Panthéonisation de Manouchian et FTP-MOI : Qu’elle ne trahisse pas l’esprit de leur résistance !
Chaque jour, on fait monter en température l’événement. On apprend par voie de presse que « des collégiens de Chabeuil sont invités à Paris pour l'entrée au Panthéon de Missak Manouchian » (1). Très bien ! Mais quel sens en sera transmis à ces collégiens ? « La panthéonisation des Manouchian est forte de symboles pour les immigrés qui font la France d'aujourd'hui. » dit-on. De quel symbole s’agit-il ? On a la réponse dans Libération : "Cet hommage aux héros décidé par Emmanuel Macron, ce dimanche 18 juin, est nécessaire alors que l’extrême droite continue de propager ses idées nauséabondes sur l’immigration" (2), ou encore, « Une démarche qui pourrait contribuer à battre en brèche les idées identitaristes, ethnicistes et racistes. » (3). François Hollande : « Manouchian était un demandeur d’asile qui a donné son sang à la France » (4) Mieux encore, on parle d’« un combat qui (pourtant) n’était pas le leur… » sous-entendu, parce qu’ils étaient étrangers. Comme si ce combat avait à voir avec la nationalité, et que l’on voulait à tout prix les opposer aux Français, alors qu’ils combattaient comme résistants ensemble la même « bête immonde ».
Bien des membres des FTP-MOI (5), dont les compagnons de Manouchian, étaient juifs, et donc des plus concernés, ayant eu souvent des parents arrêtés et déportés. Manouchian lui-même, arménien, issu d‘un peuple ayant survécu à un génocide, connaissait très bien ce que voulait dire « déportation » (6). Ils habitaient fréquemment des quartiers parisiens populaires et ouvriers, rouges, et étaient, qu’ils en aient eu la nationalité ou non, des Français de cœur. Nombre de leurs familles avaient fui les pogroms de l’Est, ou eux-mêmes la montée du fascisme en Europe, d’Italie, d’Espagne, et trouvé en France sous la République une protection.
Une panthéonisation pour faire aimer la France, pas la diviser
On sent le danger, par ce procédé de l’icône érigée en mythe, que sa puissance serve ce que l’on veut lui faire dire, et faire taire tout ce qui s’en écarte. Un article du journal Le Monde explique : « L’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian illustre la part prise par des étrangers dans la défense des valeurs universelles de notre République. » pour évoquer ensuite un « retour en force de la xénophobie » et interroger, « Célébrer les étrangers ou les montrer du doigt ? » en lien avec la critique de la « loi immigration »... (7). Cette alternative résumerait-elle la lutte contre le racisme, sorte de nouveau catéchisme ? On y dit, d’ailleurs, que ce serait par « le dialogue entre nos multiples identités » que se trouverait la solution à la « reconstruction du vivre-ensemble » sous le signe rassembleur de la panthéonisation du héros. Ne serait-ce pas plutôt en mettant au-dessus de nos différences les idéaux qu’il défendit, dont les valeurs de la République, tant attaquées ? Si ceux de l’Affiche rouge constituent un exemple, attention aux généralisations, ils n’étaient qu’une minorité d’immigrés à s’être engagés dans la résistance, une minorité au sein d’une résistance elle-même minoritaire. Et donc, cet exemple n’est pas celui des immigrés donnant la leçon aux Français pour les extraire d’on ne sait quelle xénophobie, mais d’ordre bien plus général, pour dire à tous, pourquoi on doit aimer la France.
Autre question brûlante : Ces résistants alors, c’était la France, avec De Gaulle ? ou la France c’était Pétain, comme on aime à le laisser penser, tel le Président de la République lorsqu’il la désigne comme responsable de la Rafle du Vel’ d’Hiv’, alors que les « pleins pouvoirs » au Maréchal sont votés par une Assemblée minorée (8), détournés pour faire un coup d’Etat et mettre la République hors-la-loi, les rouages de l’Etat au service de l’occupant nazi avec zèle, qu’aucune consultation des Français ne justifia. La France, c’est la République ! Va-t-on encore trouver le moyen de ternir notre pays, qui fut l’un de ceux où la résistance fut décisive, avec une capitale, Paris, qui par elle-même se libéra, à quoi les FTP-MOI apportèrent leur concours ?
