-Olivier Mukuna, vous suivez Dieudonné depuis bientôt cinq ans. Vous êtes aussi un spécialiste des médias. Dans un de vos livres (Egalité zéro, Enquête sur le procès médiatique de Dieudonné, Edition Blanche) vous parlez, je cite, « d’un journalisme français d’omission » et « de déshonneur ».
Que voulez-vous dire exactement ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?
« Concernant des sujets politiquement sensibles, le journalisme par omissions est une pratique malhonnête et courante dans la plupart des médias subventionnés par la publicité et/ou l’Etat. Il s’agit de traiter d’une actualité en omettant, sciemment ou par ignorance, des éléments d’informations qui permettent d’acquérir une vision complète de la réalité.
Prenons le seul tapage médiatique autour des termes « pornographie mémorielle ». En général, dans un article de presse, ces mots figurent dans la phrase suivante : « Dieudonné a été condamné pour avoir qualifié la mémoire de la Shoah de pornographie mémorielle ». Voilà un exemple de décontextualisation ou de journalisme par omission. En réalité, en 2005 à Alger, Dieudonné a comparé l’hypermédiatisation des commémorations de la libération des camps de la mort avec l’invisibilité médiatique et commémorative de la mémoire de l’esclavage des Africains. Et il a qualifié de « pornographie mémorielle », l’exploitation du souvenir de la Shoah. La citation précise de Dieudonné a été filmée, est retranscrite dans Egalité Zéro et est visible sur Internet. Elle établit qu’il s’agit bien d’une comparaison ouvrant sur une critique de l’instrumentalisation de la mémoire du génocide juif. Pas d’une attaque de cette mémoire ! Certes, la justice française en a décidé autrement et a condamné ces propos. Mais avant cette condamnation judiciaire, pourquoi les médias ont-ils systématiquement omis le contexte de cette déclaration ? Et pourquoi ont-ils tenté de faire croire pendant trois jours que l’humoriste avait « qualifié la Shoah de pornographie mémorielle » ?
Cinq mois après le tollé médiatique autour de la fameuse déclaration de Dieudonné, feu le sociologue Jean Baudrillard déclarait ceci : « Finalement quand Dieudonné qualifie cette commémoration de ‘pornographie mémorielle’, il a totalement raison ! Simplement, on lui fait dire que la Shoah elle-même est pornographique, et cet amalgame là ne passe pas. Mais c’est l’amalgame fait par les médias eux-mêmes qui est scandaleux. Je dis au fond la même chose, d’une autre façon ». Faut-il préciser que cet extrait, émanant d’un des plus brillants intellectuels français et publié par le magazine Chronic’Art, n’a jamais été reprise par un seul média ? Depuis cinq ans, c’est quasi systématique ! Toute information susceptible de contredire « l’image d’antisémite » de Dieudonné est délibérément omise ou minimisée.
Quant au « déshonneur », c’est malheureusement une évidence qui perdure. Lorsque des professionnels du journalisme sombrent à ce point dans la diabolisation, la désinformation et le militantisme politique contre un artiste engagé, j’estime qu’ils ont perdu l’honneur qui fonde cette profession : dire toute la vérité en toute indépendance. »
Vous employez le mot « lynchage » et « chasse aux sorcières » pour caractériser la relation entre les médias français et le saltimbanque. N’avez-vous pas l’impression d’y aller un peu fort ?
« Je ne le pense pas. Si j’ai choisi ces mots concernant le fonctionnement global des médias classiques, c’est en proposant au lecteur une série de faits et d’arguments développés dans mon livre. Depuis ma confrontation décevante avec une élève médiocre de BHL, Anne-Sophie Mercier, j’attends toujours une contradiction sérieuse à mes analyses ...
Suite à cette affaire de la « pornographie mémorielle », plusieurs médias audiovisuels ont violemment condamné Dieudonné en tant que « symbole du nouvel antisémitisme ». Pendant une douzaine de jours consécutifs ! Chaque jour, il fallait flinguer le « nouvel antisémite » et faire trembler dans les chaumières. Le mois suivant, pas moins de 40 articles de presse différents - soit plus d’un par jour - feront de même. Lorsque l’éditorialiste du Monde écrit : « L’humoriste Dieudonné ne fait plus rire. Et ce constat vaut déjà condamnation. A 39 ans, le comédien appartient désormais au passé. Aujourd’hui, cet artiste est sorti de scène comme on dit d’un véhicule qu’il est sorti de route », une telle violence verbale ne relève pas du journalisme, mais du lynchage médiatique. Est-ce la mission d’un quotidien dit « de référence » que de décréter la mort sociale d’un artiste engagé ? Ce tintamarre médiatique d’une rare hystérie conduira quatre jeunes militants sionistes à rouer de coups Dieudonné en Martinique. Information scandaleusement censurée par les télés de service public et minimisée par la presse écrite …
Lorsque Boris Thiolay (l’Express) et Michel Gurfinkiel (Valeurs Actuelles) comparent très sérieusement Dieudonné à Adolf Hitler, quand une majorité de médias matraquent sans cesse des accusations relevant du soupçon idéologique et non basées sur des éléments factuels et probants, j’estime qu’on peut parler de chasse aux sorcières.
