Pandémies, déforestations et autres joyeusetés
La seule consolation des chauves-souris et des pangolins ces temps-ci est peut-être qu’on va arrêter de les bouffer, mais ça ne sera pas suffisant pour les réhabiliter dans les consciences maintenant que la gent médiatique les a offerts en pâture à la vindicte populaire comme boucs émissaires à la nouvelle peste.
Même si l'origine animale du virus est une hypothèse non confirmée, la chasse au responsable animal de la transmission du COVID-19 a été lancée dès les débuts de l’épidémie en Chine. En fait, la spéculation sur l’identité de la créature maléfique qui abritait à l'origine le virus en question masque la cause réelle de notre vulnérabilité croissante face aux pandémies : l'accélération du rythme de la perte de son habitat par la faune sauvage.
Depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, de nombreux agents pathogènes microbiens sont apparus dans des zones où ils n'avaient jamais été décelés auparavant, ou dont ils avaient été éradiqués depuis des décennies. Il en va ainsi pour le VIH, le virus Ebola en Afrique de l'Ouest, le Zika sur le continent américain et un grand nombre de nouveaux coronavirus dont la communauté scientifique n’a jamais fait la publicité parce que bénins. La majorité d'entre eux proviennent d’organismes d’animaux, la plupart sauvages, mais aussi du bétail et des animaux de compagnie.
Depuis la nuit des temps, les microbes vivent en symbiose parasitaire avec certains animaux (comme le paresseux (ai), qui est un concentré de nids d’infection) et n’ont pas pour vocation de s’en prendre à l’humanité. Leur seul problème avec la déforestation, le développement exponentiel des zones urbaines et l’expansion des activités industrielles, c’est de trouver comment s'adapter au corps humain qui se présente comme substitut à leurs hôtes traditionnels menacés de disparition.
La destruction de l'habitat menace d’extinction un grand nombre d'espèces sauvages, plantes (médicinales entre autres) et animaux dont nous dépendons pour notre pharmacopée. En même temps (comme dit l’autre), cette destruction systématique qui s’est accélérée ces dernières décennies oblige les espèces sauvages encore rescapées à s'entasser dans les espaces de plus en plus réduits et fragmentés de ce qui reste de leur habitat, ce qui augmente leur densité et le risque de contacts avec les êtres humains qui sont venus s’installer dans ces lambeaux de leurs biotopes dévastés. C'est ce genre de contact répété qui permet aux microbes qui vivent dans les corps de ces « naufragés de la nature » d’investir le nôtre, et des microbes bénins pour les animaux peuvent se révéler être des agents pathogènes mortels pour les humains.
Les épidémies d'Ebola, qui étaient liées à plusieurs espèces de chauves-souris (déjà !), se sont développées dans des régions d'Afrique centrale et occidentale qui ont connu des épisodes récents de déforestation. Détruire les forêts oblige les chauves-souris à se percher dans les arbres des arrière-cours et des fermes, ce qui augmente la probabilité qu'un humain mange un fruit contaminé par de la salive de chauve-souris ou que la chasse à ces chiroptères expose poursuivants à des contacts qui permettent aux virus comme Ebola, Nipah et Marburg, transportés « normalement » sans danger par les chauves-souris, de contaminer des populations humaines par contacts. Lorsque la fréquence et le nombre de tels phénomènes dits « de débordement » s’accélère et se multiplie, les microbes d’autres espèces animales que la nôtre peuvent s'adapter à leurs nouveaux hôtes humains et évoluer en agents pathogènes.
Les épidémies de maladies transmises par les moustiques, comme le paludisme, sont également liées à l'abattage des forêts et à leur transformation. Au fur et à mesure que la couche d’humus et les racines des plantes disparaissent, l'eau et les sédiments s’écoulent plus facilement sur le sol de la forêt rasée, un sol réchauffé par la pénétration des rayons du soleil qui ne l’atteignaient pas auparavant. Or, les moustiques porteurs du paludisme adorent les flaques ensoleillées pour se reproduire. Les espèces de moustiques porteurs d'agents pathogènes humains sont deux fois plus courantes dans les zones déboisées que dans les forêts encore intactes.
