Le journaliste belge a assigné la FNAC en justice. Cause de la discorde : la rupture unilatérale d’un contrat qui le liait à l’entreprise, « premier agitateur culturel depuis 1958 ». Au centre des débats : l’éternel Dieudonné et la liberté d’expression. Interrogé par Agora Vox, soutenu par FO, Olivier Mukuna dresse un tableau sombre de la France et une fois de plus, dénonce une Egalité Zéro. A savoir un traitement médiatique à deux vitesses pour parler de l’humoriste.
-Vous avez réalisé un film sur l’humoriste (Est-il permis de débattre avec Dieudonné ?[1]), documentaire déposé à la FNAC. Et cette dernière n’a pas été correcte avec vous. Que s’est-il passé ? Racontez-nous l’histoire comme si on avait quatre ans !
« Je vais tenter d’offrir la chronologie la plus synthétique possible. Le 16 décembre 2009, j’apprends que la demande de diffusion de mon film par l’intermédiaire des magasins Fnac a été acceptée par le Siège de la FNAC SA. Une validation qui implique trois choses :
1) La possibilité pour mon DVD d’être diffusé dans tous les magasins de la FNAC à condition de signer un contrat de dépôt-vente avec chaque responsable concerné de chaque magasin.
2) Dans chaque magasin, le nombre précis d’exemplaires pris en stock est déterminé par le vendeur concerné en fonction du « potentiel de ventes » estimé.
3) Selon le contrat de dépôt-vente - identique pour tous les magasins -, la période d’exposition en rayons est de deux mois à partir de la signature du contrat.
Le dimanche 20 décembre, je signe le premier contrat de dépôt-vente avec la Fnac Champs-Elysées qui prend en stock 25 exemplaires. Les 2 jours suivants, mes trois collaborateurs s’apprêtent à faire de même dans 10 autres magasins Fnac de Paris et sa région.
L’objectif étant que le DVD « Est-il permis de débattre avec Dieudonné ? » soit présent dans les rayons de 12 magasins Fnac pour le 23 décembre, soit avant le pic commercial des fêtes de Noël.
Mais le 21 décembre, à la Fnac Forum, une de mes collaboratrices se voit prier de revenir le lendemain au motif que « la responsable est absente ». Lorsqu’elle revient, le matin du 22 décembre, avec 30 exemplaires de mon film (souhaité par le vendeur des rayons DVD), la responsable du Département CD et Vidéos de la Fnac Forum, Julie David, refuse catégoriquement l’entrée en dépôt des exemplaires. Celle-ci prétexte une « directive du Siège de la FNAC qui interdit de prendre tout produit Dieudonné ».
-Ensuite !
« Le 23 décembre, les DVD de la Fnac Champs-Elysées sont retirés des rayons ! Or, après deux jours d’exposition à la vente, 4 exemplaires de mon film y ont été vendus ...
Jusqu’à aujourd’hui, près de deux mois après les faits, la direction de la FNAC garde obstinément le silence malgré les courriers de mes avocats. En outre, la Fnac Champs-Elysées conserve 21 exemplaires DVD dans ses tiroirs et refuse de me les rendre …
Bref : il s’agit d’une flagrante violation de contrat mais aussi d’une censure basée sur un « deux poids deux mesures » évident. En effet, comment expliquer la prétendue «
directive d’interdiction » de la FNAC lorsque l’essai d’Anne-Sophie Mercier, intitulé «
Dieudonné démasqué »
[2], est vendu dans tous les magasins Fnac depuis juin 2009 ? Ou que le DVD du documentaire de Daniel Leconte, intitulé «
C’est dur d’être aimé par des cons »
[3] - dans lequel Dieudonné débat avec Caroline Fourest -, est vendu à la FNAC depuis mars 2009 ? »
-Qui a pris la décision de retirer votre DVD des rayons de vente ?
« Selon mes informations, l’auteure de la censure n’est autre que Julie David, responsable du Département CD et Vidéos de la Fnac Forum. C’est elle qui a refusé l’entrée en dépôt de mes DVD alors que le vendeur concerné de la Fnac Forum avait commandé 30 exemplaires.
Julie David s’est ensuite empressée de modifier les données informatiques de mon film dans la base de données de la FNAC. Référencé au prix de vente de 16 euros, « Est-il permis de débattre avec Dieudonné ? » est passé à … 500 euros. »
-500 euros ! Pourquoi ?
« L’objectif était limpide. Non seulement boycotter l’entrée de mon DVD dans la plus grande Fnac de France. Mais également le rendre inaccessible dans tous les magasins de la FNAC, au cas où celui-ci serait déjà en rayons dans d’autres établissements.
Dès le lendemain, c’est encore Julie David qui a donné l’injonction à son homologue de la Fnac Champs-Elysées de retirer mes DVD de ses rayons … A-t-elle agi seule ou sur injonction de ses supérieurs ? Pour l’instant, je ne peux répondre à cette question de manière définitive. Je l’ai interrogée par téléphone : elle n’a répondu à aucune de mes questions sur le fond. Entre gêne perceptible et tentatives de diversion, elle s’est agrippée à la prétendue « directive d’interdiction » et a gardé le silence face au « deux poids deux mesures » cité plus haut. Néanmoins, le silence de la direction de la FNAC sur cette affaire, depuis plus d’un mois, conduit à soupçonner que Julie David n’a pas agi sans l’assentiment de ses supérieurs. »
-On n’est pas parvenu à la joindre non plus. Avez-vous contacté le directeur général ?
« Mon avocat belge l’a fait à deux reprises, par courrier recommandé. Aucune réponse … »
-A-t-on le droit d’agir de la sorte, je veux dire aussi unilatéralement, au mépris des conventions ? Vos avocats, qu’en pensent-ils ?
« La réponse à votre première question est négative. La FNAC a violé ses propres conventions en l’article 4 et l’article 5 du contrat de dépôt-vente.
Ces articles disent expressément ceci : « Le présent contrat qui prend effet à dater du 20/12/09 est conclu pour une durée de deux mois à compter de sa date de signature » (Art. 4) ainsi que « A l’issue du contrat (soit à l’expiration du délai de 2 mois), le dépositaire enverra au déposant un relevé des ventes constituant la reddition des comptes. Dès réception de ce relevé, le déposant adressera obligatoirement au dépositaire une facture à l’attention de ce dernier. En contrepartie du dépôt, le dépositaire percevra, par produit vendu, une commission correspondant à la différence entre le prix de vente public Hors Taxes et le prix Hors Taxe payé au déposant » (Art. 5). »
-Traduction pour les profanes ?
« Primo : le refus d’exposer à la vente mes DVD à la Fnac Forum et, par extension, à tous les autres magasins Fnac contredit la décision du Siège de la FNAC SA validant la diffusion de mon produit via ses magasins.
Secundo : après 48 heures d’exposition, mon DVD a été abusivement retiré des rayons et n’a plus été exposé depuis plus d’un mois.
Tertio : après avoir contribué à la violation de son propre contrat, la Fnac Champs-Elysées refuse de me rendre mes 21 DVD et conserve des biens qui ne lui appartiennent pas. J’ignore comment, en France, vous qualifiez ces méthodes, mais en Belgique, ce sont celles des voyous !
Quant à votre seconde question, mes avocats m’ont confirmé qu’en l’espèce, « les principes fondamentaux du droit judiciaire français ont été violés ». Je n’ai donc d’autres options que de défendre mes droits devant la Justice française. »
-En même temps, Olivier Mukuna, je vais me faire l’avocat du diable. Peut-être que cette employée a estimé que votre DVD ne marchait pas bien. Cela expliquerait alors pourquoi, elle l’a retiré des ventes, non ? Elle tient peut-être à votre carrière… « Qui veut faire la bête, fait l’ange », disait l’autre.