En 2009, le maire de Paris veut lui interdire les salles publiques parisiennes voire parvenir à faire fermer son théâtre de la Main d’Or. Nuancée, la Licra, elle, exige, « une peine de prison ». Cette alliance politique, médiatique et associative se conjuguant au harcèlement judiciaire du parquet de Paris indique que la chasse s’intensifie. Il faut quand même être sacrément bouché ou d’une mauvaise foi inoxydable pour ne pas constater l’incroyable énergie déployée pour bâillonner définitivement cet artiste. »
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Vous étiez au Zénith pour son dernier spectacle « J’ai fait l’con » en décembre 2008. Parlez-nous d’abord du show. Dieudonné fait-il une obsession des Juifs comme l’écrivent la plupart des journalistes[1] ou éditorialistes. Comment faut-il interpréter ses sketches ?
« Ce sont ces journalistes et éditorialistes qui sont obsédés par les Juifs, l’antisémitisme et le soutien inconditionnel à l’Etat d’Israël. Leur seule aptitude consiste à jouer les faux voltairiens et à nuire en tant que véritables flics de la pensée. Bouffis d’ethnocentrisme et de supériorité morale, ils cultivent l’intolérance, fonctionnent en cercle fermé et s’illusionnent beaucoup sur leur influence. Contrairement à ces personnes, les gens sérieux savent que Dieudonné décline divers sujets cruciaux et ridiculise avec talent tous les communautarismes. Sans exception. Son registre tient principalement du second degré, de l’interprétation magistrale et d’un humour noir corrosif, parfois dérangeant, mais qui pousse à la réflexion. Dans « J’ai fait l’con », comme d’habitude, chacun en prend pour son grade. Des Pygmées à Georges W. Bush et Colin Powell en passant par la mafia, Le Pen, un dictateur africain (qui porte mon nom !), et la Palestine. Sur scène et dans le public, la vraie diversité est au rendez-vous. Libre à chacun d’interpréter ensuite ce qu’il voit et entend. Mais l’humoriste engagé ne triche pas : il s’est déclaré antisioniste et le demeure malgré tout. A l’heure de l’impunité internationale dont bénéficie l’Etat d’Israël après avoir commis un crime de masse sur la population de Gaza, à l’heure de la confection d’un gouvernement israélien d’extrême-droite encore plus fascisant et raciste que le précédent, à l’heure où triomphe l’apartheid sioniste en Palestine avec la complicité de l’Europe, est-il vraiment démentiel de rejeter cette idéologie coloniale et sanglante nommée « sionisme » ? »
Pourquoi les articles sur Dieudonné dans les grands quotidiens se ressemblent-ils autant ? On a l’impression qu’ils sont pondus dans la même salle de rédaction !
« Une partie de la réponse se trouve dans le livre de François Ruffin : « Les petits soldats du journalisme ». De nos jours, pour travailler comme journaliste dans un média mainstream, il est quasi impératif d’être formaté. Et bien au fond du conforme, s’il vous plaît ! Se comporter en « petit soldat » sur des sujets sensibles et jouer les « Pullitzer » sur des sujets insignifiants. Ne pas réfléchir, obéir, omettre au bénéfice des puissants et désinformer sont malheureusement devenus les points cardinaux d’un métier à la dérive ... »
-La vague anti-Dieudonné semblait épargner le comique au Canada et en Belgique, terre de la liberté d’expression par excellence, disait-on ? Comment expliquez-vous alors le retournement des autorités à son égard, syndrome français ou consignes politiques ?
