On achève toujours les chevaux !
En France, environ 20 000 chevaux finissent chaque année sur les étals de boucherie. Ce chiffre comprend les chevaux de trait dont la race n’existe pratiquement plus que pour ce marché si l’on excepte les quelques amateurs qui les élèvent encore pour leur charme et pour faire perdurer une tradition rurale. Ce que l’on sait moins, c’est que la plupart des chevaux élevés pour la course (galopeurs et trotteurs) finissent également sous forme de steak dans les assiettes des hippophages, pourtant minoritaires dans l’hexagone [1] (plus de 60% des ventes en vif sont exportées en Europe, principalement vers l’Italie). En effet, l’hippophagie reste marginale dans notre pays. Peut-être que la plupart d’entre nous avons des réticences à manger notre plus noble conquête… Réticence héritée des valeurs rurales et aristocratiques qui donnèrent au cheval un statut qui le distingue des autres bestiaux domestiques.[2]
Environ 30% des chevaux abattus sont des poulains de trait élevés dans ce but, 20% des chevaux de trait adultes réformés, et le reste des chevaux de sang réformés.[ ]80% de ces derniers sont des trotteurs âgés de moins de dix ans dont 20 % des poulains de moins de deux ans, soit des animaux encore jeunes qui pourraient être reconvertis, après une patiente mais pas si difficile rééducation, pour le loisir chez le particulier ou en club d’équitation.
Mais dans le monde hippique, le cheval est un investissement financier, et pour un éleveur prendre la peine de chercher un reclassement pour une bête qui a donné le meilleur d’elle-même pendant des années - et rapporté beaucoup d’argent - ou pour un poulain dont les qualités ne sont pas prometteuses malgré la sélection génétique qui a participé à sa conception, représente une perte de temps donc d’argent. Le milieu hippique, comme celui de la corrida ou du cirque, prétend toujours aimer les animaux pour ce qu’ils sont alors qu’il les aime pour ce qu’ils rapportent.
Pour satisfaire plus que largement aux besoins des champs de courses, on fait naître selon les années de 11 000 à 13 000 chevaux de compétition potentiels, pour le trot attelé ou monté, dont les moins performants sont éliminés sans scrupules dès leur plus tendre enfance ou leur adolescence car les qualifications n’en retiennent que 20%.
Tout commence avec la sélection rigoureuse des étalons qui doivent saillir [3] les poulinières de bonne lignée sensées accoucher de futurs champions sur lesquels les turfistes miseront ! Il faut obtenir de chacune d'elles un rendement d’une naissance par an ; naturellement, les chaleurs ont lieu au printemps mais pour des raisons de calendrier des courses et donc pour présenter des compétiteurs au plus tôt, les éleveurs recherchent une naissance plus précoce au début de l'année et parviennent à déclencher les chaleurs en jouant entre autres moyens sur l'intensité de l'éclairage. La gestation ayant une durée de 11 mois, on ne laisse qu’un mois de repos à leur organisme avant la prochaine saillie, leur poulain étant dans certains cas nourri par une autre jument allaitante dont le propre rejeton, sans valeur, est ainsi condamné.
Lorsque l’« espoir de gain » naît, il est examiné en détail pour vérifier qu’il n’a pas de défaut rédhibitoire qui scellerait son sort. S’il satisfait aux normes, il a seulement quelques mois de répit et d’insouciance. A six mois, le foal est séparé de sa mère et sevré, il est alors « forcé » aux nutriments qui assurent à l’éleveur une croissance musculaire rapide. In fine, si le poulain de douze mois semble en avoir plus du double, il n’en a pas pour autant la maturité osseuse, articulaire et tendineuse.
Dès ses dix-huit mois, le poulain (yearling) est débourré, soumis au dressage, harnaché et embouché de mors. Il est ainsi mis au travail, attelé ou monté, alors que ses tendons et ses articulations n’ont pas acquis la solidité nécessaire mais qu’importe, les vétérinaires sont là, pour masquer avec leurs potions chimiques les dégâts. Ferrés et mis à l’effort trop jeunes, ces poulains développent couramment des pathologies diverses souvent irréversibles, ce qui en envoie une bonne partie d’entre eux au rebut.
Pour les survivants commencent les entraînements et les premiers tests ; le poulain qui est destiné aux courses de trot doit alors oublier l’une de ses allures naturelles qu’est le galop et atteindre néanmoins des vitesses de course de plus en plus élevées.[4] Tous les moyens sont bons pour briser l’instinct de ces animaux : des rênes avec des pointes qui blessent l’encolure, des mors agressifs pour la bouche sensible qui appuient sur le palais à la moindre velléité de galop, des picots sur la muselière… L’imagination est sans borne pour obtenir d’eux une course contre nature.