« Julie David ne me connaît ni d’Eve ni d’Adam et se fout de mon avenir professionnel comme de sa première couche-culotte ! Je vous concède que c’est réciproque sauf qu’en ce qui me concerne, je n’ai pas saboté son travail. Cette employée poursuit une mission dont les objectifs ne sont absolument pas commerciaux. Puis-je attirer votre attention sur ce fait précis : en l’absence totale de publicité extérieure (télévision, radio, affichage) et de publicité interne à la FNAC, mon DVD s’est vendu à la fréquence de 2 exemplaires par jour en 2 jours. Et ce, à la veille du pic commercial des fêtes de Noël (du 23 au 27 décembre 2009) ... Si la FNAC avait respecté son contrat et si cette fréquence de ventes s’était maintenue pendant les 2 mois dans les 12 magasins parisiens visés et 7 autres de province, la FNAC aurait gagné près de 15.000 € de commissions. Chacun l’aura compris : nous sommes, dans cette affaire, à des années-lumière de tout principe commercial pour être englués dans la censure, la bêtise et l’hystérie idéologiques. »
-Vous pensez qu’elle a agi selon des motifs précis. Lesquels ?
« Toujours les mêmes : la destruction non assumée de la liberté d’expression et du vrai débat contradictoire. Une volonté délibérée d’anéantir toute approche sérieuse, ouverte et critique d’enjeux de société cruciaux. Une peur panique de déplaire ou d’occasionner des représailles dans le chef de personnes puissantes. »
-Vous êtes dans la théorie du complot, non ?
« Absolument pas. Quel « crime » ai-je précisément commis ? J’ai réalisé un film dans lequel l’humoriste controversé Dieudonné débat avec six personnalités intellectuelles et culturelles de mon pays et tente de faire connaître la meilleure diffusion à ce travail.
Cela est-il désormais interdit en démocratie ? Or, comme l’ensemble de ma production journalistique depuis 13 ans, ce film n’a été ni interdit ni condamné en justice ! La majorité des personnes qui l’ont vu estiment avoir été informées de choses qu’elles ignoraient et m’en remercient. Les 3 projections publiques, à Paris et à Bruxelles, ont toutes été saluées par une salve nourrie d’applaudissements dès le générique de fin. Vous-même qui l’avez vu, pourriez-vous me dire en quoi ce film ne répond pas aux préceptes légaux et déontologiques en matière de journalisme ? »
-Là, vous marquez un point !
« Restons sérieux et évitons les diversions : je ne suis pas dans le complot mais forcé de constater que le préjudice que nous subissons de la part de la FNAC vise à empêcher une large diffusion d’ «
une heure et demie d’intelligence et de maturité », pour reprendre les termes de la journaliste et romancière Joëlle Sambi
[4].
Pour les spectateurs potentiels, pour l’honneur des intervenants, celui de mon métier et pour mes intérêts, je ne me laisserai pas faire, c’est tout ! »
-Quelle conclusion de la société française tirez-vous de cette affaire ? Une société bloquée !
« Je conçois bien sûr que la société française ait d’autres préoccupations que de s’émouvoir de la censure de mon travail par un « agitateur culturel depuis 1958 » ... Néanmoins, la dégradation socio-économique accélérée de nos conditions de vie est-elle séparable de celle de nos libertés individuelles et professionnelles ? Je ne le pense pas.
Cette énième régression doit faire prendre conscience de la terrible confiscation du débat public et médiatique au profit d’idéologues intégristes. Ces personnes n’ont d’autres objectifs que de défendre le statut quo voire une régression sociétale servant leurs intérêts. Mais cela sert-il les intérêts du plus grand nombre ? Cela sert-il les intérêts des Français d’origine africaine, antillaise et maghrébine ? Cela sert-il encore la liberté d’expression et celle du journalisme critique ? »
-Vous mélangez tout ; liberté d’expression, multiculturalisme, diversité, représentativité nationale… !
