Opération 24 jours pour 24 enfants : Le Père Noël est une ordure et s’affiche avec la Chaîne de l’Espoir
Quelle fût ma surprise ce matin (le 4 décembre) lorsqu’au détour d’un tweet, je découvre la dernière opération de la Chaîne de l’Espoir. Cette Association humanitaire d’aide à l’enfance organise en effet du 1er au 24 décembre l’opération dite « 24 jours pour 24 enfants », sorte de calendrier de l’Avent où l’on découvre chaque jour jusqu’à Noël un nouvel enfant atteint d’une maladie et/ou nécessitant une opération chirurgicale que les dons des particuliers rendraient possible. Le but est ainsi de récolter 110 000 euros, soit 4 500 euros par enfant.
Mais alors que je m’apprêtais à relayer l’appel de cette association, mon étonnement est apparu au moment de découvrir les partenaires de cette opération : les Groupes Bolloré et Total. Si certains auraient pu trouver l’idée bonne – si tant est qu’il y en ait véritablement –, je doute néanmoins très fortement que ce choix de partenariat réalisé par la Chaine de l’Espoir soit judicieux, à moins qu’il ne relève d’une volonté manifeste de mépriser les enfants censés être les bénéficiaires de l’aide, auquel cas tout semblerait plus logique. Explication.
Commençons par ce qui est le plus amusant quant à ces partenaires particuliers, à savoir la description qui leur est donnée sur le site de l’association humanitaire. Je cite : « Présent partout dans le monde en exerçant des métiers très diversifiés et particulièrement au sein des pays émergents, le Groupe Bolloré, tourné vers l’avenir, mène unepolitique volontariste dans le développement durable ».
Quant à Total, « Grâce à sa politique active de mécénat, l’objectif du Groupe est d’agir contre les inégalités qui touchent les sociétés défavorisées, en particulier en matière de santé publique. Deux objectifs principaux dictent son action : la lutte contre les maladies infectieuses, au travers de la recherche et de la formation du personnel médical, et le soutien à l’enfance ». Le ton est donné : au-delà de l’objectif inhérent à toute société d’augmenter les bénéfices et donc les dividendes susceptibles d’être reversés aux actionnaires, les groupes Bolloré et Total se démarquent par leur volonté humaniste à soutenir et encourager les politiques de protection environnementale et médicale. Mais – et c’est là que les choses se corsent – qu’en est-il réellement ?
Le groupe Bolloré, non-content d’être le premier investisseur français en Afrique, est également responsable sur ce même continent de l’accaparement de terres sans qu’aucune compensation juste ne soit reversée, et est mêlé à d’innombrables affaires de corruption avec les gouvernements africains. Ainsi rien qu’au Cameroun, et avec la complicité du gouvernement de Paul Biya, le groupe Bolloré, à travers sa participation dans la Société camerounaise des palmeraies Socapalm, a pu s’approprier malgré l’opposition des communautés locales des centaines de milliers d’hectares de terres fertiles dont les paysans ont été expulsés. Citons Jean Ziegler* : « La Socapalm (…) a signé un bail de 60 ans sur 58 000 hectares de terres, en 2000. (…) Dans ce pays, les palmiers à huile détruisent des forêts primaires, aggravant encore la déforestation en cours depuis longtemps sous l’effet combiné de l’exploitation du bois et du défrichement. C’est que le gouvernement de Yaoundé soutient, depuis les années 1990, le développement de l’huile de palme par l’intermédiaire de ses compagnies d’Etats, la Socapalm, la Cameroun Development Corporation (CDC), la Compagnie des oléagineux du Cameroun (COC). Or, la forêt tropicale de l’Afrique centrale est la deuxième par la taille dans le monde derrière l’Amazonie et constitue un des principaux « puits de carbone » de la planète. Il faut savoir aussi que de nombreuses communautés dépendent de cette forêt et de sa riche biodiversité pour leur subsistance et comptent sur les produits de la chasse et de la cueillette pour leur subsistance. Du coup, ces communautés risquent l’anéantissement » **. En matière de « politique volontariste dans le développement durable », nul doute que l’on a déjà vu mieux.
Quant au groupe Total, cette célèbre et fière entreprise pétrolière française, celui-ci est présent notamment au Nigeria au coté d’autres sociétés pour exploiter les vastes réserves d’hydrocarbures dont dispose le pays. Mais cette exploitation n’est pas sans effet néfaste pour les populations locales. En effet, elle favorise dans ce pays qui regorge de ressources pétrolières la pauvreté des populations, notamment en raison de la corruption qui gangrène le pays à tous les niveaux de négociation mais également en raison des pollutions répétées sans que jamais les sociétés pétrolières n’aient procédé à un nettoyage des zones contaminées. Un rapport d’Amnesty International dédié à la pollution dans le delta du Niger est formel : « Les déversements d’hydrocarbures et de déchets et la combustion de torchères sont endémiques dans le delta du Niger. Plusieurs centaines de fois par an du pétrole est déversé dans la nature, et environ 2 000 sites contaminés ont été recensés par l’Agence nationale nigériane pour la détection et la réaction aux déversements de pétrole. Le nombre réel pourrait être bien plus élevé. Les activités liées à l’extraction du pétrole, notamment la pose d’oléoducs, la construction d’infrastructures et les travaux d’aménagement visant à rendre la région accessible par voie routière et par bateau, ont causé des dommages écologiques considérables au delta.
Les habitants sont contraints de se laver dans des eaux polluées et d’y puiser l’eau pour boire et pour cuisiner ; ils mangent du poisson – s’ils ont la chance d’en trouver encore – contaminé par les hydrocarbures et d’autres toxines ; leurs terres agricoles sont détruites ; après les déversements de pétrole, l’air qu’ils respirent empeste les hydrocarbures, le gaz et d’autres polluants ; ils se plaignent de troubles respiratoires, de lésions cutanées et d’autres problèmes de santé, mais leurs inquiétudes ne sont pas prises au sérieux et ils ne disposent de pratiquement aucune information sur les conséquences de la pollution ». Telle est l’action concrète des groupes pétroliers dont Total fait partie pour « agir contre les inégalités qui touchent les sociétés défavorisées, en particulier en matière de santé publique ». Rajoutons d’ailleurs que ce même groupe Total, a dépassé les 10 milliards d’euros de bénéfices en 2010 et n’a pas hésité au titre de l’année écoulée de reverser environ 5 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires. Pourtant depuis le 1er décembre, la Chaine de l’Espoir dont le partenaire privilégié est Total, n’hésite pas à nous sortir le grand jeu en appelant aux dons des particuliers pour récolter 110 000 €…
Force est donc de constater que le Père Noël cette année est véritablement une ordure, en n’hésitant pas à appeler aux dons plutôt que de compter sur l’hypothétique générosité de ses partenaires. Quand bien même en effet le cadeau promis par la Chaine de l’Espoir soit grandiose, il aurait certainement été plus judicieux d’éviter de berner tant les futurs enfants soignés que les particuliers crédules qui daigneront accorder un don à ce partenariat du plus mauvais goût.
* Premier rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation de 2001 à 2008, Jean Ziegler est aujourd’hui vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Dans son dernier ouvrage Destruction massive – Géopolitique de la Faim, Jean Ziegler procède à un nouvel état des lieux de la faim dans le monde, et dénonce plusieurs responsables parmi lesquels la spéculation bancaire sur les prix de l’alimentation ainsi que l’accaparement des terres au profits de compagnies agro-alimentaires.
** Jean Ziegler, Destruction massive – Géopolitique de la faim (Pages 277-278).
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