Les aléas de la génétique n’offrant pas souvent les résultats escomptés, 80 % des jeunes chevaux sont disqualifiés dès les premiers tests. Quelques secondes de trop sur le parcours ou trop de foulées de galop feront toute la différence entre un destin de gagnant ou l’abattoir. L’éleveur ne cherche même pas à les revendre comme chevaux de loisir car il faut alors continuer à héberger et à alimenter le « canasson » qui n’a pas tenu les promesses de sa lignée ; il sera abandonné sans grand soin dans un champ en attendant d’être racheté par un chevillard trop content de trouver un animal jeune et sain pour fournir les abattoirs à un prix qui n’est même pas celui de la saillie qui l’a engendré. Et l’éleveur inscrira l’animal au chapitre des pertes comptables…
Ceux qui satisfont aux résultats attendus poursuivent leur conditionnement pour améliorer leurs performances. Il n’est pas rare qu’un poulain soumis à des cocktails chimiques hasardeux et à un entraînement intensif décède d’une crise cardiaque. L‘organisme immature des poulains « lâche » souvent de partout et malheur à celui qui se blesse gravement, l’euthanasie éliminera alors un être devenu inutile.
Quant aux quelques « élus », qu’ont-ils à réellement gagner de leur statut de « crack » ? Tant qu’ils maintiennent leurs performances, ils sont relativement choyés, mais la compétition est-elle une bonne planque ? Puis l’âge de la retraite arrive bien vite pour ces sportifs usés, un trotteur de cinq ans est considéré vieux alors qu’un équidé n’est adulte qu’entre cinq à sept ans !
Si l’animal est entier, il peut continuer une carrière d’étalon pour fournir sa semence qui devient euros trébuchants et sonnants pour son propriétaire ; s’il est hongre, pas de sursis, le dernier voyage est son triste destin. Pour une jument, elle termine sa carrière, si elle est sélectionnée comme poulinière, à porter des « produits » jusqu’à usure complète puis réforme !
Bien évidemment, ces pratiques contestables ne sont pas toutes à la fois usitées dans un même élevage, mais elles existent et perdurent, et les éleveurs et entraîneurs qui s’y refusent sont hélas bien rares.
Le monde hippique est fait à l’image de notre société où tout est profit et ses acteurs y trouvent leurs intérêts, lesquels sont autant de freins à un changement vers un meilleur respect de cet animal. Outre les jockeys et entraîneurs qui entretiennent leur ego en se prenant pour des « hommes de cheval », les parieurs qui fantasment sur le gain facile, les vétérinaires qui testent leurs drogues, les sociétés de pari et les éleveurs qui s’enrichissent, on a au bout de la chaîne du profit, l’Etat qui encaisse ses taxes [5]… Tout cela sur le dos du cheval. Voilà la sordide réalité !
Informées de ces faits, quelques associations tentent de réunir des fonds pour récupérer le plus grand nombre possible de ces chevaux afin de leur éviter une mort trop précoce mais il leur impossible d’offrir une seconde chance à tant de chevaux réformés ou recalés ! Les autorités de leur côté incitent à réduire le nombre des naissances en offrant une prime aux éleveurs qui ne font pas saillir leurs juments. Ces derniers touchent la prime et envoient la jument sans utilité à l’abattoir. Sans vrai politique de restriction des naissances, on n’est pas près de voir les choses changer !
Ces chevaux paient un lourd tribut sur tous les champs de courses et ne sont pas gratifiés en retour d’une retraite pourtant bien méritée ! Pour pallier à cette dérive, une initiative récente d’un groupe de députés mérite d’être relevée : celle de faire évoluer le statut juridique du cheval d’ « animal de rente » à « animal de compagnie » au même titre que le chien ou le chat…[6]
Le statut d’animal de compagnie ne remettrait pas en cause son usage pour l’équitation contrairement à ce que craignent certains qui se sont émus de cette proposition de loi - le chien qui a ce statut reste utilisé dans diverses missions ainsi que pour des compétitions sportives – mais protègerait cet animal contre tous les abus et surtout lui épargnerait de finir dans les casseroles. Puissent les mentalités changer au plus vite, l’opinion publique semble prête encore faut-il qu’elle soit consciente des coulisses du milieu équin !
Notes :
1. Et certainement aussi dans les boîtes et croquettes pour chiens et chats car une part d’ombre subsiste quant aux ingrédients qui se cachent derrière l’appellation « sous produits animaux ». Les sous-produits animaux désignent toute partie de l'animal de boucherie qui n’est pas commercialisée pour la consommation humaine. On les trouve donc principalement dans les abattoirs et les ateliers de découpe.