« Non, au contraire ! Lorsque je vois la liste impressionnante des personnes qui ont eu à subir, ces dix dernières années, des rétorsions professionnelles ou judiciaires pour s’être exprimées à contre-courant ; lorsque je constate que, depuis plusieurs semaines, Frédéric Taddéi doit se défendre d’attaques débiles et infondées parce qu’il a fait son métier en laissant Matthieu Kassovitz exprimer ses doutes sur la version officielle des attentats du 11 septembre ; quand je vois que l’un de vos plus grands écrivains contemporains, Marc-Edouard Nabe, est contraint d’autoproduire son dernier livre parce que toute l’édition française le boycotte ou en a peur, je suis effectivement très inquiet pour la sauvegarde de la liberté d’expression en France.
La société française n’est pas bloquée, mais tous celles et ceux pour qui cette liberté importe sont sommés de s’unir d’urgence contre ceux qui la confisquent à leur seul profit. Aussi puissants que soient ces derniers, aussi défavorable que soit le rapport de forces. C’est une question de démocratie et de courage … »
-Comment cette histoire est-elle vécue en Belgique ? A-t-elle été relayée ? J’ai cru comprendre que votre ex red chef boit du petit lait ! Je me trompe ?
« Oui, sur un point. Dieu merci : Claude Demelenne n’a jamais été mon rédacteur en chef, mais un « collègue » du temps où je bossais pour l’hebdo belge
Le Journal du Mardi. Incapable de mener la moindre enquête, ce polémiste de bas étage apprendra cette affaire en lisant ces lignes. Et vous pouvez compter sur ce charlatan pour ne pas relayer l’info ou la déformer selon les vieux principes du « journalisme par omission » mâtiné de propagande. Surnommé «
Clos de mille haines » sur le net, ce sarkozyste belge n’offre aucun lien avec le journalisme ou le débat intellectuel. Il s’agit d’un mercenaire qui spécule sur les peurs et les émotions. Sans avoir vu mon film, il a récemment qualifié une de ses projections à Bruxelles de «
racolage à risques » … Vous conviendrez qu’il y a là un contraste détonnant avec les papiers signés par de vrais journalistes qui ont vu le film, tels Joëlle Sambi
[5], Mehmet Koksal
[6] (en Belgique) et vous-même
[7] (en France). »
-En effet !
« Pour vous répondre sur l’essentiel, la censure du film par la FNAC n’a pas été relayée en Belgique. A l’exception d’un seul quotidien (La Capitale, groupe Sud-Presse), les médias mainstream ont décidé d’ignorer l’existence de ce film sorti depuis plus de 4 mois. Un a priori anti-journalistique qui ne devrait pas les conduire à s’intéresser et à médiatiser la censure de la FNAC. Mais j’espère bien entendu me tromper ...
Il y a quelques semaines, j’ai transmis la seule chronique du film à une douzaine de journalistes belges dont j’estime les qualités professionnelles et que je crois attachés à la liberté d’expression dans l’exercice de leur profession. Un seul m’a répondu. Puis, il est venu voir le film lors d’une projection … Il en est sorti partagé, entre la surprise d’avoir appris plusieurs choses, d’en avoir apprécié d’autres et le maintien de certaines critiques envers la démarche atypique de Dieudonné. C’est l’une des forces du film : il pousse au vrai débat de réflexion, à muscler ses neurones et à rationaliser ses critiques. »
-La liberté d’expression dans le pays des « droits de l’homme », tarte à la crème de l’establishment, « piège à con » ou un principe que l’on réserve à certains en excluant les autres ?
« Un droit démocratique fondamental de plus en plus confisqué dans tous les domaines au profit d’une élite financière, politico-médiatique et culturelle. Il relève de notre responsabilité de défendre ce droit pour toutes et tous. Avec dignité et sans peur. »
-En même temps, dans vos livres, votre film, admettez que vous n’épargnez pas la France. Vous dites des « choses horribles » pour certaines oreilles. Vous parlez d’un « journalisme d’omission », « de déshonneur », je vous cite. De « discrimination » non stop, d’une « société clientéliste », soumise à des lobbys divers, spécialisés dans l’art du chantage, du racket et du « communautarisme sélectif ». Vous ne pensiez tout de même pas vous en tirer comme ça !
