Panne sèche
Est-ce la flambée des prix à la pompe mais ce matin, je suis en panne sèche. Les mots viennent à me manquer. Se sentent-ils trop lourds avec toutes ces taxes qui viennent priver le lecteur de voyager à sa guise. Le pouvoir du reste ne favorise pas l'évasion livresque lui qui met en avant l'électrique à la place de l'éclectisme. Nous ne sommes pas au bout de nos peines : bientôt nous ne pourrons plus lire que les écrivains des lumières.
À moins que pour sauver des arbres, le livre papier soit prochainement dans la liste noire des produits mis à l'index. Il est certes préférable d'utiliser la liseuse, qui n'a nullement recours à une armada de métaux rares. Je me trouve dans une impasse et ces interrogations me laissent sur ma réserve. Je n'avance plus, je reste en tête de chapitre sans entrain ni billet pour passer à la ligne.
Faire le point eût été préférable, chercher de nouvelles sources d'inspiration et d'énergie pour m'inscrire dans l'air du temps, de cette production livresque qui fait la part belle, curieusement, aux ouvrages voués à la mort immédiate. Le durable n'a donc plus sa place pour ce qui jadis était gravé dans le marbre. L'auteur, autrefois avait la postérité comme lointaine perspective, il lui faut aujourd'hui songer à la notoriété pour se trouver en tête de gondole avec des inepties.
J'attends que cette panne, sèche et s'assèche ! Attitude aussi stupide que vaine puisque depuis belle lurette, l'encre n'est plus à l'ordre du jour. L'écran plat est incapable de tendre des épingles pour laisser sécher les lignes. Rien ne sert de prendre le temps qui n'est plus à la mode, ni de s'accorder la réflexion ou relecture. Le texte aussitôt écrit voyage sur la vague, qu'importe s'il soit suffisamment pertinent pour ne pas prendre l'eau ou la tempête. Il est même conseillé de faire des vagues pour accroître son audience.
Dans ce contexte, la panne sèche est des plus paradoxales. Je me noie dans un verre d'eau, je sombre dans une crise égocentrique avec des mots en travers de la gorge. C'est le naufrage le plus désolant qui soit. Je n'ai plus qu'à bien choisir le mot de la fin pour tirer ma référence en beauté. Écriveur solitaire, je ramais à contre-courant tandis que j'avais l'illusion d'avoir mis le pied à l'encrier pour l'éternité.
Me voilà devant une panne blanche qui fera écho à un écran vide. J'ai soudain le vertige devant ce vide sidéral qui se profile. Je ne vais certes pas sombrer dans la facilité de l'heure en prenant partie pour une idéologie, une confession, un courant sociétal, un régime ou bien un nouveau genre. Je conserve ma dignité de phraseur de l'inutile, ne cherchant nullement à faire des émules.
Je me garderai bien de vous proposer la vie extraordinaire et merveilleuse de mes animaux domestiques, les pensées intimes de mon poisson rouge, la dernière balade que j'ai pu effectuer ou toutes ces sornettes qui alimentent les data bien mieux que moi. La panne sèche me laisse en plan tandis que pour éviter les clichés, je me garde bien de remplacer les phrases par des images.
Je n'ai plus qu'à me taire quoique la formule ne convienne pas encore à tout un chacun. Les assistants vocaux ne sont pas encore généralisés. Mais bientôt la lecture ne sera plus à l'ordre du jour. Alors à quoi bon écrire des inepties pour les confier à un robot sans expression ni sensibilité ? Au commencement était le verbe, Dieu avait même prit la peine de graver ses commandements sur la pierre, ignorant ; tout grand créateur qu'il fut, que l'écran allait rendre caduque ses malheureuses pierres érodées. Nous en avons fini avec la civilisation de l'écrit, c'est donc ce que me signifie cette panne sèche qui me laisse sur le bord du chemin.
Je n'ai plus qu'à tendre le pouce pour qu'un Youtubeur me prenne à son bord afin de profiter de l'aspiration, de n'être qu'un suiveur qui suce les roues de la modernité. Les mots dits ont pris le contrôle, les mots lus iront tout droit en enfer.
À contre-temps.
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