On Me Cochonne l’O.M.C.
C’est ce que pourrait dire tout bas Pascal Lamy. Qui ne connaît pas ces trois lettres O.M.C. ? On ne sait plus très bien ce qu’elles représentent et pourtant beaucoup d’altermondialistes sont prêts à manifester contre cette organisation mondialiste.
Ce lundi, 24 juillet, à Genève, le cycle de Doha était à nouveau bloqué jusqu’à nouvel ordre. Des discussions à n’en plus finir sur la libération du commerce international ont échoué au bout de cinq ans de négociations. Le retour sur la scène de ces dernières pourrait prendre de nombreux mois. Les six principaux acteurs de ce round qui ne se veut pas trop médiatique n’ont pu se mettre d’accord sur des dossiers agricoles, vieux comme le monde, ou tellement vieux que leur déracinement ne sera plus possible. Différends sur les subventions, les règles de douanes à l’importation sont les principales pierres d’achoppement dans cette bataille de "marchand de tapis". 149 pays membres, 149 pays qui déclarent après la réunion qu’ils sont tous perdants dans l’affaire. Accélérer la croissance et le développement sont les objectifs coulés dans le marbre dès 2001. D’autres cycles, comme celui d’Uruguay de 1986 à 2003 ont également suivi le même sort. La politique du pays le plus fort, dont vous devinez le nom, devrait pourtant pour des raisons électorales appuyer sur le champignon. Sur le même sujet, David Carayol, autre rédacteur Agoravox, lançait son article "Rencontre du G8, sommet de Rabat, cycle de Doha : mêmes agendas, mêmes échecs" qui prévoyait l’issue des rencontres de Doha.
Mais, au fait, qu’en pense le principal intéressé ?
Michel Visart (MV), journaliste à la RTBF1, a interviewé Pascal LAMY, le directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce pour lui faire dire ce qu’il pensait de ses commanditaires, les pays du monde, riches ou pauvres.
Son choix musical était Caetano VELOSO, "Carioca"
MV - Alors Gaetano Veloso, c’est bien sûr le Brésil, c’est un des pays qui faisait partie du dernier groupe des gros négociateurs de l’OMC à coté de l’Europe et des Etats-Unis. Est-ce qu’on peut dire que ces poids lourds vous ont déçu ?
PL - Déçu, ce serait prendre une position d’un petit peu haut, moi je ne suis pas là pour juger, je suis là pour essayer de faire avancer les choses, mais si j’écoute la majorité des membres de l’OMC qui sont des pays en développement, hier, avant-hier et aujourd’hui, eux c’est ce qu’ils disent, oui. Ils disent : on est très déçu, et ils ont les gros, les majors, sans lesquels aucun accord ne peut parvenir, les Etats-Unis, l’Europe, l’Inde, le Brésil, portent une responsabilité dans cette situation oui.
MV - Est-ce qu’on peut parler d’un certain égoïsme de la part des pays du nord, des pays riches, on doit, on le sait c’est le cycle du développement, il y a peu à gagner pour les pays développés, dit-on. Donc, peu de motivation finalement ?
PL - Non je ne crois pas, je ne crois pas qu’on puisse dire qu’il y a peu à gagner pour les pays développés, à moins de dire que l’existence d’un système commercial multilatéral basé par les règles qui sont les mêmes pour tout le monde, n’a de valeur que pour les petits ou les faibles, je ne crois pas. Si les pays développés, les Etats-Unis, l’Europe, le Japon sont sérieux, un peu cohérents, et font ce qu’ils disent du point de vue de l’organisation de la société internationale, alors ils doivent faire les efforts nécessaires. C’est la différence qu’il y a entre les discours du dimanche à la banque et aux banquiers, et à la messe, et puis ce qu’on fait le lundi dans les négociations.
MV - Alors plusieurs ONG déjà, entre autre Oxfam, pour ne pas la citer, affirme que finalement cet échec est une bonne chose pour les pays en développement, parce qu’ils auraient été pieds et poings liés face aux pays riches. Vous partagez cette analyse ?
