Occupation passagère
Notre vie est-elle un produit de consommation comme les autres. (Un article du trimestriel Passager 120)
Allons-y franchement, et venons-en à la question centrale qui occupe peut-être certains d'entre nous : La vie est-elle une simple occupation passagère ?
Toucher au sens de la vie, c'est venir sur les terres longtemps interdites appartenant aux religions, Dieu s'occupant, par l'intermédiaire de l'église de dicter les directions et comportements de chacun.
Mais voilà que les religions s'effondrent comme sont tombés les statuts des idoles politiques des dictatures et constructions totalitaires.
Nous vivons une accélération de l'histoire, une histoire qui balaie plus vite que le vent et laisse les hommes en prise directe avec le capitalisme des sciences, produits & divertissement en vente 24h/24h.
Pourtant la question reste posée. Même si ceux qui avaient la prétention d'y répondre sont liquidés avec l'histoire et la structure séculaire de nos sociétés.
Alors quoi dire maintenant ?
Sommes nous simplement des tas de viande qui se traînent à la surface de la terre à la recherche autres tas de viandes que nous serions autorisés à manger sous forme de saucisses et hamburgers pour passer le temps, tout en regardant des écrans dont la plupart des programmes sont juste stupides ou débilitants ?
Sommes nous là pour regarder un ballon rond ou ovale parcourir dans un sens un terrain de sport avant de le parcourir dans l'autre sens sous la satisfaction des uns et le désespoir des autres ?
Adieu religions et figures totalitaires, nous avons maintenant le sport spectacle pour nous occuper. Une forme d'activité physique intéressante pour ceux qui la pratiquent, un spectacle de plus pour ceux qui souhaitent regarder un divertissement de plus, en lieu et place de la vie véritable.
Le sport c'est bien à vivre, mais son spectacle y est proche du néant puisque tout y est orchestré pour captiver le plus grand nombre tout en se remplissant les poches. Les politiciens ne s'y trompent pas, eux qui souvent savent que le vrai pouvoir est ailleurs et viennent participer à l'illusion de quelque chose qui occupe tant de gens.
Sommes nous là pour ça ? Travailler 8 heures par jours à produire quelque chose de plus en plus difficile à définir, puis passer le reste de son temps à contempler des spectacles de divertissement ou à consommer ce que les usines du monde produisent sous quelque forme que ce soit. Nous pouvons bien sûr consommer à loisir des produits comme des services.
Est-ce donc cela la vie ?
Le capitalisme aurait donc la solution à notre liberté d'être et de vivre ?
Les religions, les totalitarismes, le capitalisme, quel incroyable acharnement à ne pas vouloir vivre directement l'existence, à ne pas faire l'expérience de sa propre liberté.
Et pourtant nous sommes libres à la naissance ! Mais nos parents auront tôt fait de nous vendre le monde dans lequel ils s'aliènent, les chaînes générationnelles & sociales sont en place pour que l'enfant ne puisse pas découvrir sa liberté à vivre et à être.
La liberté est bien trop subversive pour être tolérée. Elle remet en cause la société et ceux qui en profitent le plus, le petit nombre qui gouverne le grand nombre et se nourrit de lui.
La liberté est surtout un joli mot, souvent un slogan publicitaire à défaut d'être une réalité véritable.
La liberté est un mythe sur lequel un autre mythe se repose, celui de démocratie. Ainsi nous pouvons vivre impunément en utilisant ces mots aujourd'hui dénués de sens. l'école républicaine adore ces deux mots dont elle falsifie littéralement le sens sous couvert de citoyenneté.
Non, nous ne sommes pas dans une démocratie, un "système de gouvernance par représentation" serait plus indiqué pour définir notre système politique d'exercice du pouvoir. Ainsi le peuple ne gouverne pas directement comme en Grèce antique lorsque que ce mot naquit il y a des milliers d'années.
Pour bien mentir, il faut avant tout commencer à mentir sur le sens des mots.
Ainsi, le mot liberté n'a aucun sens dans un monde où la démocratie n'existe simplement pas.
A t-on la liberté de décider la nature des échanges, de la monnaie, du système politique, de l'éducation… Quelle blague collective !
Et pourtant pour en revenir à la question de départ : "La vie est-elle une occupation passagère ?", la réponse est probablement oui, lorsque la liberté s'en est allée au profit d'un système capitalisme, d'une religion, d'une forme de totalitarisme.
La vie prend vraiment son sens lorsque demain reste une hypothèse ouverte, un choix possible, une mise en mouvement personnelle dégagée des contraintes systémiques, politiques, religieuses, idéologiques.
Pour vivre il serait alors question de présider à son propre destin, c'est à dire de recouvrer la liberté.
On devine alors dans quel monde restreint nous sommes dès lors. Qui possède aujourd'hui les clés de son propre destin au jour le jour ?
Certain diront que pour cela il faut beaucoup d'argent. Le petit nombre qui gouverne et vampirise le grand nombre possède ces moyens, et pourtant je crois pouvoir dire qu'ils en sont plus aliénés encore. L'argent est en effet une fuite en avant qui produit sa propre forme d'aliénation, sauf à accepter de s'arrêter de vouloir en gagner pour commencer donc à "s'appauvrir" en vivant de l'existant. Mais les riches de ce monde font rarement ce choix et préfèrent souvent augmenter la pression sur les autres et sur eux-mêmes.
D'autres diront que c'est possible en acceptant une forme de pauvreté comme Ivan Illich. Ne rien posséder met la personne en face de son destin chaque matin, c'est certain. En même temps c'est terriblement inconfortable et peut être aussi dangereux pour soi même. Le plus gros inconvénient de ce choix c'est qu'il est très solitaire, car il devient très compliqué d'envisager une relation de couple, ou encore de famille, dans un dénuement total.
Où serait donc la solution pour vivre en vérité ? Peut-être qu'il n'y a pas de solution dans un monde à ce point encerclé par ceux qui exercent les pouvoirs politique, économique ou religieux.
La seule solution que je vois, et que j'évoque souvent, est une forme de retrait par rapport à ce qu'on peut appeler le "système". Si nous voulons vivre au coeur de la liberté alors peut être faut-il faire vivre cette liberté sans attendre l'autorisation des pouvoirs en place, car cette autorisation ne viendra jamais puisqu'elle irait contre les intérêts du petit nombre.
Peut-être faut-il trouver un minimum de moyens pour s'autonomiser, produire soi-même son alimentation, une partie de son énergie, se poser quelque part localement pour commencer ce voyage intérieur et extérieur socialement.
Ce que j'évoque pourrait sembler de la simple idéologie, mais en fait il est surtout question de l'espace et du temps. Trouver un lieu pour se poser et vivre, reprendre possession de son temps pour décider ce qui est vendu de notre travail, ou donné, ou offert. Choisir son univers et entrer en interaction avec les autres pour échanger et faire vivre un autre modèle, un modèle réellement vivant en lieu et place de notre modèle capitaliste de produits & divertissements qui finalement est vide de sens, vide de vie et terriblement morbide.
***
Passager 120 est un journal trimestriel en papier de 16 pages, disponible uniquement ici
http://passager120.esy.es/2017/05/03/acheter-passager-120-n2-mai-juin-juillet-2017/
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