Paléontologie : découverte d’un nouveau Ichthyosaure
Au mois de mai 2020 un père et sa fille arpentent l’estuaire de la Severn dans le Somerset (Angleterre) à la recherche de fossiles, quand leur attention est attirée par un os long partiellement enseveli dans un talus de boue sur Blue Anchor beach. Les paléontologues vont en excaver 12 fragments d'une mâchoire mesurant deux mètres de long. Paul de la Salle, un amateur de fossiles, avait déjà découvert en 2016 sur la plage Lilstock, des fragments de la mâchoire inférieure gauche long d'une soixantaine de centimètres appartenant à un Ichtyosaure. Les deux os assemblés s’emboîtent parfaitement et correspondent aux surangulaires droit et gauche. « Le surangulaire, un os long et courbé situé au sommet de la mâchoire inférieure, juste derrière les dents, est présent chez la plupart des vertébrés à l’exception des mammifères. Les muscles attachés à cet os génèrent la force de la morsure. Chez le T. rex, le surangulaire mesure plus d’un demi-mètre de long. Celui découvert par Ruby et son père s’étendant sur plus de deux mètres témoigne non seulement de la taille immense de l’animal, mais également de sa puissance de morsure considérable » (Waldron).
Les auteurs de l'étude publiée le 17 avril 2024 ont comparé ces os fossilisés avec ceux d'un Ichyhosaure shonisaurus de 21 mètres de long découvert en 2004 en Alberta (Canada). Les deux surangulaires étant plus grands de 20 %, ils ont conclu que l'animal devait mesurer 25 mètres et l'ont baptisé « Ichthyotitan severnensis » (lézard-poisson géant de la Severn). Les analyses indiquent que le « spécimen vieux de 202 millions d’années était encore en pleine croissance au moment de sa mort ». Les Ichtyosaures auraient atteint leur taille XXL en 3 à 5 millions d’années d’évolution, ce qui est peu au regard des autres animaux. Il a fallu près de 50 Ma aux baleines pour atteindre leur taille actuelle.
Il y a 300 Ma (temps géologique) il n’y a qu’un seul continent, la Pangée, entouré de l'océan Panthalasique. Une partie de l'Europe méridionale est recouverte par une mer et le climat de la Terre est divisé en zones glaciales, tempérée, équatoriale. Les continents sont sans prédateurs et la mer peuplée de méduses, étoiles de mer, oursins, ammonites, éponges et poissons, certains cuirassés.
Les Ichtyosaures ont apparu sur Terre il y a 250 millions d’années (20 Ma avant les dinosaures) et y ont vécu pendant 160 Ma avant de disparaitre il y a 90 Ma, soit 25 Ma avant les dinosaures. Les scientifiques ont répertorié près de 80 espèces d’ichtyosaures, et leur classement parmi les reptiles marins fait l’objet de vives controverses. Notre sujet d'intérêt concerne l'ère mésozoïque (secondaire) qui comprend : le Trias qui a débuté il y a 225 Ma et a duré 30 Ma - le Jurassique 195 Ma et duré 60 Ma - le Crétacé a débuté il y a 135 Ma et a duré 70 Ma. Les Ichtyosaures, plésiosaures, nothosaures et mosasaures se partagent alors le sommet de la pyramide alimentaire.
Les premiers ichtyosaures découverts au début du XIXe siècle (étudiés par Blainville, Owen et Cuvier) ont été popularisés par les livres de Louis Figuier : « Les créatures extraordinaires qui portent le nom d’ichthyosaure présentent des dispositions et arrangements organiques qui se rencontrent dispersés dans certains ordres ou dans certaines classes de nos animaux actuels, mais qui ne se voient jamais réunis dans aucun. En effet, les ichthyosaures possédaient à peu près le museau d’un marsouin actuel, la tête d’un lézard, les dents d’un crocodile, les vertèbres d’un poisson, le sternum de l’ornithorynque et les nageoires de la baleine ».