« Je ne vois pas en quels termes j’aurais attaqué ou même critiqué la France dans son ensemble. En revanche, je n’ai effectivement pas épargné une majorité de médias et de journalistes français concernant leur traitement médiatique de « l’affaire Dieudonné ».
Mais la question n’est pas de savoir si ce que j’ai écrit et filmé est « horrible », mais de mettre en critique et vérification mes développements, puis d’en établir ou non la pertinence factuelle et analytique. Voilà une approche intellectuelle et journalistique sérieuse, honorable. De ce point de vue, j’attends toujours mes contradicteurs ...
J’ajouterais que ce n’est pas moi qui parle de « discrimination non stop », mais votre pays et le mien qui la tolèrent ou l’appliquent au quotidien tout en affirmant la combattre. Cette affaire de censure me concernant le prouve à nouveau ! Que vous faut-il encore ?
Quelles sont les motivations de celles et ceux qui n’hésitent pas à violer la loi française plutôt que d’exercer leur métier de diffuseur culturel ? Pourquoi si peu de journalistes et aucun politique ne s’inquiètent de cette atteinte aux libertés d’expression et de commerce ? Sur le plan culturel toujours, comment se fait-il que ce soit un Gérard Depardieu grimé qui décroche le rôle d’Alexandre Dumas dans « L’autre Dumas », fiction réalisée par Safy Nebbou ? »
-Peut-être que Depardieu a des origines antillaises, qui sait ! A moins que vous préfériez Julien Clerc dans ce rôle ?
« La France n’aurait aucun comédien métis de talent pour incarner l’écrivain français d’origine haïtienne le plus lu dans le monde ?! Mensonge : la liste d’excellents comédiens d’origine africaine et antillaise est aussi longue que votre bras ! Sur le plan politique et judiciaire, pour quelles raisons plusieurs leaders d’opinion estimables gardent-ils le silence sur le chantage à l’antisémitisme et les menaces multiformes ? Lorsqu’en plein procès, l’avocat Alain Jakubowicz - récemment élu président de la LICRA ! - souffle à Dieudonné : « J’ai l’adresse de tes enfants, on va bien se marrer… », pourquoi aucun média mainstream ne relaye et personne ne s’offusque ?
Allez lire également l’interview du nouveau président du CRIF publié par
Le Figaro[8]. Je rappelle que ce lobby ne représente qu’un sixième des Français juifs et qu’il est donc inadmissible d’amalgamer tous les juifs de France aux positions communautaristes et xénophobes du CRIF. Gilles-William Goldnadel, donc, se vante d’être soutenu par Sarkozy et le ministre de la Justice dans son combat contre le boycott français des produits israéliens. Sur fond de chantage à l’antisémitisme, il ironise en qualifiant de «
hasard cosmique » le fait qu’Israël soit «
le seul (pays)
qui fasse aujourd’hui l’objet d’un boycott organisé » ...
Une colonisation de plus de soixante ans, le mur de la honte, l’apartheid et les milliers de civils palestiniens bombardés n’expliqueraient pas les motivations de ce boycott ? Quel est le contrepoids face à ce genre de négationniste soutenu au plus niveau de l’Etat français ? J’ignore ce qu’il vous faut encore pour prendre la mesure de la gravité de la situation. »
-Attention joker, on va dire que vous êtes antisémite !
« Vous faites bien de me rappeler à l’ordre du chantage en vigueur, j’ai tendance à me croire encore en démocratie … Pour les belles âmes dominantes ou celles qui sont aliénées, « négationnisme » signifie nier la réalité du génocide juif commis par les nazis. Stricto sensu. Or, pourquoi la négation d’une réalité historique s’arrêterait-elle à ce génocide précis ?
