Oui Monsieur le Président : la Pologne !
Deux candidats à une élection, fut-elle présidentielle, ne peuvent tout savoir, tout maîtriser. Il devient en cela risible lorsqu’un débat, virant au combat de coqs, devient une bataille de chiffres, projetée à ceux, parmi les français ayant le moins de connaissances en économie, qui choisissent en fonction de celui qui courbera le moins l’échine face à ses contradictions.
Dans cet exercice, mine de rien et malgré toute l’aversion pour ne pas dire –sur une tribune- la haine que je lui voue, Nicolas Sarkozy s’en est bien sorti :
Le chômage a augmenté 2 fois moins en France que dans le reste de l’Europe (ce à quoi Hollande n’a pas eu la présence d’esprit de répondre qu’il partait de bien plus haut qu’ailleurs), l’Allemagne fit les « réformes » que la gauche a combattues avant nous… L’argumentaire paraît difficile à contrarier. Mais c’est parce qu’en face, François Hollande n’a jamais eu qu’un but : s’attacher les français qui souffrent, malgré ces statistiques, outre ceux qui ont été choqués par le « style » de la présidence et ceux qui votent quoiqu’il arrive à gauche. En cela, Hollande a raison, cela fait suffisamment de français pour être élu.
Cependant, un épisode du débat doit couvrir de mélancolie et de résignation tout français à l’esprit ouvert, lisant régulièrement par exemple le Courrier International non-pas pour « faire genre », mais par anxiété de connaître le véritable sens du vent dans ce monde en pleine mutation.
N. Sarkozy : « Citez-moi un pays qui n’ait pas connu de récession depuis 2009 ?
F. Hollande - Euh… L’Allemagne a connu un trimestre mais sa reprise a été plus forte que la notre, comme celle des Etats-Unis.
N. Sarkozy – Oui mais en Europe, seule la France n’a pas connu la récession… »
Je relate approximativement l’échange, que je n’ai pas retrouvé en vidéo. Peu importe les phrases, dans le fond Sarkozy a faux lorsqu’il dit que la France n’a pas connu un semestre de récession, Hollande a bien sûr vrai lorsqu’il dit que l’Allemagne a connu une reprise plus rapide que nous, mais il a manqué une immense occasion de porter un « contre » politique dont les conséquences sur le débat auraient pu être énormes, un peu à l’image de certains points glanés par Rafael Nadal sur Roger Federer.
Qu’aurais-je répondu ? Rêvons un peu…
F Hollande : « Oui Mr le Président ! La Pologne n’a pas connu un seul trimestre en récession, comme la Suisse d’ailleurs mais ce pays ne fait pas partie de l’UE. La Pologne, pays que l’on a stigmatisé lors du referendum de 2005 puis l’élection de 2007 pour justifier des discours populistes ! »
N Sarkozy – Je n’ai pas le moyen de vérifier ici, mais la Pologne n’est pas dans la zone Euro.
F. Hollande – Vous m’avez demandé un pays d’Europe, pas de la zone Euro. D’ailleurs la Pologne a vocation à y entrer, et vous vous permettez de citer des pays hors de la zone Euro pour vos chiffres du chômage, comme le Royaume-Uni. Là-dessus, dois-je vous rappeler que certes, le chômage a plus augmenté outre-manche mais qu'il partait de deux fois plus bas qu’en France en 2007 ? Une augmentation de 120% dans un pays qui part de 5% de chômeurs, cela revient au même qu’une augmentation de 20% dans un pays qui comptait au départ 10% de chômeurs ! En cela vous pouvez me retourner le compliment en disant que le PIB de la Pologne est encore nettement inférieur à celui de la France.
N Sarkozy – C’est ce que j’allais dire, pourquoi cherchez-vous ce genre de comparaison avec un pays qui part de plus loin que nous ! D’ailleurs dois-je vous rappeler qu’entre 2005 et 2007 la Pologne fut gouvernée par la droite conservatrice, et dernièrement le chef du gouvernement de centre-droit a refusé de vous recevoir, vous laissant vous entretenir seulement avec le Président ?
F Hollande – Connaissez-vous la Constitution polonaise ? Elle accorde au Président des pouvoirs que je pense justes, qui devraient être attribués en France. De plus la Pologne part certes de plus bas, par son passé communiste, mais elle a échappé à la récession grâce surtout à une industrie bien mieux ancrée, elle est de plus mieux notée que nous en matière d’éducation et en politique étrangère depuis quelques temps, elle se comporte avec beaucoup plus de sagesse. C’est le seul pays d’Europe à vraiment se lever contre la dictature de Loukachenko en Biélorussie. Mais ça bien sûr, ça n’attire pas assez les caméras pour qu’on s’en occupe en France !
N Sarkozy – C’est complètement faux, la France a voté les résolutions de sanctions contre son pays Mr Hollande, et votre ami Mélenchon s’y est opposé !
F Hollande – Ce n’est pas mon ami et je n’ai pas dit cela. J’ai dit qu’en matière de politique étrangère, dont nous parlerons tout à l’heure, vous vous posez en Président volontaire, expérimenté et ayant la stature mais en réalité vous ne réagissez qu’en fonction de l’actualité et les courbes de sondage. Mme Merkel, dont vous vous réclamez sans cesse la complémentarité, a mis 2 ans à vous appréhender. Je n’ai pas peur du débat sur ces questions de politique étrangère.
D Pujadas – Oui s’il vous plait Messieurs, restons-en à l’économie et la zone Euro. »
Qu’il est doux de rêver d’un débat de ce niveau, de voir Sarkozy surpris sur son propre terrain, de voir le soir du 6 mai non-pas une « belle victoire de Hollande et de la gauche » à 53 ou 54% comme le commenteront naïvement bien des journalistes, mais la méthode Sarkozy complètement mise en déroute par une victoire à plus de 60% de Hollande, non-pas par adhésion ouverte, mais par la conscience collective que sur presque tous les sujets, le clan Sarkozy a précipité la France sur des sables mouvants et la solution proposée est de gesticuler comme un fou.
Ce résultat ne préfigurerait en rien le résultat des élections législatives. Sur les ruines du Sarkozisme, la partie de la droite républicaine ayant votée pour Hollande se seraient reconstituée. La partie venant de la gauche de l’électorat de Marine Le Pen, sensible aux visions d’esprits agités comme Alain Soral aurait peut-être regagné les rangs de la gauche, sensible aux attaques de François Hollande sur l’Atlantisme de Sarkozy.
Au lieu de ça, le statu quo va prédominer Hollande va être élu assez confortablement mais mollement parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde, au FN, au Modem, et même dans celui des marchés qui l’ont déjà anticipés, tandis que les belles âmes écologistes ou anticapitalistes sont persuadées qu’il faut « virer Sarko » en attendant la révolution (alors qu’un véritable esprit tordu, comme Limonov appelant à voter Eltsine en 1996, voterai pour le pire, parce que plus on s’enfonce mieux c’est pour la vraie Révolution). Puis la droite va se prendre une débâcle historique aux législatives, puisque le FN va mettre des bâtons dans les roues de l’UMP dans au moins 300 circonscriptions tandis que la gauche bénéficiera du vote résigné qui suit la « vague », comme l’UMP en 2002. C’est là la conséquence la plus évidente, mais dont personne ne parle, de la supercherie de l’idée de l’élection uninominale à 2 tours pour les législatives, organisées dans la foulée d’une élection présidentielle et offrant un mandat exactement égal au mandat présidentiel.
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