PL - Ce n’est pas ce que dit Oxfam exactement. Les organisations non gouvernementales ont eu sur ce sujet des attitudes très ambiguës, et des positions très changeantes. J’entends maintenant dire par beaucoup d’entre elles, que cette suspension et cette possibilité d’un échec, cette éventualité d’un échec définitif, est une catastrophe pour les pays en développement, les mêmes qu’il y a quelques années disaient, qu’une négociation à l’OMC n’était pas bonne pour le développement. Je crois qu’en réalité : il suffit d’écouter les pays en développement. Si on veut parler des intérêts des pays en développement, écoutons ce qu’ils disent, eux-mêmes directement, disons sans intermédiaire, de temps en temps. Ce qu’ils disent, c’est qu’ils ont besoin de rééquilibrer les règles du commerce mondial qui leur sont défavorables. Compte tenu de traces assez visibles d’un passé colonial, qui a été celui du 19ème et d’une partie du 20ème siècle, il reste dans le système commercial multilatéral, même s’il a beaucoup évolué des traces de colonialisme économique. Il faut laisser à disparaître, ça ne peut se faire que petit à petit, ce cycle, cette négociation-là, était celle qui permettait enfin d’éliminer la plupart de ces traces, et notamment en matière agricole.
MV - Mais vous avez certainement vous-même beaucoup écouté les pays les plus pauvres. Mais les six derniers négociateurs, ces fameux poids lourds, on ne les retrouvait pas là-dedans, ce n’était que des pays riches ou des pays émergents, des grosses puissances en devenir ?
PL - On ne peut pas non plus dire que l’Inde et le Brésil, sont des pays riches, ce sont des pays pauvres, moins pauvres et dont la croissance est plus dynamique qu’un certain nombre de pays d’Afrique par exemple, mais ne disons pas, s’il vous plait, sous prétexte que le Brésil est une puissance agricole potentielle, que la technologie indienne commence à manger des parts de marché ici et là, que l’Inde est un pays riche, l’Inde est un pays pauvre, effroyablement pauvre. Sauf pour disons, 100 ou 200 millions d’Indiens qui commencent à accéder au statut de classe moyenne. Cette idée qu’il y a d’un coté les pays les plus pauvres qui auraient du mal à s’insérer dans un commerce mondial qui est inégal, et de l’autre coté, la Chine, l’Inde et le Brésil qui, en quelque sorte, seraient passés de l’autre coté, épargnons-nous ces images de guignols. Le monde ne fonctionne pas comme cela, il est vrai que l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, sont des pays émergents, que leurs intérêts ne sont pas forcément les mêmes qu’un certain nombre de pays africains, mais ne caricaturons pas.
MV - D’accord, alors personne c’est clair ne vous impute l’échec des négociations, ce n’est pas vous qui négociez directement, mais vous avez d’ailleurs, c’est tout le monde qui le dit, énormément travaillé. Mais à titre personnel, est-ce que vous avez quand même un petit mea-culpa ?
PL - Je ne suis pas négociateur dans cette affaire, je ne suis pas négociateur, je suis sage-femme, berger, de temps en temps confesseur, parfois psychologue, parfois docteur. C’est une variété de rôles. Qu’est-ce que j’aurais pu faire du point de vue de mes fonctions de différent ? Les données étaient là quand je suis arrivé, le calendrier, il est là, c’est à l’intérieur de cela qu’il faut se positionner. Je ne crois pas, c’est vrai que j’ai poussé pour que les négociations avancent, je suis persuadé que c’est ce qu’il faut faire, compte tenu des délais qui sont les nôtres. Et par ailleurs, ce n’est pas forcément terminé, ne faisons pas comme si le cycle avait échoué à 19h40 23 juillet à Genève. Ce que j’ai essayé de faire, c’est de demander un temps mort, une pause, un moment : on se calme, on rentre à la maison, on réfléchit, on sort un peu le nez du pare-brise, et on regarde les enjeux un peu plus vastes. On regarde ce qui se passe dans le commerce mondial en général, le système multilatéral, on regarde aussi d’ailleurs ce qui se passe au Moyen-Orient, en Afghanistan, en Irak, en Corée du Nord. Parce que toutes ces choses là, on ne peut pas complètement les séparer des unes et des autres. On regarde la vision globale, on regarde le monde dans lequel on est, et on se demande si quelques milliards de subventions en moins ou quelques pourcentages de droits de douane en moins, en matière de produits agricoles sur le cochon, le poulet ou le bœuf, parce que c’est de ça qu’il s’agit... Pas plus pas moins.