Pourquoi ceux qui minimisent ou nient ouvertement le génocide de la Traite négrière transatlantique, les génocides congolais sous Léopold II ou sous les dictateurs autochtones soutenus par l’Occident, le génocide herero sous l’Allemand Bismarck, le génocide tutsi sous néo-colonialisme belgo-français, le génocide palestinien sous occupation israélienne et je m’arrêterai là. Pour quelle raison ces personnes ne sont-elles pas, elles aussi, taxées de négationnisme ?
Soutenir que c’est « différent », que « ce n’est pas la même chose », c’est établir une hiérarchie victimaire au dessus de laquelle trône le martyre juif et blanc. En-dessous, c’est de l’infrahumain, ça ne compte pas ou beaucoup moins. Prosaïquement : ces victimes-là étaient des « bougnoules », des « nègres » et des « niakoués » qui avaient le tort de ne pas être comme nous, de ne pas être à notre « niveau », de ne pas être blancs. Cette conception qui postule des morts plus importants que d’autres est une déclinaison du racisme et de l’ethnocentrisme. »
-Que faites-vous de la « loi du mort-kilomètre » et du besoin naturel des gens de s’identifier d’abord aux drames qui se sont déroulés chez eux, en Europe ?
« J’en fais peu de cas. Ce n’est pas si naturel. Cette apologie de la proximité, de l’uniformité culturelle et de l’individualisme participe d’une certaine éducation et d’un matraquage publicitaire, notamment véhiculé par les médias mainstream. A l’heure d’une citoyenneté interdépendante et multiculturelle, il est temps d’abandonner ces conceptions étroites, hiérarchiques et inégalitaires. Personnellement, je ressens autant de respect et de considération mémorielle pour le génocide juif que pour les autres crimes contre l’humanité. Mais je n’ai pas besoin de savoir qui a commis le crime pour décider si je vais le dénoncer. Je dénonce le colonialisme et le racisme quelles que soient les origines de ceux qui l’ont commis ou le perpétuent. Parce qu’il n’y pas de hiérarchie des souffrances ni de morts qui méritent davantage de sacralité que d’autres ! Gilles-William Goldnadel n’est pas de cet avis ? C’est tout à fait son droit. C’est également le mien d’estimer que nous avons affaire à un négationniste du génocide palestinien perpétré par l’Etat d’Israël et ses alliés.
J’ajouterais enfin qu’il n’y a pas que les génocides en cours qui peuvent faire l’objet d’une minimisation ou d’une négation. Les génocides achevés également. »
-Que voulez-vous dire, je ne vous suis plus ?
« Le 4 février, Survival, une ONG qui défend les peuples indigènes, a annoncé le décès de Boa Senior à l’âge de 85 ans. Cette femme était la dernière locutrice de la langue Bo, l’une des dix langues de la tribu des Grands Andamanais
[9] (Océan Indien). L’info a été reprise par plusieurs médias francophones (
TF1, la
RTBF,
Le Soir,
RTL, etc.) sur le ton de la perte tragique et quasi mystique d’une langue. Voyez les titres : «
Avec sa mort, un peuple et une langue disparaissent » (
TF1) ; «
Le monde perd la dernière personne parlant Bo » (
RTBF) ; «
Une langue est morte » (
Le Soir) «
Une autre langue s’éteint » (
Radio-Canada) ; «
Dans l’Océan Indien, une langue disparaît » (
Rue89.fr).
Au lieu d’omettre l’origine et le contexte de la disparition de cette femme, ces médias auraient pu mettre en évidence le fait qu’en 1858, il y avait 5000 Grands Andamanais et qu’aujourd’hui, il en reste 52. Entre ces deux chiffres : la colonisation britannique ! Survival nous apprend que le peuple andamanais a été exterminé par les colons, a succombé à leurs maladies et a connu un camp de concentration (home andaman) où les enfants andamanais mourraient avant l’âge de deux ans … Des « points de détail » connus de tous, certainement ! Contrairement aux médias francophones, Survival a remis honnêtement le décès de Boa Senior en perspective en titrant : « L’extermination d’une tribu andamanaise s’achève après la disparition de son dernier représentant ».
