Obama, dernier prophète américain avant la fin de l’Occident
Depuis environ deux siècles, l’Occident a vu se développer dans les pays modernes et industriels des évangiles sociaux. Des mouvements politiques se sont greffés aux élections démocratiques. La France est bien placée pour ses secousses populaires. Comme l’a bien expliqué Lasch, la politique strictement rationnelle n’existe pas ou du moins, si elle est pratiquée, elle est beaucoup moins efficace que la politique dont le ressort mythique et eschatologique est puissant ou, du moins, largement présent. Beaucoup d’Américains nourrissent un formidable espoir en la présidence d’Obama. Ces élections offrent l’occasion de revenir sur quelques mythes et espérances passées, notamment aux States et en France. Quand l’espérance est déçue, c’est parfois la colère qui gronde ou la raison qui reprend le dessus.

Après 1945, les pays avancés, notamment les Etats-Unis et la France, ont été le siège d’évangiles sociaux. En 1963, Martin Luther King prophétisait l’émancipation des Noirs dans un pays encore pénétré de lois ségrégationnistes. Mais le rêve américain, c’est surtout JKF qui l’a incarné, l’american way, la working class avec ses pavillons et ses belles voitures, le rock’n’roll... Ensuite, que de facéties. Les hippies qui n’ont rêvé que leur développement en marge. Les nombreuses églises évangéliques que comptent les Etats-Unis ont nourri plus tard la passion politique, facilitant notamment les deux élections de G. W. Bush. Quant à Reagan, il a lui aussi été porté par élan doublé d’une peur de décliner. Obama se place sur un terrain comparable à celui de Reagan, sauf que c’est inversé et que le déclin n’est pas le motif principal. Les Etats-Unis ne se voient pas en perte de vitesse. Ce serait plutôt la sortie du pays de cet état pitoyable dans lequel l’administration Bush l’a conduit, avec deux problèmes, l’engagement militaire en Orient et surtout la crise financière. Et quelques problèmes sociaux importants à gérer. La paupérisation de la classe moyenne et la montée des gens à la rue. Bref, un putain de job pour Barack ze prophet. L’Amérique est un pays étrange. Beaucoup continuent à rêver. Quoique c’est surtout par les temps d’élection que le peuple, galvanisé par les discours, les meetings, l’esprit rationnel mis en suspens au profit d’une excitation spirituelle, un peu comme on en connaît les jours précédant une rencontre sportive.
La France a mis du temps pour rêver après 1945. Il faut dire que la sortie de la guerre, doublée du plan, de la bureaucratisation, de la conduite rationnelle du pays, n’a rien de bien excitant comme aurait dit le pasteur Niebuhr (Lasch, Le Seul et Vrai Paradis, Climats, p. 334). Après l’explosion de Mai-68, le groupe Alice chantait en 1971 le monde nouveau qui arrivait, alors que Serge July prophétisait une guerre civile de classes. La France est marquée par le mythe ouvriériste, la grève générale et l’avènement du grand soir. C’est complètement irrationnel, mais croire en un rêve communiste ou socialiste, ça aidait à vivre dans ce pays pourtant dynamique pendant les Trente Glorieuses. Changer la vie, un thème dans le sillage de ce rêve transposé selon les normes intellectuelles du temps par François Mitterrand. 1981. Nous étions passés de l’ombre à la lumière disait je ne sais plus qui dont on oubliera le nom par charité. En 1983, rappel aux réalités politiques. Nous étions passé de la lumière à la grisaille. Le chômage montait et le journal Actuel se demandait où étaient passés les jours heureux.
La bulle de l’espérance, elle est au plus haut tant qu’on refuse de voir la réalité. Ensuite, elle revient à son niveau basique, plus conforme aux possibilités de réalisation d’un bonheur dont on pense qu’il dépend des biens matériels et de l’action politique. Il y avait des espérances pourries, entretenues par les vendeurs d’idéologies et de programmes politiques comme il y a aussi des créances pourries, entretenues par les vendeurs de produits dérivés. Et quand le retour aux réalités des espérances de gains se fait, alors, la bulle se dégonfle. Amusant, dirait le Pr Choron, étonnant ajouterait Desproges, le professeur encyclopède !