Jules Verne semble s'en être inspiré pour Voyage au centre de la Terre (1864) : « J’aperçois l’œil sanglant de l’ichthyosaurus, gros comme la tête d’un homme. La nature l’a doué d’un appareil d’optique d’une extrême puissance et capable de résister à la pression des couches d’eau dans les profondeurs qu’il habite. On l’a justement nommé la baleine des sauriens, car il en a la rapidité et la taille. Celui-ci ne mesure pas moins de cent pieds, et je peux juger de sa grandeur quand il dresse au-dessus des flots les nageoires verticales de sa queue. Sa mâchoire est énorme, et d’après les naturalistes, elle ne compte pas moins de cent quatre-vingt-deux dents. Le plésiosaurus, serpent à tronc cylindrique, à queue courte, a les pattes disposées en forme de rame. Son corps est entièrement revêtu d’une carapace, et son cou, flexible comme celui du cygne, se dresse à trente pieds au-dessus des flots ».
Les Ichtyosaures étaient vivipares et se rapprochaient des baleines. La femelle mettait bas sa progéniture la queue en premier pour éviter qu'elle se noie pendant la délivrance. On suppose que le petit libéré était poussé ensuite par sa mère afin de rejoindre la surface et y prendre sa première goulée d'air. Le diamètre de l’œil d'un spécimen adulte pouvait atteindre 26 cm, autant que celui des calmars géants qui vivent à grande profondeur. Les Ichtyosaures différents des cétacés même s'ils présentent des ressemblances communes. L'évolution convergente (homoplasmie) à l'origine d'une adaptation ne signifie pas que les animaux en ont hérité. La plupart des Ichtyosaures avaient un corps fusiforme et se propulsaient à la manière des thons (nage thunniforme).
Les Ichtyosaures ont dominé les océans au début du Mésozoïque (252,2 Ma) jusqu'à la fin du crétacé (env 66 Ma). Il y a 80 millions d'années, la surface des terres émergées représentait la moitié de celle d'aujourd'hui. « Les sédiments dans lesquels les fossiles ichtyosaures ont été trouvés comportaient des traces de forte activité sismique et de tsunamis, suggérant que l’espèce a vécu pendant une période d’activité tectonique intense qui aurait pu conduire à l’extinction de masse de la fin du Trias ». Les reptiles proches des crocodiliens, peu répandus au secondaire, ont continué à se perpétuer.
Le géologue écossais James Hutton avait remarqué que certaines roches sédimentaires ont été formées par le dépôt de particules minérales au fond des océans et qu'elles se sont souvent agglomérées les unes aux autres. Les roches sédimentaires (Argile, Brèche, Calcaire, Congloméras, Grès) constituent près de 75 % de la surface de la Terre. « Un fossile c'est ce qui subsiste dans une roche d'une plante ou d'un animal ayant vécu aux temps géologiques. Tous les animaux ou toutes les plantes ne se transforment pas toujours en fossiles ». Les fossiles deviennent plus nombreux au Cambrien (600 Ma). Cela s'expliquerait par leur abondance et par la présence d'une carapace ou d'une coquille protectrice (Trilobites, Ammonites, Bélemnites, etc.). Le phénomène de fossilisation n'est pas si fréquent. Il faut réunir plusieurs conditions physico-chimiques favorables et pendant un certain laps de temps pour qu'un organisme puisse se conserver : « dépôt, transport - putréfaction - décomposition des parties molles - désagrégation - altération chimique et diagénèse pour assurer le tassement du sédiment contenant les restes fossiles. L'enclenchement du processus requiert un enfouissement rapide sous les sédiments pour être soustrait à l'action de décomposition de l'oxygène et de l'eau. Ce phénomène est plus fréquent dans un milieu aquatique que subaérien ou un ensevelissement rapide ne peut survenir qu'à la suite d'un éboulement ou d'une retombée de cendres volcaniques ».
Les organismes fossilisés peuvent se présenter sous divers formes et aspects :
corporels : os, dents, coquilles (carbonate de calcium ) et autres parties dures préservées ;
ichnofossiles : traces, empreintes, coprolithes laissées par un organisme ;
moulés : des sédiments recouvrent (moule externe) ou remplissent (moule interne) l'organisme et durcissent ;
perminéralisation ou pétrification : remplissage des pores d''un organisme par une eau riche en minéraux (fossiles altérés) ;
carbonisés : une pellicule de carbone recouvre la matière organique ;
silicification : action chimique d'un dérivé de la silice à l'origine de la fossilisation des : foraminifères, échinides, ammonites, gastéropodes, brachiopodes ;
inclusions : organisme emprisonné dans l'ambre (résine fossile des conifères) ou le poix (hydrocarbure visqueux) ;
gelée ou congélation : organismes enfouis dans la glace ou dans le permafrost.
