Panique à Kaboul
Les talibans ont repris la main sur l’Afghanistan après deux décennies de luttes intestines. Mais la jeune génération peut-elle renoncer à la liberté qu’elle a goûtée durant cette parenthèse ?
Les talibans ont donc repris le contrôle de l’Afghanistan après vingt années de clandestinité et de guérilla. Vingt années pendant lesquelles, sous la protection des occidentaux, une démocratie (même corrompue) et une société libre ont pu se développer au moins dans les grandes villes du pays, comme Kaboul. Cela, quoiqu’on en dise, laisse des traces dans les esprits, même si la menace d’un retour en arrière se fait chaque jour plus plausible. Depuis une semaine, les images qui nous arrivent de la capitale afghane ont de quoi nous inquiéter. On sent, devant ces milliers d’hommes et de femmes massés près des aéroports, toute la détresse et toute la crainte des nouveaux maîtres du pays – car la date-butoir a été fixée au 31 août. A tel point qu’on peut déjà parler d’une catastrophe humanitaire.
Les talibans ont beau affirmer au reste du monde qu’ils ont changé et qu’ils n’exerceront pas de représailles sur leurs adversaires idéologiques, on sait à quoi s’attendre en voyant des miliciens fouetter déjà en pleine rue ceux qui osent protester. Qu’en sera-t-il de l’éducation des enfants et des droits des femmes dans la société, même composite, qu’ils préparent ? Car leur projet fondamental reste le même qu’il y a vingt ans : appliquer la seule loi qui vaille à leurs yeux, celle de la Charia et de l’Islam le plus radical. Ils peuvent toujours rétorquer que l’occident n’a pas le monopole de la vérité en matière de politique et de justice. Ou même que le droit d’ingérence viole le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pourquoi, dans ce cas, tant d’Afghans veulent aujourd’hui fuir leur pays, laisser derrière eux leur culture, si l’Islam, comme certains le disent en France, est une religion de tolérance et d‘amour ?
En France, justement, l’Islam est acceptable parce qu’il s’est mâtiné, peu ou prou, à la laïcité de notre république. Mais dans un pays, comme l’Afghanistan, qui ignore cette valeur, c’est différent. Ou plutôt c’était différent. Car, durant cette parenthèse de deux décennies, beaucoup de jeunes Afghans ont compris qu’un autre modèle de société était possible. Et un peuple qui a goûté à la liberté, toute relative, de notre système politique, ne veut pas l’abandonner au profit d’une dictature basée sur des dogmes archaïques.
Certes les talibans seront surveillés, dans les prochains mois, par la communauté internationale. Ils seront sanctionnés, au moins sous l’anglé économique, s’ils vont trop loin dans la répression des opposants. Il n’empêche : avec eux, c’est un nouveau pays qui va se retrouver sous coupe réglée et cela peut donner une vigueur nouvelle à d’autres djihadistes qui luttent, comme en Afrique, pour imposer la même forme de domination aux populations locales.
Si cette situation a de quoi déranger l’Europe et les USA, elle ne gêne nullement la Chine et la Russie qui n’ont pas fermé leurs ambassades avec le retour des talibans. Ces derniers sont à peu près assurés de leur coopération commerciale. Entre régimes totalitaires, on peut toujours s’entendre, quelque soit le discours idéologique qui justifie l’usage de la terreur. Car pour eux, l’important c’est que les peuples continuent d’obéir au doigt et à l’œil de leurs dirigeants.
Jacques Lucchesi
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