On ne meurt pas du Sida ...

Bref.
Il n’y a pas de hiérarchie possible en matière de souffrance. Elle est une, intime et indivisible.
On ne peut décemment pas comparer par des chiffres, bruts, un mal ou une maladie à une autre. Il n’y a qu’une seule vérité : c’est que l’on meurt du cancer, de la grippe saisonnière ou de la grippe A. De la tuberculose ou d’ostéoporose. Du cœur ou du diabète. On meurt même d’obésité ou de la faim. En revanche, on ne meurt pas du sida.
“Vous n’avez pas l’intelligence de votre maladie” [Marguerite Duras - “La Maladie de la mort”]
Il y a, je le sais, comme une contradiction à dire cela : “On ne meurt pas du sida”. Mais le dire, ce n’est pas opposer le sida aux autres maux. Ni le comparer. C’est dire une vérité. Parler d’une souffrance. L’évoquer, au moins. Sans vouloir l’opposer, ni la comparer à une autre. C’est juste un fait.
On ne meurt pas du sida, non ; on meurt d’un cancer - parfois foudroyant - de la tuberculose. On est emporté par une pneumonie, ou par une sale maladie broyant le cerveau, l’œsophage, la moelle épinière, les reins. On perd la vue, aussi.

Alors, il ne faut plus, ne faudrait plus parler de sida. Mais de cancers, de pneumonies, de tuberculoses. De carnage du corps. De quoi on meurt. Vraiment. Le sida n’existe pas. Puisque personne n’en meurt. Ni elle, ni Freddy Mercury, ni Arthur Ashes, pas plus Cyril Collard qu’Hervé Guibert ou Brad Davis. Et tous ceux qui n’ont rien dit. Qui sont morts des “suites d’une longue maladie”. Parce que voilà, “une longue maladie” c’est mieux, c’est plus correct. Pour les proches, les amis, la famille, l’honneur, ou/et la réputation sont saufs ! Même si ça fait mal, si mal à ceux qui restent, ce non-dit, à ceux qui restent, le virus planqué dans le sang.
Il faut parler de ce qui existe vraiment, donc d’immunodéficience humaine. De ce qui existe vraiment, et ne se voit pas, soit un état dit de séropositivité. Il ne fait pas (pas toujours) souffrir physiquement. Il vous condamne juste au silence - autre souffrance. Oui, au silence, car l’avouer, cet état, c’est prendre un risque trop grand. Perdre son travail. Sa famille, parfois. Quelques amis. Être exclu de toute vie sociale. Parce que le sida, le mot seul de sida, fait peur, qu’il est associé, aussi et surtout, à une “mauvaise vie”. C’est ainsi qu’on le présenta, n’est-ce pas ? Que faire contre ça, contre ce mensonge initial qui, de fait, condamnait celles et ceux qui, et peu importe de quelle façon, contractaient le virus ? Oui, peu importe de quelle façon, car qui sommes-nous pour juger de la vie de l’autre ? Serions-nous, des modèles de vertu, ô les belles oies blanches que v’là ?
Oui, c’est de séropositivité dont il faut désormais parler. De cet état. Il faut l’expliquer. Le comprendre. Sortir du silence. Tant c’est moins un slogan que la réalité : il tue, le silence.
La prévention, bien sûr, évidemment, toujours et encore de la prévention, mais que vaut-elle si jamais l’on ne parle de l’état de séropositivité et de ceux qui la portent ?
Parlons de ce qui est, le VIH, et ce dont on meurt, cancers, tuberculoses, grippes, et non plus de sida. Parlons de ce qui est, ce silence, l’état de séropositivité. Autrement, on ne mourra toujours pas du sida. On en crèvera.
42 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON