Orthographe : qui légifère ? qui fait la police ?
Les Français ont un rapport singulier à la langue et à l’orthographe. En matière d’orthographe, le progressisme, c’est la conservation. Inversion remarquable. La langue y est prise comme un patrimoine, dont la beauté n’a jamais été aussi grande que maintenant et, à ce titre, ne peut être discutée.
Or, toute langue est autant un patrimoine que des modes de formations des mots, c’est-à-dire un « moteur ». C’est le moteur qui garde la langue vivante. Ce moteur fonctionne et nul ne peut l’arrêter, le freiner, le commander… C’est le peuple, au sens de tout le monde, qui le met en marche partout et tout le temps et des mots se créent, des mots étrangers entrent dans la langue française, des acronymes apparaissent... etc. Cependant, dans la plupart des discours sur la langue, les « règles » sont pratiquées comme si elles étaient de droit divin, éternelles, pas plus discutables que les textes sacrés (la parole de dieu) dans les théologies monothéistes.
Un des articles de cette loi absolue est : les lettres étymologiques, nombreuses en français, aident à la structuration de la pensée. Un esprit subtil, peu docile, qui tient à penser par lui-même, se demande pourquoi il y a un « e » à la fin de docile et qu’il n’y en a pas à la fin de subtil. Et en quoi connaître cette « raison » (historique) l’aiderait à structurer sa pensée ? Un auteur et un correcteur (il n’y en a plus guère) se disputent sur l’accord de « tel » dans : il est telle une rose. L’un veut accorder « tel » avec « il » et l’autre « telle » avec rose. Ils en viennent à la rupture. Se raccommodent le lendemain. Les deux conviennent que c’est l’auteur qui légifère. Il était là avant, il est la source. En bonne logique grammaticale, les deux accords sont possibles et il ne devrait pas y avoir de dispute. Certains trouvent justement cette dispute comme un bel exemple d’amour de la langue (moi qui ne voit pas de difficulté n’aimerais pas la langue ?). C’est là cette spécificité française étonnante et spécieuse.
Les débats s’organisent selon un mode « j’aime, j’aime pas » (les arrangements personnels) fondé sur une orthographe théologique. La question institutionnelle (Qui décide ? Qui sanctionne ?) n’apparait pas intéressante. Elle est en dehors du paradigme admis. Les enseignants du supérieur ont renoncé à corriger les erreurs d’orthographe, il y en a trop et les étudiants n’apprennent pas des corrections qu’on leur faits quand on leur en fait (ils continuent leurs erreurs). Cela parait une rétention de savoir, parce qu’on est jugés là-dessus et que les professeurs qui ont renoncé à cet apprentissage connaissent ce savoir et ne font pas d’erreur. Ils font partie de ceux qui pourraient surveiller l’application des règles. Mais c’est trop couteux en temps et ils ont des contenus à transmettre… Ils arbitrent du côté de la démission. Cela n’entre pas dans les débats. Dans les débats, il y a que : la règle est belle ; s’en dispenser est moche. Dans cette centration sur le patrimoine de la langue, des mots anglais prennent la place exacte de mots français, sans rien apporter (draft pour brouillon, level pour niveau… etc.) : ces mots empruntés ne sont pas dans le patrimoine, ils ne sont pas dans le champ ; le phénomène est invisible, on n’en parle pas, ils ne font pas problème. La défense et l’amour de la langue amèneraient à proposer que les mots étrangers entrant dans le français s’écrivent dans l’orthographe française (foute, Quatar…) IL n’y a pas d’attention au patrimoine qui entre.
Aucun, aucune sont en train de s’évanouir, remplacés par zéro (tolérance zéro par exemple). Il n’y a pas d’attention au patrimoine qui s’en va. N’est patrimoine donc digne d’intérêt que l’existant.
Quand on parle de ce sujet, arrive la question de la féminisation des mots. La thèse est que l’emploi du masculin comme neutre nuit aux femmes (les cache, les oublie, les méprise) parce qu’un mot féminin ne pourrait désigner qu’un être féminin. La girafe ? La baleine ? Balayé, ce sont des animaux. Je suis une personne. Désigné par un nom féminin, je reste un homme. Je ne suis pas un person. Ma femme est un individu et non une individue. Gérard Depardieu est une star…
On dit des mots, on ne dit pas des choses, les mots ont un genre, les êtres ont un sexe (parfois). Le français est autant que les autres une langue inclusive et on ne voit pas de différence dans les relations hommes-femmes dans les pays de langue anglaise, par exemple, où seuls les êtres sexués ont un nom genré, les autres étant neutres.
En ce domaine, bizarrement, la défense de la langue (patrimoniale) n’existe plus. L’école n’est plus un conservatoire.
Votre invitée à la radio est déclarée maitresse de conférences. Maitre de conférences est un titre pour enseigner à l'université. Un maitre de conférences n'est pas maitre de quelque chose qui s'appellerait une conférence (ce n'est comme un maitre-chien qui maitrise des chiens). Maitre de conférences pourrait s'écrire comme ça : maitredeconférence. Comme pomme de terre, c'est un seul mot (excusez l'audace, je fais de la grammaire), cela se comporte comme un seul mot. On peut dire maitresse-chiens pas maitresse de conférences.
Celles et ceux qui la veulent l’écriture dite inclusive pratiquent et déjugent fortement celles et ceux qui ne la pratiquent pas (ils légifèrent et sanctionnent). Ils sont dans une posture de toute puissance, l’imposent en montrant qu’ils ne cèderont pas (autant que tout le monde s’y mette tout de suite). Que l’apprentissage de l’orthographe épuise des millions d’heures de travail avec un résultat pas loin de 0 (notons-le puisque nous sommes à l’école en cette affaire), n’empêche pas certains de penser qu’une complexité imprononçable de plus est une bonne idée. Les élèves n’écrivent pas les pluriels des accords dans les définitions actuelles, Ils ressentent bien que si on ne le prononce pas, on n’a pas de raison de l’écrire. Rajouter des règles (à mon sens indues) a peu de chance d’obtenir le succès que n’ont pas les anciennes règles.
Il faudrait respecter cette réalité fondamentale : les mots et les choses sont dans un rapport arbitraire. Le mot rose ne sent pas la rose. La langue appartient à tout le monde, elle est immensément démocratique et les institutions devraient être souplement conservatrices. Elles notent ce qui se passent et, dans leur pratique, se réfèrent plutôt au passé (ne remplacent pas un mot français par un mot anglais, disent « texto » plutôt que SMS… par exemple).
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