Le fossile recouvert est à l'abri des animaux, du dioxygène, d'agents corrosifs, chimiques, mécaniques et des aléas bioclimatiques. Avant les travaux de l'Anglais W. Smith et du Français A. de Brongiard, les fossiles étaient considérés comme des curiosités de la nature : « des restes de dragons, des crânes de cyclopes, des empreintes diaboliques ou les restes d'animaux noyés pendant le déluge ».
La paléontologie, initiée au début du XIX° siècle, consiste à étudier des espèces disparues avant l'apparition de l'Homme « à partir de leurs vestiges fossiles souvent partiels et dispersés, d'établir leurs rapports avec leur milieu et la chronologie de leur apparition ». Tous les organismes présents sur la Terre sont le résultat d'une évolution. Certaines espèces représentent le maillon d'une série d'adaptations à leur milieu et s'étend parfois sur plusieurs millions d'années, voire milliards d'années pour des végétaux et des bactéries. D'autres espèces semblent inchangées depuis des temps immémoriaux comme le Cœlacanthe.
De nombreuses roches sédimentaires ont émergé grâce aux mouvements des continents et d'entrainer à leur suite la présence de fossiles.W. Smith remarqua que les fossiles différaient suivant les couches de terrain, et que certains n'étaient présents que dans une couche de terrain et qui la caractérisait. Lorsque les roches n'ont pas été bouleversées par les mouvements de l'écorce terrestre, les strates inférieures correspondent aux époques les plus anciennes. Lorsqu'une espèce est demeurée inchangée pendant plusieurs millions d'années, il est difficile de dater les couches géologiques dans lesquelles elle se trouve, même en se basant sur différents fossiles prélevés en des endroits différents. La stratigraphie n'apporte qu'une chronologie relative. Pour établir une chronologie absolue il faut se tourner vers des méthodes de datation scientifiques. Dans une couche sédimentaire ce n'est pas toujours la plus en surface qui est la plus récente, ni celle qui est la plus enfouie qui est la plus ancienne. Pendant l'orogénèse (phases d'édification des reliefs terrestres), les roches ont été soumises à des contraintes (anticlinal, synclinal), fracturées (horst, fossé, faille).
La meilleure époque pour chercher des fossiles correspond à une longue période de pluies ou de grandes marées et sur des terrains meubles. Un « fossile » découvert, il faut en relever les coordonnées et le photographier sous tous ses angles. Les fossiles d'une même espèce différent en taille et en forme selon l'âge du spécimen et de son état de conservation. Seul un paléontologue peut en évaluer l’Intérêt scientifique. Relever un fossile peut mobiliser toute une équipe pour en dégager une partie en évitant de l'endommager. Plusieurs années ont été nécessaires pour dégager Perucetus colossus (une baleine préhistorique) de la roche dans la vallée d’Ica au Pérou. Il faut creuser le sol autour de la pièce en ménageant une large bande de sécurité avant de la dégager par l'arrière ou le dessous. Les pièces fragiles sont consolidées avec un « plâtre ». Sur une pente, le paléontologue travaille du bas vers le haut afin de ne pas avoir à fouiller les déblais déjà créés.
De retour au laboratoire les préparateurs s'attellent à dégager le fossile de sa gangue. Si la méthode mécanique demande du doigté, la méthode thermique, chauffer puis refroidir brusquement la pièce, ou la placer au congélateur avant de la plonger dans un récipient d'eau très chaude. Le résultat dépend : température, durée, taille du fossile, sa nature et celle de la roche. La préparation chimique (acide acétique, chlorhydrique, phosphorique, fluorhydrique, potasse ou soude caustique) requiert savoir-faire, tout comme de recoller des fragments d'une pièce brisée ou combler une partie manquante.
Un squelette d'Ichthyosaure vieux de 180 millions d’années et complet à 80 % a été découvert lors du chantier du TGV Grand Est dans une formation géologique contenant des fossiles de Toarcien. Celui découvert dans la région lyonnaise en 1984 a une longueur estimée à 25 mètres. Une correction, une précision, une remarque ?
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