MV - Justement, est-ce qu’il n’y a pas un déficit de communication à ce niveau-là. Alors, si vous pouviez expliquer brièvement pourquoi c’est indispensable d’avoir un nouvel accord de commerce international ?
PL - Bien sûr que c’est indispensable, s’il l’on pense que la société commerciale internationale, que l’échange international, que le développement de l’échange international, en gros est bon, parce qu’il permet une plus grande efficacité, et étant entendu que ça ne dit rien sur la distribution de ces effets de bien-être. Donc, 1).L’ouverture des échanges est bonne, pour qu’elle soit bonne pour un maximum de gens, il faut des règles communes, et 3) ces règles communes doivent être ajustées, adaptées régulièrement. La dernière fois qu’on a adapté les règles c’était il y a 10 ans, à la vitesse à laquelle va l’augmentation des échanges et la globalisation, il faut le faire maintenant. Et c’est de cela qu’il s’agit, mais ce qu’il faut bien voir, c’est que là où ça coince, c’est sur une tête épingle par rapport à tous ces problèmes. Là où ça coince, c’est quelques milliards de subventions agricoles qu’il faut diminuer et quelques pourcentages de droits de douane, encore une fois sur les produits que vous mangez tous les jours, et qu’il faut diminuer, et ça je pense qu’il faut reprendre un sens des proportions. Et c’est la raison pour laquelle, je pense que cette pause est nécessaire pour que les gens considèrent les proportions et reviennent éventuellement, en tout cas je l’espère, autour de la table avec des tactiques ou des proportions un peu meilleures.
MV - Et c’est dans ce sens là que vous demandez une réflexion aux états membres et qu’est-ce que vous allez pouvoir faire pour vous, pour déclencher cette réflexion parce qu’on n’a pas du tout l’impression que pour l’instant, ils soient prêts à aller plus loin, et à mettre un petit peu d’eau dans leur vin ?
PL - Pour l’instant, ils sont très occupés à se rejeter la responsabilité les uns sur les autres, c’est classique, quand une négociation ne marche pas, « c’est jamais de ma faute, c’est toujours de la tienne ». Il y a ce moment-là qu’il faut passer. J’espère, je pense que le temps de la réflexion va porter un peu conseil, et encore une fois, que le sens des proportions entre ce qu’ils vont perdre, tous, si cette négociation échoue, à commencer par ce qu’il y a sur la table, à commencer par l’élimination totale des subventions à l’exportation, à commencer par ce qui a été fait pour les pays les plus pauvres, et qui pour l’instant est sur la table en matière d’accès au pays du nord. Tout ce qui est sur la table, risque de disparaître, si la négociation échoue. Donc, prenons un peu de recul, prenons un peu de distance, voyons les risques qu’il y aurait à persévérer dans ces combinaisons tactiques qui se sont avérées incompatibles, et à ce moment là, revoyons-les.
MV - Alors le commissaire européen, Peter Medelson suggère, pour ne pas tout perdre en tout cas à court et moyen terme, d’avancer sur certains dossiers, certains acquis parallèlement. Est-ce qu’on peut imaginer de démanteler un petit peu l’agenda, et surtout les dossiers de l’agenda ?
PL - Il est prévisible que compte tenu de la complexité de cet agenda, un certain nombre de joueurs vont essayer de suggérer de garder dans cet agenda ce qui les arrange, et de retirer de l’agenda ce qui les dérange. Je m’attends à ce que ça se passe.
MV - Et vous n’êtes pas pour évidemment ?