Retour sur cette période de transition, simple épisode d’une société en modernisation. 1991. La fin de l’Empire soviétique et d’une idée. 1993, la crise, la légère récession. Comme celle de 2008. Le thème de la fracture sociale. Chirac parvient au pouvoir. Mais la fracture réduite selon Juppé, ce fut les moins lotis devant payer, y compris les pas trop mal logés, dont la puissance syndicale se révéla en décembre 1995. La colère. Et déjà l’idée que les générations futures vivraient moins bien. C’était à la fois un mythe négatif et une idée pas très rationnelle. Mais raisonnable par temps de récession. Et raisonnable aussi parce que l’idée d’un progrès sans limite n’est pas rationnelle. Toujours est-il que la société a avancé avec les nouvelles technologies et que le progrès matériel était au rendez-vous, avec une modeste mais soutenue croissance. Mais toujours cette morosité. En 2002. Et en 2007, quelques mythes de campagne lancés par deux camps opposés et un troisième homme. En 2007, la France a ressemblé un peu aux Etats-Unis. Avec des campagnes apportant leur lot d’évangile social. Désir d’avenir, ensemble tout devient possible si on redonne le goût du travail et qu’on tourne le dos aux vieilles lubies relativistes de Mai-68. On peut rire de ce propos de campagne de notre président fustigeant les valeurs de mai alors qu’elles ont été enterrées depuis vingt ans. Le pouvoir d’achat, on voit ce qu’il en est advenu. Un peu comme la fracture sociale de Chirac, qui s’est aggravée. Le pouvoir d’achat, parlez-en aux salariés de la Camif et de Renault. Le rêve proposé par Sarkozy finira comme celui de Chirac. Tout dépendra de la gestion du gouvernement qui ne dispose pas de leviers importants en matière économique et qui, sur le plan social, marche sur des œufs. Mais rien ne peut pour l’instant justifier qu’on anticipe une fronde sociale de plus grande ampleur que 1995, voire que Mai-68. Il se peut bien qu’une certaine résignation ait gagné l’Europe, bien que les récentes manifestations d’Italie puissent donner un sentiment contraire. Une comédie à l’italienne ? Wait and see. La démocratie, enchantements et désenchantements… une comédie politicienne.
La ferveur envers Obama est paraît-il un phénomène sans précédent depuis les années Kennedy. La croyance, la foi, l’espérance, bien que les froids rationalistes puissent en rire, ne sont pas des signes de faiblesse ni d’avilissement. C’est même ce qui participe à l’essence de l’humain, aux côtés de la raison. Cela dit, tout dépend de ce que les gens attendent. Plus de fraternité ou bien plus de matérialité. C’est un peu un trompe-l’œil que ces récents mouvements de ferveur, en France ou aux States, ces signes d’espérance interprétés comme un désir de bâtir ensemble une société plus juste. Il se peut bien que l’époque actuelle soit celle du dernier rêve, qui ne s’accomplira pas car, au fond, il n’est peut-être pas si sincère. Pour le dire ouvertement, ces élans populaires ne sont pas tant un rêve ensemble qu’une addition d’égoïsmes qui, à l’occasion d’une élection, se rassemblent, à l’image de supporters qui, indifférents dans la vie de tous les jours, scindés en classes sociales, parlent et vocifèrent d’une même ferveur dès que leur équipe entre dans le stade. L’élection américaine, comme celle de 2007 en France, revêt ce côté foule électrisée et ferveurs additionnées. Rien à partager sauf à se contempler en masse dans ce miroir aux espérances.
La situation économique fera vite déchanter les Américains, comme du reste les Européens. Combien de temps va durer l’euphorie du moment Obama ? Une chose est sûre, là-bas, le volet religieux et mythe évangélique est beaucoup plus présent qu’ici. Les Américains ont le mental et la foi pour se réinventer. Et notre Europe, puisque c’est l’entité qui nous transcende, elle n’a rien de bien excitant. A voir la froide rationalité du protocole de Lisbonne et la figure du président Barroso, on a plutôt l’envie de se suicider que de croire en un rêve européen. Et si c’était l’achèvement de l’Occident ? Fini le progrès matériel indéfini et la croyance en un niveau de vie supérieur pour les générations futures. D’ailleurs, on se demande bien pourquoi il faudrait impérativement lier le bonheur et le plaisir au niveau matériel. Pourquoi être l’esclave de ces passions égoïstes et futiles ? Pourquoi se perdre dans la frénésie consumériste ? Il va sans doute se produire un désenchantement. Le monde et ses ressources se partagent. Il ne sera pas possible de maintenir un mode de vie comme celui qu’on connaît. L’esprit bourgeois est condamné. Et quand la révolution alliée au krach final sera accomplie, tous les espoirs seront permis. Quand l’homme aura brisé les chaînes de la dépendance face aux biens matériels superflus et aux hochets des carrières institutionnelles. Supprimons la Légion d’honneur et les Palmes académiques et toutes ces décorations pour notables. Un monde va se réinventer, mais ce sera dans quelques décennies.
Au final, nous allons voir une Amérique qui risque de déchanter eu égard aux espérances suscitées par Obama. En France, pareil. Ceux qui font des affaires et ont une situation ne seront pas touchés. Les autres devront faire face. La grogne des classes moyennes risque de gâcher la fête. Mais tout ceci est une comédie. La plupart des gens ont de quoi vivre. En vérité, il ne se passe rien. Les grandes secousses sont reportées à dix ou vingt ans. Ce qui paraît sensé. Car le système fonctionne bien pour l’instant. La raison reprend le dessus. La crise financière n’est qu’un point de détail amplifié pour faire vendre les journaux et parler les « Joe le bavard ».
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