Origines et aspects méconnus de la conquête de l’Algérie. Partie N° 11 - Suite et fin
Le Déclin de l’Empire turc.
NB : Les extraits de texte que j’emprunte pour les besoins de cet article, ainsi que pour les articles précédents, à Charles-André Julien – professeur à la Sorbonne, « Histoire de l’Afrique du Nord – Tunisie – Algérie – Maroc – de la conquête arabe à 1830 » - Éditions Payot Paris – 1952 » sont retranscrits en italique, ou entre guillemets.
Tous les extraits de texte empruntés (avec son aimable autorisation) à la thèse de Pierre Gourinard, historien, professeur docteur en Histoire-Géographie, sont retranscrits pour les besoins de l’article, en italique ou entre guillemets.
Idem pour les autres sources.
Deux Régences en Afrique du Nord fondées par les Turcs.
L’une, Tunis pays de « vieilles civilisations », où la dynastie husseinite (hossaïnide) au fil du temps « était devenue une dynastie tunisienne » où les Beys et leur administration s’étaient parfaitement assimilés aux traditions du pays.
Pour l’Algérie, les choses sont différentes jusqu’en 1830, où les Turcs conquérants ne voyaient que la mer et tout ce qu’elle leur rapportait et se sont très peu intéressées au pays en lui même.
L’Algérie était un pays pauvre, « trop pauvre… pour conquérir son fier vainqueur ».
Les Berbères profondément attachés à leurs coutumes ancestrales, « avaient beaucoup moins d’affinités avec les Orientaux que les Orientaux arabisés de Tunisie ».
La France, tout en s’intéressant à la Régence d’Alger, observe tous les aspects de la question d’Orient, notamment celle du Liban. Une seule certitude, la décrépitude de l’Empire ottoman et sa disparition inévitable.
Le pouvoir despotique de la Sublime porte malgré quelques réformes n’ont d’autre but que de « cacher le cancer et d’en arrêter les ravages intérieurs… Les Turcs d’aujourd’hui [ écrit Louis Baudicour ] sont identiques à ceux des siècles précédents et il en sera ainsi tant qu’ils conserveront leur fanatisme qui les rend incapables de comprendre le sens de la liberté ».
Dans son analyse, Baudicour constate que l’Empire ottoman ne doit sa survie artificielle que grâce à une coalition des puissances européennes contre… la France ! Ses adversaires voudraient bien la voir éliminée de l’Orient.
La France et l’Église d’Orient.
La tâche des adversaires de la France, Anglais en tête, pour la discréditer auprès des populations orientales, s’avère plus rude qu’il n’y paraît de prime abord, car la France jouit d’un grand prestige en Orient.
Ce prestige s’apparente à une sortie de « protection morale sur les populations chrétiennes d’Orient des Monts Liban, de la Syrie, de Chypre.
« Le jour où l’Empire ottoman viendra à disparaître, la France deviendra un « phare civilisationnel », c’est ainsi que les choses étaient vues à travers cette partie du monde oriental, particulièrement dans les populations chrétiennes.
Louis de Baudicour n’y voyait que des avantages. Les missions en faveur des Chrétiens du Liban se multiplient, à travers les initiatives du père Azar, des Sociétés de Secours aux Chrétiens du Liban, des conférences de St-Vincent-de-Paul, etc.
Ce dont les « chevilles ouvrières » du grand projet d’installation en Algérie des Chrétiens maronites du Liban.
Un envoyé spécial maronite arrive à Paris en 1846. L’Emir Béchir (sous mandat turc) est renversé. Les Chrétiens du Liban exposent leurs doléances au roi de France. C’est le Révérend-Père Azar, Vicaire général du diocèse de Saïda qui va rencontrer le roi de France.
Il quitte Beyrouth en mars 1844 pour Paris, passe par Rome pour rencontrer le Pape Grégoire XVI et le roi Ferdinand II des Deux-Siciles. Le pape et Ferdinand II appuient les doléances des Maronites auprès de la France. Le père Azar cherche à se concilier des appuis diplomatiques pour aider le Liban.
Ferdinand II intercède auprès de l’ambassadeur de Russie à Naples sur le sort des Maronites.
Le Tsar se retranche derrière l’assentiment du Gouvernement français.
En 1846, le père Azar arrive à Paris. La Sublime Porte mise au courant de cette mission, en prend ombrage.
L’Archevêque de Saïda et le Patriarche maronite (Chef de l’Église maronite) ainsi que 336 Cheikhs procureurs des provinces du Liban demandent officiellement le retour de l’Émir Béchir (renversé) et le rétablissement de la principauté héréditaire du Liban.
Des Maronites établis en Algérie, est-ce réalisable ?
