On n’est pas sorti de la crèche !
Saint-Robert Ménard, avocat du catholicisme décomplexé, a déjà fait preuve, comme tout néo-converti, de beaucoup de zèle en la matière. Mais en portant le débat sur la crèche, les libres penseurs se trompent de combat.
L’intégrisme est une plaie, qu’il soit catholique [1], musulman, judaïque et même… athée. S’en prendre à l’installation d’une crèche, fut-ce dans un lieu public me semble une erreur de combat.
Certes, Bob Ménard est un mercenaire de la cause chrétienne. On l’a vu monter une grand’messe avec l’argent des Biterrois en ouverture des férias, un acte que ses prédécesseurs Aboud et Couderc, pourtant membres de la droite forte et décomplexée, n’avaient pas osé. Tout en combattant les signes des musulmans jugés trop ostentatoires. On n’est pas à un paradoxe près avec Robert Ménard, après tout, cet ancien dirigeant de « Reporters sans frontière » n’aime pas trop quand des reporters franchissent la porte de la cité dont il est le premier prélat, et surtout les frontières de l'hôtel de ville.
Trop de zèle tue le zèle…
Mais si Ménard en fait des caisses, si l’on ose dire, dans la séduction de l’électorat catholique, il serait de bon aloi de ne pas en faire trop dans la riposte. Après tout, bien qu’anticlérical assumé, Jean Yanne n’avait pas osé brocarder les croyants dans « 2 heures moins le quart avant Jésus-Christ ». Au contraire, même, dans une dernière scène d’anthologie, il se moque des ‘cons’ (dixit le mémorable discours de Coluche dans l’arène) qui regardent le journal télévisé avec Yves Mourousi annonçant en premier titre la naissance d’un bébé dans une étable à Bethléem, ce qui vaut la réplique cinglante de Coluche : « N’empêche, les conneries qu’ils nous passent à la télévision, la naissance d’un bébé dans une étable… Ça ne va pas changer la face du monde… Quoi, j’ai dit une connerie ? Ça va changer la face du monde peut-être ? » Evidemment, même si de nos jours on se moquerait de Jean-Pierre Pernault faisant l’ouverture sur un tel sujet, il faut reconnaître, comme Jean Yanne, que oui, ça a changé la face du monde.
Les Monty Python n’avaient pas osé non plus attaquer la figure du Christ dans « La vie de Brian ». Le projet initial était de brocarder des épisodes du nouveau testament, mais ils n’ont pas osé car de leur propre aveu « Jésus était un type bien ». Ils ont réussi avec talent à se moquer non pas de la religion (n’en déplaisent à l’Irlande qui a interdit le film pendant 8 ans), mais des excès que la dévotion peut créer (le fameux : « Je n’ai pas de problème avec Dieu, mais avec son fan-club » [2]). Jésus, un mec bien, dont on peut accepter des représentations de la naissance dans nos mairies, sans y voir une marque de dévotion religieuse ? Pourquoi pas, après tout.
Feliz navidad, merry Christmas, fröhliche Weihnachten
Déjà, pour détacher Noël de toute référence religieuse, il faudrait en changer le nom. En effet, Noël vient du latin natalis qui signifie « relatif à la naissance ». Le navidad espagnol à une racine voisine. Le Christmas anglais signifie « messe du Christ », et le Weihnachten allemand « nuit sacrée ». Si les libres penseurs veulent désacraliser et retirer toute référence à la naissance du Christ à la fête de Noël, il va y avoir un travail sémantique important à faire…
Par-delà ce travail sémantique, il y a aussi l’argument des « racines Chrétiennes » de la France. Si cet argument est souvent galvaudé à force d’être balancé inutilement par divers néo-conservateurs, il fait sens sur les bords de la Méditerranée - et donc à Béziers - où la fête de Noël a souvent été remplie de traditions dont les crèches font partie [3].
Peste religieuse ou choléra consumériste ?
Enfin, une dernière question à nos amis libres penseurs. Souhaite-t-il vraiment que la fête de Noël ne soit ouverte qu’aux représentants de la société de consommation ?
Soyons juste, contrairement à une légende urbaine, le père Noël n’est pas une création publicitaire, même s’il en est devenu l’égérie. Mais moi qui suis non-croyant, non seulement la présence d’une crèche ne me dérange pas dans un lieu public, mais elle me semblerait essentiel pour éduquer mes enfants [4]. En effet, Noël est devenu une orgie où les parents se gavent de foie gras et ont tendance à gâter les enfants plus que de raison, ce qui peut parfois provoquer des jalousies de retour de vacances (sans compter que rien n’est probablement plus angoissant pour un parent que d’ouvrir la liste de cadeaux de sa progéniture en espérant qu’ils n’ont pas demandé au père Noël ce que le père banquier leur refusera). J’aimerais présenter une crèche pour pouvoir dire à mes enfants que peu importe ce qu’ils mangent, ce qu’ils reçoivent, un homme n’a pas eu besoin de naître dans le luxe pour devenir quelqu’un de reconnu comme « un type bien », même parmi ses opposants. C’est là tout le symbole d’une crèche à mon sens. Et il est complètement déconnecté d’un quelconque cadre religieux, même si je me doute bien que Robert Ménard n’en fasse pas la même interprétation. Qu’importe, je ne suis pas Robert Ménard, les Biterrois ne le sont pas non plus et vous, chers lecteurs, non plus [5].
[1] A ce sujet, je suis assez étonné de voir les catholiques, si prompts à avoir organisé des manifs pour tous, ne soient pas davantage mobilisés contre le travail dominical, qui impacte pleinement l’exercice de leur culte. La peur de voir Marie-Chantal défiler aux côtés de René le syndicaliste ?
[2] Citation qu’on peut trouver attribuée à Woody Allen sur le net, mais je n’ai pas de sources suffisamment fiables pour en être sûr…
[3] Surtout en Provence, où les santonniers sont réputés. Ironiquement, la fantaisie avec laquelle ils créaient des personnages annexes (outre les bergers, ils aimaient sculpter des représentants de diverses professions plus contemporaines venus adorer le Christ, comme des gendarmes ou des ramoneurs par exemple) leur a parfois valu des critiques acerbes de l’Eglise qui recommandait des crèches plus sobres : un papa, une maman, un âne et un bœuf.
[4] En conditionnel car – mode « Ma Vie » - je n’en ai malheureusement pas.
[5] Enfin, sauf si Robert Ménard vient en ses lieux. Au cas où : Joyeux Noël, Bob !
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