Pakistan : le cycle des tourments
En octobre dernier, nous étions au Pakistan avec l’équipe de Médecins du Monde. Installée en urgence en 2009 pour apporter un soutien aux déplacés de la vallée de Swat, chassés par l’offensive militaire du gouvernement pakistanais contre les talibans, elle s’était déployée en août 2010 pour soutenir les victimes des inondations. Six mois plus tard, c’est l’occasion de revenir sur une catastrophe dont les effets se feront longtemps ressentir et un dispositif humanitaire dont la mobilité et l’adaptabilité font la force.
Sur la route de Peshawar
Pour l’heure, le tapis d’asphalte se déroule au milieu de la plaine de l’Indus. La rivière sacrée est aussi large que son débit est faible. On distingue quelques bras d’eau au milieu de langues de terre. Difficile d’imaginer la colère du fleuve quelques semaines plus tôt. Arrivés dans le district de Swabi, là où MDM a sa plus grande base locale, Gaëlle et Karen couvrent leurs cheveux d’un dupatta, le foulard traditionnel. Même volonté de respecter les coutumes locales du côté des hommes : à l’image de leurs collègues pakistanais, les personnels internationaux revêtent le chalwar kameez, longue tunique recouvrant un pantalon.
Baptême du feu
Visiter la base de Swabi, c’est revenir aux origines du dispositif humanitaire souple et réactif que MDM a déployé depuis un peu plus d’un an dans la province du KPK.
Tout commence en juillet 2009. Depuis quelques semaines le district de Swabi voit affluer des centaines de milliers de déplacés via le district de Buner, zone tampon avec le district de Swat. Là, deux mois plus tôt, l’armée pakistanaise a lancé une vaste offensive contre les insurgés talibans, provoquant un déplacement de populations estimé à 2,5 millions de personnes. Elles sont accueillies dans leur grande majorité par les habitants de Swabi et Buner au nom du code de l’hospitalité pashtoune, le pashtounwali. Mais cette rencontre entre des populations fragilisées par le déracinement et d’autres vivant dans un équilibre déjà précaire exerce une forte tension sur les structures de santé situées dans les zones d’afflux des déplacés. MDM lance alors une mission d’urgence afin de venir en appui à ces populations.
La maturation d’un dispositif
Peu à peu, à partir de Swabi, MDM s’installe dans cette province du KPK où il n’est pas facile d’être une ONG occidentale. Mais l’association joue la discrétion, met en avant son travail pour les populations, s’appuie sur une équipe en grande majorité pakistanaise. Nul travestissement dans cette attitude qui correspond pleinement à la philosophie développée dans ce projet : faire avec les gens du pays, en particulier, comme c’est le cas au Pakistan, lorsque les compétences existent. Alors le dispositif s’étend en fonction des besoins. C’est d’abord une clinique mobile mise en place en juillet 2009. Elles seront quatre à la fin de l’année. Une cinquième est ouverte dans le district de Kohat en mars 2010.