La destruction de l'habitat modifie la densité des populations de différentes espèces animales et leur concentration géographique, ce qui contribue à augmenter la probabilité de propagation d'agents pathogènes, comme c’est le cas pour le virus du Nil occidental, un virus associé aux oiseaux migrateurs. Pressées par la perte d'habitat et d'autres affronts, les populations d'oiseaux ont diminué de plus de 25% en Europe au cours des 50 dernières années. Mais certaines espèces spécialisées comme les pics ont été plus durement touchées que les « généralistes » comme les rouges-gorges et les corbeaux. Cela favorise le développement global moyen du virus du Nil occidental dans les groupes d'oiseaux parce que, tandis que les pics sont de mauvais porteurs de ce virus, les rouges-gorges et les corbeaux excellent en la matière. La probabilité qu'un moustique local pique un oiseau infecté par le virus du Nil occidental puis un humain augmente d’année en année. De même, l'expansion des banlieues au détriment de la forêt augmente le risque de maladies transmises par les tiques à cause de la densification de leurs hôtes artificiellement alimentés : rongeurs, sangliers et cervidés notamment très favorisés par l'agrainage, mais aussi par l'étendue croissante des cultures céréalières en lisière forestière, et la perte de milliards de grains de céréales le long des axes de transport (route, voies ferrées) après les moissons, etc. La maladie de Lyme transmise par les tiques a fait son apparition dans les années 70, puis de nouveaux agents pathogènes transmis par les tiques ont suivi.
Mais ce n'est pas seulement la destruction de l'habitat sauvage qui accroît le risque d'émergence de maladies, c'est aussi ce par quoi il est remplacé. Des pans entiers du continent africain ont été déboisés pour élever des animaux sauvages transformés en animaux de boucherie qui sont ensuite livrés illégalement et vendus sur ce que l'on appelle les « marchés humides », en Asie en particulier. Sur ces marchés, des espèces sauvages qui ne se rencontreraient jamais dans la nature sont mises en cage les unes à côté des autres, ce qui permet aux microbes de passer d'une espèce à l'autre, un processus qui a engendré la variété de ce qui était déjà un coronavirus à l’origine de l'épidémie de SRAS de 2002-2003 et peut-être ce que nous connaissons aujourd'hui.
Mais, même sans aller chercher dans les trafics illicites les causes du mal, il faut savoir que beaucoup d'animaux sont élevés dans des fermes industrielles, où des centaines de milliers de têtes attendent d'être abattues, serrées les unes contre les autres, offrant aux microbes des opportunités inespérées de se transformer en pathogènes mortels. Les virus de la grippe aviaire, par exemple, qui proviennent des corps d'oiseaux aquatiques sauvages, se déchaînent dans les élevages industriels remplies de poulets et de canards en captivité, mutant et devenant plus virulents, un processus si fiable qu'il peut être reproduit en laboratoire. La souche H5N1, qui peut infecter l’espèce humaine, tue plus de la moitié des individus infectés et entraine l'abattage de dizaines de millions de volatiles .
Si le processus de transformation des microbes animaux en agents pathogènes humains s'accélère aujourd'hui, le phénomène n'est pas nouveau. Il a commencé avec la « révolution néolithique » qui est considéré généralement comme le seuil de démarrage de l’élevage et de l’agriculture, quand Sapiens Sapiens a défriché une bonne partie de l’habitat de la faune sauvage pour faire place aux cultures en attelé des animaux « domestiqués » (c’est-à-dire asservis). Les « cadeaux empoisonnés » que nos aïeux ont reçus de nos « 50 millions d’amis » comprennent la rougeole et la tuberculose, des vaches, la coqueluche des porcs et la grippe des canards. Le processus s'est développé à l'époque de l'expansion coloniale, au Congo Belge où la construction du chemin de fer et le développement des villes ont permis à un lentivirus présent chez les macaques de s’adapter au corps humain, ou au Bangladesh où les zones humides des Sundarbans ont été transformées en rizières et exposé les paysans aux bactéries des eaux saumâtres des zones humides qu’ils évitaient de fréquenter auparavant. Aujourd’hui, le lentivirus du macaque est devenu le VIH. La bactérie des Sundarbans est désormais connue sous le nom de choléra et elle a jusqu'à présent provoqué sept pandémies dont la dernière a dévasté Haïti.
Aujourd'hui, l'ombre de la prochaine pandémie se profile. Mais ce n'est pas seulement à cause du nouveau coronavirus. On peut s'attendre à ce que la déforestation accélérée et encouragé au par le président brésilien en Amazonie, mais par les compagnies minières en Guyane pour l’extraction de l’or accélèrent la destruction d’habitas sauvage et développent l’intrusion de « nouveaux » microbes animaux chez les êtres humains.
On ne peut pas empêcher les épidémies, mais on peut éviter les pandémies si nous avons la volonté de cesser de perturber sans aucun contrôle la nature et la faune. En fait, l’hypothèse de l’origine animale des pandémies est fondée, mais ce ne sont pas les pangolins à écailles ni les chauves-souris volantes qu’il faut incriminer. Ce sont des populations de primates à sang chaud : nous.
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