les hôpitaux, avec des bombes à effet de souffle et des bombes incendiaires ont été larguées. Il y a beaucoup de blessés, beaucoup de gens ont brulé… Pourquoi font-ils cela ? Pour montrer qu’ils ne respectent personne ? Nous le savons déjà. Les générations futures ne pourront qu’être révoltées par cette barbarie sans nom. »[i]
Un enfant témoigne : « Enfermée dans un espace de quatre kilomètres sur quatre, derrière de grands murs surélevés de barbelés, la population devant subir le traitement inhumain imaginé par l'armée occupante. Des brimades, en passant par l'isolement, la faim, la soif, la misère, le typhus, la tuberculose, les exécutions sommaires et la réduction de l'homme à l'état primaire. C’est le dessein tragique orchestré par les occupants pour parvenir à l'élimination totale… » [ii]
Une mère avec sa fille témoigne. Lorsque les soldats sont arrivés chez elle. Elle leur a expliqué qu’elle était professeure et handicapée, mais ils n’ont rien voulu entendre. « Ils étaient cinq, armés. Ils nous ont emmenées dehors, ont pris nos documents, nos téléphones, nous ont mis un sac sur la tête et nous ont conduites jusqu’à la prison », se souvient cette femme de 56 ans. La mère et la fille ont passé trois jours dans une minuscule cellule avec deux autres femmes. L’air manquait. Les soldats venaient régulièrement les voir, ivres. Une nuit, l’un d’eux est venu en sous-vêtements les interroger. L’une de leurs codétenues a été torturée à l’électricité. L’autre, âgée de 22 ans, a été emmenée plusieurs fois. « Elle revenait épuisée et battue. Ils l’ont violée et forcée à faire des vidéos pour dire combien il était formidable de vivre sous leur loi maintenant. »[iii]
Une femme témoigne : « Tous les jours, il y a des bombardements. La nuit dernière, à 2 h du matin, ils bombardaient là-bas et le ciel était complètement embrasé. Je ne partirai pas. D'abord, il y a les enfants qui sont là et mon mari est enterré là. Non, je ne veux pas partir. »[iv]
4 témoignages, qui dans leur contenu se ressemblent, se copient même, s’additionnent… Pourtant, l’espace-temps, les distances, les cultures sont différenciées, cependant ce qui les rassemble est la même horreur : vivre sous les bombes, vivre sous le joug de la force brutale ; ne plus vivre, quémander son existence en sursis.
Le premier témoignage vient du journal personnel de Louba shaporina qui travaille comme infirmière dans un hôpital du centre de Moscou en septembre 1941. Elle et ses patients subissent les bombardements incessants de la Wehrmacht assiégeant sa ville. Les bombes tombent dans un périmètre donné où habite une forte densité de population. Ils sont massacrés sous les bombes qui incendient et détruisent sans discernement, la plupart du temps tuant des civils, en majorité des femmes et des enfants, car les hommes, eux, défendent la cité dans les quartiers périphériques pour contenir l’avancée des Allemands.
Le second témoignage vient d’un documentaire tourné en 2003 appelé « Mémoire de rescapés du ghetto de Varsovie », où on écoute les témoignages de quatre survivants. L’un d’eux, Marek Edelman explique en guise d'introduction : « On n'était jamais sûr de survivre une journée ». Gutka un autre survivant, se souvient : « Après avoir vu mes parents brulés vifs, je n'avais plus envie de vivre après ça ». Ces malheureux devaient subir le traitement inhumain imaginé par l'occupant. Des brimades à la déportation, tel fut le dessein tragique orchestré par les Allemands qui parvinrent à l'extermination de près d'un demi-million d'hommes, de femmes et d'enfants.
Le troisième témoignage est celui d’une mère ukrainienne en 2024, qui a dû subir la soldatesque russe. Viktoria Scherbak avec sa fille de 17 ans sont installées à Balakliïa, dans la région de Kharkiv, tout près de la frontière russe. Cette femme explique qu’elle est professeure de russe et est handicapée. Les militaires ne veulent rien entendre et les emprisonnent. Pendant trois jours, les deux femmes vécurent l’enfer et furent témoins des pires exactions de la part des soldats russes. Dans toutes les guerres, ce sont toujours les êtres les plus fragiles qui subissent la loi des « forts »…
Enfin, le quatrième témoignage est celui d’une femme libanaise qui vit sous les bombardements israéliens en 2024. Françoise Hassan est installée dans le pays depuis plus de 30 ans à Aïda, aux portes du sud du Liban. Cette ancienne infirmière a connu les deux guerres du Liban et souligne la violence de celle qui vient d'éclater. « Elle est plus vicelarde, elle est plus sanglante. On n'ose plus sortir, on ne sait pas où aller, on craint partout. Qu'est-ce qui va se passer maintenant, va savoir ? » Elle a échappé à un bombardement israélien qui a fait plus de 40 morts. Des frappes qui tombent parfois près de chez elle. Voici le quotidien de cette femme et de ses enfants, vivre sous les bombes qui tombent et prier pour que ce soit à côté…
Pourquoi ces quatre témoignages ? Pour en introduire un cinquième. Celui des Gazaouis, mères, enfants, infirmières ou jeunes garçons qui subissent le même sort que ceux qui sont évoqués plus haut, avec cependant un GRAND bémol. Personne depuis plus d’un an ne peut recueillir dans la bande de Gaza de témoignages sur ces victimes sans visage, innocentes qui pourtant subissent l’horrible sort de ceux qui vivent le cauchemar sous les bombes, sous le rouleau compresseur des tanks ou sous l’abus de soldats ayant perdu toute humanité ; ils n’ont pas d’histoire, d’identité. Pourtant, qu’est-ce qu’on n’a pu parler de devoir de mémoire, pour qu’on se souvienne, pour que tout ce qui s’était passé d’horrible et de monstrueux ne se reproduise plus jamais… Et pourtant, sous nos yeux complices, c’est ce qui se passe à nouveau. Le passé n’a servi à rien !
Georges ZETER/décembre 2024
[i] https://www.youtube.com/watch?v=e7gY94snVtg - témoignage de minutes 14 à 16.
[ii] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/memoire-de-rescapes-du-ghetto-de-varsovie-5982360
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