La poésie pour conjurer le mal, et le combat d’une France Républicaine teintée de rouge
On peut lire dans la presse la reprise du poème d’Aragon « L’Affiche rouge », dont cet extrait, « Nul ne semblait vous voir Français de préférence, les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant », faut-il encore poursuivre pour bien en comprendre le sens, « Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants, avaient écrits sous vos phoros, morts pour la France. Et les mornes matins en étaient différents. » Oui, parce qu’il y avait les deux côtés, celui de l’indifférence ou de la peur voire de la collaboration, mais aussi celui de la révolte et de l’héroïsme, de la France qui résiste, de la solidarité : « Et si c’était à refaire, Je referai ce chemin, sous vos coups chargés de fer, que chantent les lendemains », dit un autre poème d’Aragon, La Ballade de celui qui chanta dans les supplices, témoignant magnifiquement de l’esprit de résistance jusque dans la torture, par-delà toute origine, couleur ou religion. Et encore La Rose et le Réséda, « Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas, tous deux adoraient la belle prisonnière des soldats… » Il est de première importance de revenir aux idées, aux convictions qui animèrent ces résistants souvent très jeunes, pour comprendre le sens de leurs actes, leur audace, leur courage, leur héroïsme, au péril de leur vie. C’est déjouer qu’on puisse trahir leur héritage, au regard du risque d’une mémoire bien plus commandée par les contingences politiques que par l’histoire. Leur rendre justice, c’est être fidèle à leur engagement et à leur message, encore si important pour nous. Arrêtés en novembre 1943, ceux de l’Affiche rouge furent exécutés le 21 février 1944.
Leur solidarité prolongeait un engagement généralement communiste par essence anticolonial et universaliste, pour l’émancipation des peuples : de l’opposition à la guerre du Rif (9), à l’engagement antifasciste aux Brigades internationales (10). Ils étaient internationalistes dans une perspective anticapitaliste. Il faut aussi rappeler que le Front populaire, des combats de rue du 6 février 1934 contre les fascistes qui sauva la République, aux grandes grèves de juin 36, avait fait se retrouver le drapeau rouge et le bleu blanc rouge, contre les ligues factieuses (fascistes) et pour de nouvelles conquêtes sous le signe de la laïcité et de l’égalité sociale. Comme on le rapporte, parmi ces jeunes, certains fréquentaient des patronages laïques, ouverts aux idéaux humanistes, ce qui a compté sans aucun doute dans leur engagement (11). C’est dans ce contexte réel, avec ses persécutions, qu’il faut replacer leur abjection pour l’antisémitisme et le racisme, sur un fond profondément politique. Ceci, loin des querelles d’aujourd’hui, entre procès permanent en xénophobie de la France et recherche de boucs-émissaires, les étrangers, à tous les problèmes. Il n’y a qu’une France, pas deux.
Faire entrer leur esprit de résistance avec Manouchian au Panthéon
Manouchian, comme ceux de la MOI, étaient largement des révolutionnaires internationalistes, loin de se considérer d’abord comme étrangers ou immigrés, comme on y insiste. Ils étaient les fervents défenseurs d’une révolution marxiste, d’une lutte anticapitaliste internationale s’appuyant sur la révolte des peuples dans les pays où ils vivent, pour y imposer le communisme. Les immigrés d’aujourd’hui quittent leur pays en général pour des raisons économiques, d’asile, pas pour faire la révolution. Qu’est-ce que cela a à voir avec faire de Manouchian le totem de la lutte contre on ne sait quel racisme généralisé, avec comme réponse la revendication d’un accueil inconditionnel des étrangers et la fin des frontières, et que ne pas y adhérer porterait le soupçon d’être d’extrême droite ? Les tenants d’une mondialisation capitaliste ultra-libérale, qui se fichent des nations et des peuples, mis en concurrence par une « libre circulation » des hommes qui va avec la libre circulation des capitaux, ne demandent pas autre chose. Comment peut-on se réclamer d’être de gauche en allant dans le même sens ? Parlant de Manouchian, on écrit encore que « Son engagement dans la Résistance rappelle le rôle majeur qu’ont joué les immigrés dans l’histoire de France » (12). Mais que vient faire cette essentialisation des immigrés ici, nouveaux sauveurs suprêmes ? Qu’en diraient donc les FTP-MOI ? Ne craindraient-ils pas que l’on oublie derrière cela le principal, leur idéal ? Ils étaient eux, une avant-garde éclairée voulant changer le monde sous le signe d’une conscience de classe, Français et étrangers main dans la main pour cette cause, d’une même France résistante. Faire entrer Manouchian, sa Mélinée, ceux de l’Affiche rouge au Panthéon dans cet état d’esprit, ça oui !
Notes :
5-https://www.fondationresistance.org/pages/rech_doc/?p=glossaire&iIdGlossaire=3# : :text=Main%2Dd' ;%C5%93uvre%20immigr%C3%A9e%20(MOI)%20%3A%20organisation%20syndicale,dot%C3%A9s%20d'un%20journal%20sp%C3%A9cifique.
6-https://www.monde-diplomatique.fr/1997/06/CHETERIAN/4794
8-Le 10 juillet 1940, seuls 670 députés et sénateurs prennent part au vote sur les 907 inscrits en 1939, 569 votent pour. Une Assemblée amputée de ses députés communistes empêchés de siéger, et de ceux du bateau le Massilia qui ont choisi de résister.
10- https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Brigades_internationales/110210
11- https://journals.openedition.org/chrhc/4866
Guylain Chevrier
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