« La classe politique belge francophone a toujours été influencé voire admirative de la vie politique française et de ses ténors. Lorsque l’ensemble du corps politique français condamne sans appel Dieudonné, surfant sur un rouleau-compresseur de diabolisation médiatique, la plupart des élus belges s’alignent ou se taisent. Ils n’ont d’ailleurs pas le choix s’ils veulent garder leur poste ou faire carrière. Aucun politicien ne peut aujourd’hui aborder le sujet publiquement et en dehors de la diabolisation imposée, sans risquer sa carrière. Sur fond d’échéances électorales, le bourgmestre socialiste de Saint-Josse a interdit le spectacle de Dieudonné en invoquant de faux prétextes de troubles potentiels à l’ordre public. Saisi en urgence, le Conseil d’Etat a rétabli le spectacle de Dieudonné. Celui-ci s’est déroulé 25 mars dernier et sans le moindre incident, évidemment. Que retenir de ce lamentable épisode ? Chez nous comme en France, l’autorité politique peut devenir une menace pour la liberté d’expression, valeur suprême en démocratie. Heureusement, en Belgique, le contre-pouvoir judiciaire fonctionne. »
-Les Canadiens et les Belges dans cette affaire, réagissent-ils ou pas ?
« Pour le Québec, je l’ignore. Chez nous, cela faisait presque cinq ans que Dieudonné ne s’était plus produit à Bruxelles. Il était très attendu par différentes franges de la population. Malgré l’annonce d’interdiction, la réhabilitation, 80 policiers autour de la salle de spectacle, Dieudonné a réalisé deux prestations successives à guichets fermés pour 800 personnes. A l’extérieur, une trentaine de militants sionistes ont pu exprimer leur désaccord. Quoi de plus normal en démocratie … »
- Pourquoi le comique dérange-t-il autant au point d’incarner comme il dit dans ses spectacles « l’axe du mal à lui tout seul » ?
« Je vois quatre facteurs principaux :
1) Il a ridiculisé et s’est attaqué sans ambiguïté au sionisme.
2) Il a bousculé voire blasphémé le cadre politique traditionnel.
3) Armé de son humour, il développe un discours d’émancipation susceptible de séduire les afro-européens mais aussi celles et ceux révoltés par les injustices de la mondialisation.
4) En prenant le public à témoin, il renvoie la plupart des médias à leur partialité idéologique non assumée et à leurs dérives de fonctionnement qui ont entraîné leur perte de crédibilité. »
- Pensez-vous que les comédiens en France décideront un jour de descendre dans la rue pour demander son retour à la télé et chez Drucker ?
« Cette question est vraiment très drôle. La plupart des comédiens se préoccupent surtout d’eux-mêmes et ne possèdent pas un courage démesuré ou un sens aigu de la solidarité. Comme beaucoup de journalistes. Concernant Dieudonné, après cinq ans, je me demande encore où se trouve la plus grande dose de lâcheté ? Dans le milieu du journalisme ou celui du cinéma français ? Dans ces deux milieux, beaucoup reconnaissent que Dieudonné défend des choses pertinentes voire des vérités et/ou admirent son talent artistique. Mais, plus que jamais, ce type de propos doit se murmurer à l’abri et certainement pas chez Drucker. Le seul professionnel de télévision qui a refusé de contribuer à la diabolisation médiatique de Dieudonné, c’est FrédéricTaddéi. Dans son émission Ce soir ou jamais, diffusé sur France 3, il a invité l’humoriste en interview, puis à débattre avec d’autres humoristes. Un véritable exploit que je salue. »
Dieudonné, reçoit-il toujours du soutien en privé comme il aime le dire ou est-il vraiment seul ?
« Je ne le vois pas dans sa vie privée, mais il est clair qu’il bénéficie d’un réel soutien populaire. Ce qui doit lui être précieux dans les inévitables moments de solitude. »
-S’est-il rapproché de l’extrême droite ?
« Non, ce courant politique est éloigné de ses influences et de ses idéaux. En France, ce que beaucoup ne semblent pas comprendre, c’est que Dieudonné est un véritable républicain. Un citoyen français qui prend au mot la promesse de « liberté, d’égalité et de fraternité » pour la renvoyer à celles et ceux qui la trahissent. Lui posant une question similaire à la vôtre en interview, Dieudonné m’avait donné la réponse suivante : « J’ai longtemps été bercé par cette culture du racisme et de l’antiracisme. On m’a culturellement poussé à soutenir des associations comme SOS Racisme, le Mrap et la Licra. Il s’agit en réalité d’officines politiques qui se sont enrichies sur le dos d’une noble cause. Elles n’ont absolument pas contribué à empêcher ou à diminuer cette relation de dominant à dominé qui existe entre l’Europe et l’Afrique. Au contraire, ces associations ont pour mission de canaliser la diaspora africaine et leurs descendants et de monter les communautés les unes contre les autres. Ma poignée de main à Jean-Marie Le Pen, c’était aussi dire : nous n’avons pas besoin de ce genre d’association ; le racisme, nous voulons le voir en face et lui parler les yeux dans les yeux ! En Europe, cet homme incarne et porte le racisme. J’estime que les Afro-européens qui s’émancipent doivent aller à sa rencontre pour lui dire : « Quel est ton problème, Jean-Marie ? ».
-Ne pensez-vous pas que l’humoriste devrait revoir sa communication car de l’extérieur, on a l’impression que le message est comme brouillé et qu’il se tire une balle dans le pied ?
« D’un point de vue communication, c’est sûr que sa démarche est hors-cadre et partiellement contre-productive. En journalisme, on tente de faire comprendre un message le plus rapidement possible à un maximum de gens. Dans la voie subversive qu’a choisi Dieudonné, il se donne le temps d’être compris tout en ne cherchant pas à l’être par tous. Dans le même temps, ceux qui sont victimes du racisme institutionnel, d’infériorisation sociale et d’injustices diverses comprennent mieux sa démarche hors norme que ceux qui profitent du statut quo ou souhaitent développer des plans de carrière. »
Faire venir Faurisson par exemple, n’était-ce pas suicidaire pour la suite de sa carrière tout comme aller serrer la main à Jean-Marie Le Pen au Bourget en novembre 2006 ? Que cherchait-il à dire ?
« Ces deux « coups » lui ont aliéné une partie des personnes qui le soutenait, mais cela a aussi provoqué de riches débats qui se poursuivent. Quel est le bilan du « cordon sanitaire » en termes de recul de l’extrême-droite ? Qui met véritablement en pratique des thèses d’extrême-droite reliftées ? Qui a dit : « Le Pen pose les bonnes questions mais apporte les mauvaises réponses » ? Personnellement, j’estime que Le Pen et sa formation n’ont jamais posé de bonnes questions et que leurs propositions sont ineptes à servir l’intérêt général. Mais désigner cette formation comme le « mal absolu » alors que les partis démocratiques se sont inspiré ou ont récupéré leurs thèses en matière de racisme et d’immigration, cela s’appelle une diversion. Sur ce sujet, comme sur d’autres, la force de Dieudonné a été de pousser chacun à se positionner. Ses provocations interpellent, épatent, choquent ou insupportent, mais elles débouchent jusqu’à présent sur de vrais débats. »
- N’êtes-vous pas le défenseur des causes perdues et pourquoi soutenez-vous Dieudonné ? Réflexe communautaire ?
« Non, je défends des principes en journalisme et mes convictions. La démarche subversive de Dieudonné et le traitement médiatique qui lui a été réservé méritaient deux livres. L’homme a provoqué un débat de société francophone qui dépasse sa propre individualité. Plus personne de sérieux ne peut contester aujourd’hui cette évidence. Le fait que je sois métis - c’est-à-dire noir et blanc - et Dieudonné également nous rapproche dans le rejet de toute forme de communautarisme. Nous sommes héritiers d’une histoire similaire qui comprend cette richesse que constitue une double culture. Mais l’une d’entre-elles, « l’africaine », reste dénigrée, infériorisée et folklorisée au sein des sociétés occidentales. Il est légitime de le dénoncer. Il ne s’agit pas d’un réflexe communautaire, mais de défendre la perspective d’en finir un jour avec les hiérarchies culturelles et de couleurs de peau, les stéréotypes et jugements de valeur qui y sont liés. Le racisme n’est pas une variable statistique à gérer, mais un état d’esprit néfaste à combattre d’où qu’il vienne ! »
-Comment Dieudonné fait-il pour tenir le coup ? Prend-t-il des cachetons ? Et où en est-il aujourd’hui ?
« C’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse. D’autant plus que les choses se corsent encore un peu plus. Interdit de télés, de cinéma, de plusieurs salles de spectacle, il est désormais contraint de jouer son spectacle dans un bus roulant à travers la France. Quel témoignage de notre époque ivre de répression et d’intolérance. Même si Dieudonné le prend avec philosophie, je trouve cela consternant et très inquiétant pour l’avenir de nos libertés. »
PROPOS RECUEILLIS PAR PM
[1] Christophe Forcari (Libération), Christiane Chombeau (Le Monde), Anne-Sophie Mercier (chroniqueuse à RTL), Bernard Henry Lévy (Le Point), Jacqueline Sellem (L’humanité), Boris Thiolay, Silvère Boucher-Lambert et Olivier Saretta (L’Express), Jacques Julliard (Le Nouvel Observateur) etc….