À chaque étape, il faut convaincre : « Cela prend du temps, cela se fait village par village, mais c’est la seule façon d’agir pour atteindre les populations vulnérables tout en garantissant notre sécurité », explique Marc Van der Mullen, le coordinateur général. Comme lorsqu’une jirga – une assemblée traditionnelle de la communauté – est organisée afin d’expliquer qui est MDM et ce que veut faire l’association. Cette méthode de travail a plu au Dr Harif qui a rejoint l’équipe de Swabi en septembre 2009 : « Ce que j’ai trouvé tout de suite intéressant, c’est la manière de travailler de MDM, comment ils choisissent les zones où ils vont s’installer, comment ils identifient les besoins et comment ils négocient avec les populations et les autorités locales pour être acceptés. »
L’épreuve de l’eau : la réponse aux inondations
Jusqu’en juillet 2010, donc, l’action des cinq cliniques mobiles est orientée vers les soins aux déplacés et à leurs accueillants. C’est alors que surviennent les inondations. Une urgence dans l’urgence en somme. « Ce fut terrible, reprend le Dr Harif, les abords de
Les districts mitoyens de Nowshera et Charsadda sont à quelques encablures de
Afsar Khan, le vieil homme de Misri Banda, continue : « Ce n’est que quatre ou cinq jours après que nous avons vu arriver les autorités. Mais c’est Médecins du Monde qui nous a permis de soigner les infections de peau provoquées par toute cette eau et cette boue. Aujourd’hui encore, alors que nous sommes en train de reconstruire le village, ce sont les ONG qui nous aident, pas le gouvernement. » Dans le centre de santé, les consultations ne désemplissent pas : cent trente personnes par jour, en moyenne, se pressent à l’entrée. Les maux sont souvent les mêmes : des infections respiratoires qu’il faut contenir avant l’arrivée du froid, des infections cutanées comme la gale provoquées par la pénurie d’eau.
Dans ce hameau sur les bords de
Aux portes des zones tribales
Rallier la ville de Kohat, capitale du district du même nom, c’est approcher encore un peu plus de ces fameuses « zones tribales », objet de toutes les attentions et de toutes les craintes. De fait, bien que le trajet par la route prenne six heures aller-retour, nous le ferons dans la journée : il est fortement déconseillé à des expatriés de passer la nuit sur place.
C’est dans la province orientale du Penjab, contiguë à celle du KPK, que se déroulera l’essentiel du trajet. À voir les champs qui bordent la route, on comprend que la nature a tôt fait de tirer parti des pluies diluviennes : sous le soleil ardent, un tapis vert recouvre peu à peu la terre. À intervalles réguliers, des enclaves rougeâtres au milieu desquelles s’élèvent de hauts fours : ce sont des fabriques de briques, comme celles qui font tant défaut aux populations dont les maisons ont été détruites par les inondations. Sur de grandes surfaces, les exploitants creusent le sol, en abaissant parfois le niveau au-dessous de celui des routes. Une excavation permanente qui n’est peut-être pas sans lien avec le fait que les eaux aient submergé 20 % du pays.
Peu à peu, la plaine cède la place à des paysages vallonnés, à de la moyenne montagne, à des vallées encaissées comme celle où l’Indus creuse son lit. Le pont Khushal permet de l’enjamber. Construit par les Anglais à la fin du XXe siècle, l’édifice en acier, style Eiffel, reste le seul point de passage entre les provinces du Penjab et du KPK. Au plus fort des inondations, alors que les eaux léchaient son tablier, le pont fut fermé. Aujourd’hui, la rivière sacrée s’écoule, peut-être vingt mètres en contrebas. Paisible. De l’autre côté, c’est le district de Kohat.
Mêmes causes, mêmes effets
L’arrivée dans la ville de Kohat se fait en toute discrétion, en évitant le centre-ville. La voiture s’engouffre dans
Comme pour ses devancières, ce sont les opérations militaires menées par l’armée pakistanaise contre les insurgés talibans qui ont motivé cette installation. Car ici, comme au nord, ces opérations ont provoqué le déplacement des populations civiles : cent trente-cinq mille personnes auraient fui la province voisine appelée FATA (Federaly Administrative Tribal Area) pour se réfugier dans celle du KPK, en particulier dans le district de Kohat. L’offre de soins, proposée aux déplacés, tout comme aux populations qui les accueillent, comprend des consultations curatives, pré et postnatales, la vaccination, un dépistage nutritionnel et la prise en charge des enfants malnutris, des soins infirmiers, une réhydratation orale, une surveillance des risques épidémiologiques, la fourniture et l’approvisionnement en médicaments et de l’éducation à la santé.