Louis de Baudicour, l’avocat Maître Baume de l’Académie de Marseille, Lacordaire, Montalembert, Joseph Coutin, etc.. oeuvrent dans ce sens. Mais ils se heurtent de la part du gouvernement Guizot, à un désintérêt, préférant laisser cette décision à l’appréciation du Gouvernement Général d’Alger. Ils ne montrent aucun empressement à la réalisation de ce projet. Baudicour, Falloux, jugent que « les Maronites seraient de précieux auxiliaires pour l’agriculture, tout en présentant des avantages sur les colons européens… »
Les Maronites parlent la langue arabe et s’associeraient aux Musulmans, sans que cela ne constitue un obstacle. Ils arriveraient d’autre part en Afrique avec une expérience de cultures spéciales en agriculture, que ne possèdent pas les Européens qui sont plus généralement céréaliers.
En écrivant cela, Baudicour pense à des cultures de type « exotiques » coton d’Egypte, soie, tabac, riz, ou bien méditerranéenne du sud,des oliviers, vignes en plus des céréales traditionnelles venant de France.
Baudicour pense que ces cultures développées par le savoir-faire des Maronites pourraient bénéficier à l’Algérie et à la France. La Métropole importe de l’étranger.
« L’administration algérienne… ne peut qu’accueillir avec bienveillance la culture du tabac et du mûrier... ».
Pour mener à bien ces projets, Baudicour demande à la France une aide pour les Maronites à installer à la Mitidja, pour qu’ils puissent se procurer, outils, semences et plants. Les Maronites seraient établis dans des zones sûres, contrôlées par les tribus musulmanes ralliées à la France. Ces tribus sont en majorité des « pasteurs ». Et les Maronites sont à la fois des pasteurs et des agriculteurs.
Baudicour et ses amis demandent au gouvernement de leur attribuer des territoires spécifiques à chaque espèce de culture.
Plaine ⟹ céréales, coton
Coteaux ⟹ oliviers et vignes.
Une partie des Maronites qui ne sont pas agriculteurs doivent être orientés vers le commerce et le développer pour « former un vaste réseau chrétien de langue arabe ».
La France et sa politique africaine.
La France, en s’isolant des cours du Nord de l’Europe aux intérêts antagonistes à ceux de la France, « renonce aux frontières du Rhin… Pour rester en paix avec la nation allemande, son alliée naturelle ».
Tout l’attache à l’Afrique. Baudicour, en tant que légitimiste fait allusion à la politique belliqueuse d’Adolphe Thiers envers l’Allemagne. (Nous sommes en 1840).
Par voie de conséquence, il faut maintenir la paix européenne, sans avoir recours à la révision des Traités de 1815. Les légitimistes considèrent que toute la politique européenne de la France, par ricochée, concerne toute l’Afrique du Nord.
Les dispositions favorables envers la France, de la part du Maroc et de la Tunisie, sautent aux yeux pour le Gouvernement français. Constat largement partagé dans les milieux diplomatiques en 1840.
Louis de Baudicour, plus sceptique, de son côté ne s’illusionne pas excessivement sur les « dispositions d’esprit des souverains marocains et tunisiens ».
Si la France doit maintenir sa prépondérance au milieu du « Vieux monde centré sur la Méditerranée, elle doit y exercer un arbitrage souverain ».
Echec du projet de Louis de Baudicour et de ses amis.
Le projet d’installation des Maronites en Algérie est abandonné, malgré l’approbation du Duc d’Aumale.
La Révolution de 1848 fait dire à Baudicour, amer : « En définitive, sous une forme un peu différente, les mêmes hommes étaient toujours au pouvoir ».
Le neveu du père Azar, lui, pousse un grand cri d’alarme. Les Chrétiens d’Orient – Syrie, Liban – sont sans cesse menacés, persécutés.
Voici ce qu’écrit le père Boguais de la Boissière : (extraits)
« … Le père Azard me dit que lui et ses compatriotes fondent de grandes espérances sur Mr de Baudicour… Je sais que les circonstances sont dans ce moment difficiles, mais précisemment, parce que le gouvernement se prépare à faire jouer à la France très chrétienne1, un rôle anti-chrétien. Il serait bien utile de tendre la main à ces pauvres Catholiques d’Orient, dont la situation est déplorable… Les Turcs se vengent sur eux de l’agonie de leur empire. Sans cesse les Chrétiens sont battus, insultés dans les rues… Ils ne peuvent comprendre que la France défende les Turcs – Pauvres gens ! S’ils savaient comment les marionnettes jouent en France, ils seraient bien autrement surpris… Ils ne compennent pas comment la France ne les fait pas protéger. »
Pourquoi la France ne protège pas les Chrétiens d’Orient ?
Pour ne pas intervenir en raison de la souveraineté de Constantinople sur le Liban et se mettre à dos les Turcs.
En réalité les Maronites n’intéressent pas le Gouvernement français. La raison en est très simple et dictée par la nécessité de ce dernier, de se débarrasser des opposants politiques, très nombreux après la révolution de 1848, en envoyant un contingent de Parisiens en Algérie. On trouve parmi ces opposants, des anti-libéraux, des "monarchistes", des libre-penseurs, etc. Tous les milieux sont représentés, depuis l’ouvrier, le paysan, les descendants d’aristocrates, l’artisan, des intellectuels, des membres du clergé. Le ministre de la Marine, en 1848 fournit des bâtiments pour leur transport.
1Souligné par le père Boguais.
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