Un cheval vivant est vendu en moyenne 500 € et fournit approximativement 300 kg de viande. Soit un prix moyen au kilo de 1,70 €. A l’arrivée en linéaires ou sur les étals des bouchers ce même kilo de viande est vendu aux consommateurs 13,20 € TTC (source Interbev). La marge réalisée sur le dos des consommateurs est donc de 776%. Source Fondation Brigitte Bardot - 2009
2. En 1970, la viande de cheval représentait 2% du volume de chair animale consommée, 1,3 en 1985 et 0,7% en 1996 « Nourrir le peuple : l'hippophagie à Paris au XIXe siècle ». Hubscher, 2004.
3. Saillie qui tend de plus en plus à être remplacée par l’insémination artificielle pour des raisons soi-disant sanitaires, mais en fait de rendement ! Prix de la saillie de 1000 à plus de 30 000 euros selon la notoriété de l’étalon.
4. Grâce à une nourriture agrémentée de « dopants » et aux techniques d’entraînements, on obtient d’eux des performances toujours meilleures, mais à quel prix pour leur organisme ?
5. Les impôts représentent de 60 à 80% du montant des paris ! Le reste des plus ou moins 10 milliards (moyenne annuelle) d’enjeux sur le pari mutuel sont répartis entre les parieurs et les organisateurs.
6. http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion2361.asp
PROPOSITION DE LOI
visant à modifier le statut juridique du cheval en le faisant passer d’animal de rente à animal de compagnie,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Lionnel LUCA, Jean-Michel FERRAND, Daniel FASQUELLE, Lucien DEGAUCHY, Jean-Michel COUVE, Jean-Marc ROUBAUD, Jacques Alain BÉNISTI, Jean-Marie MORISSET, Thierry MARIANI, Éric STRAUMANN, Alain MOYNE-BRESSAND, Jean ROATTA, Arlette GROSSKOST et Maryse JOISSAINS-MASINI,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Après avoir été, pendant des décennies, un animal de labeur, la plus noble conquête de l’homme est aujourd’hui essentiellement cantonnée aux activités sportives et de loisirs.
Alors qu’il est considéré comme animal de compagnie par beaucoup, qu’il rapporte des sommes faramineuses dans le milieu des courses hippiques, le cheval est pourtant, à ce jour, toujours assimilé à un animal de rente dont le destin final est l’abattoir.
Nul n’imagine de consommer de la viande canine ou féline dans notre pays. Celle du cheval est également de plus en plus décriée par nos compatriotes, d’autant plus qu’elle entraîne de longs transports à travers l’Europe, dans des conditions trop souvent non conformes à la réglementation.
Il est également reconnu scientifiquement que la thérapie associée au cheval est une méthode extrêmement riche pouvant apporter de larges bénéfices sur le plan médical, mental, et social. Le cheval par sa sensibilité tactile particulièrement affinée représente un catalyseur pour l’accès à la communication chez des individus qui en sont dépourvus, du fait de diverses pathologies de type émotionnel, physique ou psychiatrique. Sa relation à l’homme passe le simple stade de l’animal pour être un véritable soutien physique et psychique de l’homme.
Rien ne différencie plus le chien (animal de compagnie) d’un cheval (animal de rente) :
– un chien est un outil de travail (chien guide d’aveugle, chien de recherche…), le cheval aussi (hippothérapie, collecte des déchets, débardage du bois, labour des vignes…) ;
– un chien est un bien commercial, le cheval aussi ;
– un chien est un agrément pour l’humain, le cheval aussi (cheval laissé en pâture) ;
– le chien est un compagnon de loisir et de compétition (sports tels que l’agility, le canicross…), le cheval aussi (centre équestre, concours de saut d’obstacles).
Le Gouvernement a pris en compte cette relation particulière qui unit l’homme au cheval en travaillant sur l’abrogation de l’arrêté du 4 mai 1992 (relatif aux centres d’incinération de cadavres d’animaux de compagnie) afin d’autoriser l’incinération des chevaux. De plus, les chevaux de la garde républicaine ne sont plus envoyés à l’abattoir en fin de carrière mais peuvent être rachetés par les cavaliers ou confiés, à titre gracieux (depuis 1992), à une association de protection animale.
Si cette démarche reconnaît déjà le statut particulier du cheval, ami de l’homme, l’objet de cette proposition de loi est de mettre en concordance l’opinion de nos compatriotes et le statut juridique qui lui est réservé. Ainsi, l’objet de cette proposition est de modifier la classification juridique de l’équidé pour que, d’« animal de rente », il soit désormais classifié comme « animal de compagnie ».
En effet l’article L. 214-6 du code rural, paragraphe 1, dispose : « On entend par animal de compagnie tout animal détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément. »
C’est pourquoi, il semble légitime d’attribuer en cohérence aux équidés le statut juridique d’« animal de compagnie » auprès de l’homme.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Avant l’article L. 212-9 du code rural, il est inséré un article L. 212-9 A ainsi rédigé :
« Art. L. 212-9 A. – Le cheval est un animal de compagnie tel que défini par les dispositions du présent code à l’article L. 214-6.
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