Parcourir les mémoires de Jean-Marie l’infréquentable
Il aura bien vécu, consternant les uns et galvanisant les autres. Jean-Marie Le Pen s'en est allé après presque un siècle d'existence, emportant avec lui l'Histoire peu flatteuse de notre pays. La défaite puis l'occupation allemande, les conflits de la guerre froide, la rivalité entre la droite et les communistes, la décolonisation puis la construction européenne à marche forcée.
Un siècle après la naissance du breton têtu et bagarreur qu'il était, la France a bien changé. Elle a tout perdu : son prestige, son empire colonial, son identité. L'unité culturelle autour de la république de l'entre deux guerres était seulement perturbée par les justes revendications sociales d'un peuple déraciné depuis la révolution industrielle. Certes, on parlait immigration durant la jeunesse de Jean-Marie, mais surtout à gauche pour dénoncer le dumping social. L'antisémitisme était autant présent chez les socialistes qu'à droite.
Notre homme a vu s'effondrer un pays qui avait pourtant sorti la tête de l'eau en 1945. Durant sa jeunesse, il n'y avait pas le communautarisme, pas de questions de radicalité religieuse (pas d'attentats au nom du divin), pas de voitures brûlées ni de trafics de drogue dans les quartiers populaires. Tout ce qu'il avait dit et prédit est arrivé avec la suppression des frontières et la fin de notre souveraineté, déléguée à une Europe improbable.
Sans doute les médias mettront-ils l'accent sur ses mauvais jeux de mots, sa légéreté coupable sur la Shoah. Pour mieux enterrer la partie de son discours visionnaire et finalement très gaulliste, bien qu'il détestait le général.
Lire ses mémoires (deux tomes) est croustillant. Nous replongeons dans la France contemporaine, sa société, ses modes et habitudes que l'auteur, orateur hors pair, sait raconter dans un style honnête. L'enfance à la Trinité sur Mer, le décès du père, les premiers engagements de jeunesse, puis Poujade et la guerre d'Algérie. Il nous décrit le Paris des années 1950, les petites femmes de Pigalle, les églises ouvertes la nuit (!), une capitale à des années-lumière du wokisme actuel.
Le tome un est plus plaisant à parcourir que le second très linéaire sur l'histoire du Front National que l'auteur confond avec la sienne. On en retient cependant deux "points de détail" peu connus du grand public. En 1974, Jean-Marie Le Pen a d'abord refusé de prendre la tête du FN, préférant se consacrer à sa maison de disques (la SERP, qui obtint des prix de la SACEM). Il ne croyait plus à la politique, déçu par la perte de l'Algérie. Dans les années 1980, l'affaire "Durafour crématoire" était en fait une réponse... aux propos tenus par ce ministre PS qui recommandait d'exterminer les électeurs du FN (!) On ne faisait pas dans la finesse et la tolérance sous Mitterrand et Chirac...
Le reste appartient désormais à l'histoire politique et aux opinions de chacun. Associer le seul Le Pen au racisme et à l'antisémitisme c'est oublier la complexité de ces questions très actuelles. Pour le reste, vous pouvez trouver sans problème les deux tomes de ses mémoires à un prix modique sur Amazon. Intéressant pour retraverser l'Histoire de notre pays depuis 1945.
Jean-Marie Le Pen, Mémoires T.1 Fils de la Nation, éditions Muller
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