Ce génocide achevé a aussi été évoqué par Stephen Corry, directeur de Survival International, dans son communiqué adressé aux médias : « Les Grands Andamanais ont tout d’abord été massacrés, puis ils ont été détruits par des politiques paternalistes qui les ont exposés à de terribles épidémies, les ont spoliés de leurs terres et privés de leur indépendance ».
Une déclaration qui n’a été reprise nulle part. Comme pour le génocide achevé des Tasmaniens ou celui des Amérindiens des Caraïbes, une majorité de dirigeants de médias et de journalistes francophones n’en a rien à foutre de Boa Senior, de la langue Bo ou des Grands Andamanais. Sa vie, sa culture et celles de son peuple n’ont jamais eu d’autre importance que de servir de prétexte à la mise en scène d’une « info exotique » ... Je ne supporte pas ce type de journalisme ethnocentriste et racialiste qui maquille les perspectives d’explications ou ment par omission. »
-Olivier, qui sème le vent récolte la tempête. On ne peut pas non plus appartenir au « Cercle des « Nègres » disparus, vous le concevez ?
« Cette question m’évoque une réponse qu’avait donnée le journaliste et écrivain Denis Robert avant une audience du « procès Clearstream ». En entrant dans le Palais de justice, un confrère l’apostrophe : « Et vous, Denis Robert, de quoi êtes-vous accusé ? ». Réponse : « Je suis accusé de journalisme » ... Affirmation que la justice française a confirmée en relaxant Denis Robert de toute poursuite. En ce qui me concerne, je suis totalement solidaire de la réponse de Denis comme de son inestimable boulot d’enquête et de résistance déployé depuis plus de dix ans. C’est lui qui a révélé la véritable affaire Clearstream sur laquelle les médias n’osent pas enquêter, tout en radotant indéfiniment sur le périphérique duel Sarkozy-Villepin. A un niveau plus modeste, je ne pense pas avoir « semé le vent » mais juste fait mon boulot sur la base de 3 principes déontologiques : l’entretien (Dieudonné – Entretien à cœur ouvert), l’analyse (Egalité zéro – Enquête sur le procès médiatique de Dieudonné) et le débat (Est-il permis de débattre avec Dieudonné ?). Si ce travail a pu informer ou être révélateur pour certains, j’aurai atteint mon objectif.
Quant à la « tempête » - émanant surtout de ceux qu’on interroge peu et condamne rarement -, elle s’est déjà levée et nous souffle au visage avec une rare brutalité. Vous comme moi et les millions d’autres sans-grades, on verra comment nous y résisterons … »
-Qu’allez-vous faire concrètement ? Après Bye Bye Lénine, Bye Bye Paris, Bye Bye Dieudonné ? Plus sérieusement allez-vous continuer de produire sur l’humoriste car, visiblement, ça ne vous réussit pas.
« Cela dépend de quel point de vue on se place. De celui des anonymes qui me félicitent et me remercient pour ce travail ou de celui des voyous et mercenaires résolus à empêcher sa large diffusion ? Comme disait Bakounine, « ceux qui se sont sagement limités à ce qui leur paraissait possible n’ont jamais avancé d’un pas » ... Je vous rassure : ma colonne vertébrale n’est pas atteinte ! Que ce soit sur ce sujet ou sur d’autres, je continuerai à tenter d’exercer le métier auquel je crois. »
-Après « Est-il permis de débattre avec Dieudonné ? », est-il permis de faire un film sur l’humoriste ? C’est peut-être le titre de votre prochain bouquin ou DVD ?
« Non, quand j’ai le temps, je planche sur d’autres sujets d’écriture. »
-Merci Olivier Mukuna d’avoir choisi Agora Vox pour faire le point et tenez-nous informés des suites de l’affaire.
Propos recueillis par PM.