PL - Ça me paraît difficile parce que compte tenu du fait que l’agenda a précisément été confectionné pour faire un équilibre entre les sujets qui fâchent et les sujets qui ne fâchent pas, si il s’agit de ne garder que les sujets qui ne fâchent pas, ma vision et votre vision de ce qui fâche ou de ce qui ne fâche pas sera différente. Donc, je ne suis pas sûr que ce soit une voie très, très prometteuse.
MV - Alors est-ce que le moment n’est pas venu pour vous directeur général de l’OMC, de penser enfin à la réforme de cette institution, que vous aviez en son temps, je crois que c’était après Cancun, qualifié de médiévale, parce que visiblement ça ne fonctionne pas trop bien quand même ?
PL - C’est vrai qu’on peut sûrement améliorer le fonctionnement. Mais sur ce point mon diagnostic est très clair, la raison pour laquelle aujourd’hui la négociation est bloquée, ça n’est pas parce que l’OMC fonctionnerait bien ou mal, ou mieux ou moins bien. La solution ne réside pas dans une procédure. Si les Américains ne veulent pas diminuer leurs subventions à l’exportation, leurs subventions internes qu’ils donnent à leurs agriculteurs, si les Européens ne veulent pas baisser davantage de quelques points leurs droits de douane, si les Brésiliens ou les Indiens ne veulent pas baisser de quelques points supplémentaires, leurs droits de douane sur les produits industriels, ce n’est pas une affaire de fonctionnement de l’OMC ça. C’est une affaire de volonté politique aux Etats-Unis, en Europe, au Brésil et en Inde.
MV - Alors Pascal Lamy, peut-être déjà une dernière question, en France, et vous êtes français bien sûr, on a entendu pas mal de voix, entre autre des organisations agricoles qui se sont réjouies au sein du gouvernement, certains on l’air presque contents. J’ai entendu dire que la France finalement n’y perdait pas à grand chose, hier soir Suzanne Schwab, la négociatrice américaine suggère d’attendre après les élections. Et vous, vous comprenez encore vos compatriotes ?
PL - Mais moi ici à Genève à l’OMC dans les négociations commerciales, je vois des Européens. Mon interlocuteur est un commissaire européen. Alors je sais qu’il travaille sous contrainte française, belge, néerlandaise, luxembourgeoise, et hollandaise, de même d’ailleurs que je sais le négociateur américain fonctionne sous contrainte de l’Iowa, du Connecticut, du Texas. Mais depuis que je suis ici, j’ai pour habitude de ne pas trop me mêler de la manière dont les gens que je vois et qui négocient ici, font leur soupe à la maison. Mais il est des moments où c’est utile, où il est des moments ou ça l’est moins. Cela étant, disons que l’agriculture française n’a jamais été propice à cette négociation et ce n’est pas un scoop...
Mais, rassurez-vous, Monsieur Lamy, ce n’est pas encore l’acte de décès officiel du "round de Doha", même si cela en a la couleur. Les six grands (par ordre alphabétique pour ne pas faire de jaloux) Australie, Brésil, Etats-Unis, Inde, Japon, Union Européenne vont certainement vous concocter une surprise sur "prise de conscience".
On peut comprendre que comme tout avortement, des discussions écourtées et ratées sont une preuve d’échec.
Accuser l’autre pays de son propre échec n’est pas une preuve flagrante de sagesse.
Et si on ajoutait la lettre "D" au sigle de l’organisation, cela pourrait mettre d’accord les altermondialistes en devenant l’Organisation Mondiale du Commerce Durable.
Alors, Messieurs, après le "revers", si vous essayiez le "coup droit", ça changerait.
"Se trop ériger en négociateur n’est pas toujours la meilleure qualité pour la négociation.", Cardinal de Retz
"Avant de négocier avec le loup, mets lui une muselière.", Valerio Butulescu
"Ne négocions jamais avec nos peurs. Mais n’ayons jamais peur de négocier ", John Fitzgérald Kennedy
"Ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est négociable.", Nikita Khrouchtchev
"C’est un drôle de pays, la France, où les négociations ont toujours lieu après le déclenchement des grèves et non avant.", Françoise Giroud
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