Paidoyer pour une collaboration pacifique entre l’Europe et l’Ukraine
La signature d'un accord récent de coopération entre Gasprom d’une part et EDF conjointement avec ENI (1) d’autre part, montre à lui-seul l’aberration de la politique de sanctions qui toucherait un Etat continent vers lequel convergent les intérêts d’une Europe en mal de croissance. En plus d’être un des principaux débouché pour l’industrie automobile allemande et son industrie chimique Bayer, BASF), la Russie représente un marché très important pour les multinationales américaines comme PepsiCo, Ford ou GM. (2)
Les accords de collaboration sont tels entre les acteurs industriels de l’Est et de l’Ouest, que les entreprises et les banques russes sont fortement engagées dans de accords de financement par l’émission de dette court terme achetées par les banques US et européennes à hauteur de 700 milliards de dollars. La Russie devrait faire défaut sur cette dette, si elle ne peut pas être refinancée, faute d’accès au crédit US et européen.
Autant dire que les politiques marchent sur la tête, en faisant fi des réalités économiques dans l’espace eurasiatique, qui a vu la collaboration bondir entre les géants du commerce international et les grandes entreprises russes. Nul besoin de préciser qu’ajouter un nouveau trou dans la caisse des banques privées et priver l’industrie occidentale de débouchés indispensables à la croissance, tellement recherchée par nos politiques, revient à se tirer une balle dans les deux jambes.
Force est donc de reconnaître que nos politiques servent des intérêts étrangers à ceux des populations européennes, se disant sans doute que la fiat money peut éponger tous les déficits, y compris la spéculation sur l’effondrement des marchés, suite à la fermeture du marché russe pour des raisons de police externe menée par la communauté internationale mettant au pas les récalcitrants à la domination du dollar.
On ne peut expliquer autrement cet acharnement suicidaire dans une confrontation ouverte avec la deuxième puissance nucléaire mondiale – alors même que le conflit syrien perdure en causant des dizaines de milliers de victimes – que par la volonté d’écraser dans l’oeuf l’union eurasiatique en pleine formation, à l’heure où est finalisé le traité transatlantique dont la gouvernance doit supplanter l’organisation commerciale et juridique pilotée par Moscou avec ses voisins de l’union douanière de la CEI coupant par le milieu le nouvel ordre mondial euratlantique qui voudrait bien rejoindre la Chine par le contrôle des voies de communication et des circuits énergétiques traversant l’immense espace sibérien et caucasien. Dans le même ordre d’idée, la "communauté internationale" menée par les Etats Unis veut éviter par tous les moyens la mise sur pied d’un système de financement indépendant du dollar et de ses relais bancaires. Les initiatives récentes de Poutine ne pouvaient que déplaire qui avait projeté, de concert avec les BRICS, la création de banques de financement et de fonds de secours destinés à pallier le manque de liquidités, du par exemple au retrait des capitaux américains se réfugiant dans les actifs US réputés non risqués parce libellés en dollars, lorsque la bulle du crédit causée par la spéculation sur la dette émise par les banques américaines est sur le point d’éclater pour cause de "surchauffe". (3)
Jusqu’à présent la lutte est menée en Ukraine par des forces spéciales interposées qui empêchent les forces pro-russes de prendre le contrôle des bâtiments administratifs dans l’Est de l’Ukraine et la création de milices paramilitaires auxquelles sont distribuées les armes légères prélevées sur les stocks de l’armée en Ukraine de l’Ouest. (4)
Le scénario qui se dessine en Ukraine ressemble en tous points à celui de la guerre civile yougoslave lorsque l’armée régulière s’est confondue avec les gardes nationales formant l’embryon des nouvelles armées des Etats faisant sécession, tels la Croatie, la Slovénie et le Kosovo se détachant de la Serbie. Cet armement subreptice de la population désoeuvrée, en mal d’idéal pour lequel se battre et mourir, est un véritable crime contre l’humanité car il jette les bases d’une guerre de guérilla durable qu’il sera difficile d’arrêter, sans l’envoi de forces de paix multinationales. Les multiples précédents en Afrique et au Moyen Orient ont amplement montré à quels désastres pouvaient mener ce genre de situation.
Il serait encore temps de mettre un terme à cette machine infernale en voie de déclenchement, par un appel à la raison des forces en présence, tellement l’Ukraine est pourvue de richesses multiples (manganèse, charbon, fer, blé, etc) suffisant amplement à la remise sur pied de son économie, pourvu que l’appareil d’Etat soit assaini et que des organes de gestion indépendants des oligarques soient mis en place pour leur mise en valeur en contrepartie des financements internationaux garantis non par la dette bancaire, mais par des emprunts basés sur la croissance future due à la restauration des actifs financés. L’exemple de la transition économique des ex-pays du Comecon, Tchéquie, Pologne, Hongrie, etc devrait servir de modèle à la mise en place d’organismes de supervision doublant l’administration nationale (cf. le rôle joué par la Treuhandgesellschaft en ex-RDA), le temps que des nouvelles élites nationales soient formées pour prendre la relève de l’ancienne classes dirigeante trop corrompue. C’est à l’Allemagne et à l’Union européenne qu’il reviendrait de prendre la tête de cette politique audacieuse de transition, sans laquelle il n’y pas de sortie du marasme possible pour une population exsangue, dont l’abandon la précipite dans des voies guerrières sans issue, condamnant l’Ukraine à suivre la voie tragique ouverte par la Syrie en pleine déliquescence économique et sociale. Que l’on songe un seul instant aux millions de réfugiés qui vont déferler sur l’Europe de l’Est ! Peine perdue, tout est sacrifié, même la croissance, aux intérêts sectaires qui gouvernent nos dirigeants européens et américains.