C’est ce dispositif qui a permis à l’équipe d’être opérationnelle lorsque, cet été, les inondations ont affecté le district de Kohat. Même travail de soins apportés aux populations souffrant d’infections respiratoires et de maladies dermatologiques. Mais ce sont les cas de diarrhées, avec les risques de déshydratation et surtout la crainte d’une épidémie de choléra qu’ils impliquent, qui ont justifié, en lien avec les autorités sanitaires pakistanaises, l’ouverture d’un centre de traitement des diarrhées d’une capacité de quarante lits d’hospitalisation. « La promiscuité, les eaux souillées et le non-accès à l’eau potable étant des vecteurs de maladies intestinales, les cas de diarrhées ont doublé depuis le début des inondations », expliquait alors Marc Van der Mullen, le coordinateur général.
Une priorité : des soins en adéquation avec les besoins
Un mois et demi plus tard, ce dispositif a rempli son office. Lorsque nous arrivons à Kohat, c’est pour entériner sa fermeture. Marc Van der Mullen et Frédéric Penard, le responsable du « Desk urgence » à MDM, rencontrent les représentants des autorités sanitaires. À l’heure du bilan, chacun se montre satisfait : le centre a traité plus de deux mille cas, dont près de trois cent soixante sévères et le spectre d’une flambée de choléra est écarté.
Le plus délicat, sans doute, est d’expliquer aux membres pakistanais la fin de ce dispositif. Totalement investis dans cette mission, ils ont vécu durant plusieurs semaines une aventure importante. Et même si l’équipe a pris soin d’aider la plupart à se reclasser, certains perdent également une source de revenus. Marc et Frédéric expliquent que ce centre n’avait pas vocation à se pérenniser et que MDM fonde son action sur les besoins des populations. Il est cependant important de garder le contact avec ces personnels que l’association sollicitera en cas de nécessité. De fait, on aura bientôt besoin de certains d’entre eux…
Revenant sur ces inondations, Frédéric Penard expliquait alors : « C’est une catastrophe qui, en dehors des morts bien sûr, a moins fait de blessés que de mal-logés qui désormais sont susceptibles de connaître de graves problèmes de santé. Désormais notre urgence est là : leur proposer des soins de santé primaires afin que leur situation ne s’aggrave pas. »
Six mois plus tard
A la fin du mois d’octobre 2010, l’hiver commençait déjà à s’annoncer. De fait, comme souvent dans ce pays de montagnes, il aura été rude. Nombreux étaient les sinistrés qui n’avaient toujours pas retrouvé de toit. Ils auront été heureusement soutenus par des ONG qui leur ont distribué des « winter kits » et les ont aidés à construire des abris de fortune. Après trois mois d’activité, les deux équipes mobiles mises en place par Médecins du Monde sur les deux districts de Nowshera et Charsadda ont arrêté leurs activités, relayées par d’autres ONG internationales médicales. Avant de partir, MDM a fait une donation d’équipements médicaux et réhabilité entièrement les locaux des centres de soins des villages d’Agra Paya et Misri Banda, là ou Afsar Khan nous avait raconté l’épreuve endurée par lui et les siens.
Désormais,
Il faut néanmoins compter avec la crainte inspirée par les talibans : alors que MDM avait lancé la réhabilitation de locaux et commencé à recruter une équipe, après avoir discuté longuement avec les doyens des communautés, ces derniers ont subitement fait marche arrière : « Les ONG sont toujours très mal perçues par les militants [les talibans], soupçonnées de vouloir convertir la population, dévoyer les femmes, d’être des suppôts des Etats- Unis. Les doyens craignaient d’être pris pour cibles s’ils acceptaient la présence de MDM », raconte Gaëlle Bos, la coordinatrice administrative de
Finalement,
Au Pakistan, Pays des purs, pays maudit, c’est comme si le cycle des tourments était appelé à ne jamais s’achever.
Extrait de la revue Humanitaire n°28 - Sahel : danger de désert humanitaire ? - mars 2011
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L’auteur
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