Au lieu de mettre en commun les forces respectives de deux blocs naturellement faits pour s’entendre, on s’achemine vers un scénario de guerre froide à coup de sanctions économiques débouchant sur la paralysie des échanges concernant aussi bien les personnes physiques par la suspension des visas que les entreprises ou les banques privées des financements offerts par les places financières occidentales se livrant à une attaque en règle contre les actifs russes (cf. la chute impressionnante des indices russes et le retrait aussi impressionnant que soudain des capitaux étrangers). La réaction naturelle de Poutine serait de fermer la Bourse, mais cela ne suffira pas à endiguer la chute du rouble contre les principales monnaies ni l’arrêt des financements par la dette émise par les banques occidentales.
Avouons cependant que l’occasion serait trop belle pour être manquée, de prouver qu’il est possible de se passer des fiat money occidentales, surtout au moment où la Chine est exposée elle-même au dégonflement de la pyramide de dettes crées par le shadow banking, pour suppléer aux déficiences de financement de la spéculation par le secteur bancaire réglementé ne sachant pas fournir les liquidités permettant l’enrichissement rapide des investisseurs dans des fonds à haut rendement alimentés par l’achat des emprunts titrisés dont les banques publiques souhaitent se débarrasser.
Autant dire, que du côté chinois, comme du côté russe, on est face à une problématique d’assainissement du secteur financier gangrené par les mauvaises pratiques apprises des banques de marché anglo-saxonne, comme Goldman Sachs ou JP Morgan expertes dans l’art de créer des produits d’investissement bidon mais offrant des perspectives de rendement élevé pour les élites positionnées aux points d’accès de la liquidité bancaire. (5)
Les Russes ont annoncé la couleur en retirant massivement leurs avoirs bancaires des établissements occidentaux et en transférant leurs bons du Trésor américains depuis la FED vers un conservateur de titres offshore, afin d’éviter de probables saisies des actifs financiers russes. Une alliance avec la Chine serait tout indiquée pour la Russie privée de ses moyens d’accès aux marchés financiers occidentaux pour mettre sur pied un nouveau système monétaire gouvernant les relations financières avec ses partenaires eurasiatiques. Signalons à ce sujet que la Chine s’est engagée dans de ambitieuses réformes libérales de ses marchés financiers visant à développer les centres offshore, HongKong et Londres notamment, pour l’émission de moyens de paiement libellés en Renminbi, produits de dette, ou produits dérivés classiques (taux, devises, equity), afin de suppléer à l’épuisement ou au manque de fiabilité des moyens de paiement en dollars qui deviennent par trop capricieux en ces temps de sanctions généralisées qui dérangent le fonctionnement normal de la globalisation fondée sur le libre-échange et l’intégration des monnaies nationales. Le moment semble également tout trouvé de créer une nouvelle monnaie d’échange et de réserve basée sur un étalon de valeur fixe, afin de mettre un terme à la manipulation du prix des actifs par les banques qui occasionnent régulièrement des crises de désendettement suivant des périodes de fausse croissance alimentée par la spéculation à court terme.
La Chine est très consciente de ses fragilités causées par le système de la monnaie dette et le centralisme démocratique excessif, ce qui l’incite à trouver des solutions de contournement par rapport aux scénarios classiques des plans de relance du FMI ou de la Banque mondiale qui font l’étalage de leurs défauts en matière d’enrichissement déséquilibré de la population et des faiblesses structurelles d’un système trop dépendant de politiques de relance par la dette en provenance des grandes entreprises ou des grandes banques de marché. L’urgence qu’il y a à se démarquer du modèle occidental de développement copié par la Chine en accéléré devrait donc précipiter les changements en cours, dans le sens d’un affranchissement du système monétaire en dollar et d’un basculement du commerce vers les BRICS, dont l’Eurasie est la pièce maîtresse (6), à moins que le monde ne bascule dans une nouvelle guerre mondiale qui mettrait un terme à son existence civilisée.
(1) http://www.ft.com/intl/cms/s/0/ffea2660-ab9e-11e3-aad9-00144feab7de.html#axzz2w35O3rtV
(4) http://rt.com/news/arms-stolen-ukraine-threat-006/
(5) https://www.youtube.com/watch?v=kukKpqd_B2c
(6) http://investmentwatchblog.com/russia-china-already-dumped-billions-of-fiat-paper-dollar-euro/
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