Parcours de vie : Xavier Fortin ou le choix radical de la marginalité

avis de recherche

Xavier Fortin était recherché depuis 1998 pour avoir soustrait ses 2 fils âgés alors de 6 et 7 ans et ½ à leur mère à l’occasion d’un droit de visite parental, les parents avaient vécu en concubinage pendant près de 10 ans jusqu’en 1996, 2 enfants étaient nés de cette union en 1990 et 1992, dénommés respectivement Shahi Yéna et Okwari (noms amérindiens), dans un premier temps la garde des enfants avait été accordée au père puis lui avait été retirée et accordée à la mère qui vivait chez ses parents dans le Var près de Saint Raphaël aux Adrets exactement, c’est à l’occasion des vacances de Noël 1997 que Xavier prit la décision de ne pas rendre les enfants à leur mère et de démarrer une existence de cavale perpétuelle qui s’est terminée ce mois de Janvier 2009 lors de son arrestation dans une ferme isolée en Haute Ariège.
 

Je savais qu’il avait pris la fuite avec ses enfants en 1998 mais comme tout un chacun j’ignorais complètement où il pouvait se trouver, à son sujet on entendait tout et son contraire, qu’il était à l’étranger dans un pays du sud, qu’il s’était fondu dans des communautés Roms ou Manouches, les fameux « gens du voyage » et que lui et ses enfants de cette façon étaient devenus insaisissables, personnellement je ne l’ai plus jamais revu depuis 1991, à l’époque il vivait dans une roulotte sans eau ni électricité et son fils avait à peine 1 an, c’est aussi la seule fois où j’ai rencontré sa compagne et mère de ses enfants Catherine Martin, j’avais gardé contact avec certaines de nos relations communes ce qui fait que régulièrement je discutais avec d’anciennes connaissances à son sujet et au dénouement qui pourrait en résulter, mais cela durait, durait, déjà 10 ans qu’ils avaient disparu tous les 3 et nous finissions par ne plus y croire, d’un autre côté nous nous disions que parvenus à l’âge adulte les enfants finiraient bien par réapparaître d’eux-mêmes s’ils étaient encore en vie...
 

Xavier au tribunal

Et puis épilogue que je n’ai pas suivi : en Janvier voici 2 mois, Xavier est arrêté grâce au témoignage d’un habitant de la région qui a fait le rapprochement entre ses enfants et les avis de recherche publiés dans tous les lieux publics (ici en Europe de l’est j’ai même vu l’affiche avec la photo de ses enfants au consulat de France dont je dépends), il reconnaît aussitôt les faits et est incarcéré dans un premier temps à la prison de Foix avant d’être transféré à Draguignan où il vient d’être jugé, lors de son arrestation ses 2 fils étaient en Corse (occupés à la récolte des olives) ils se trouvent alors réunis avec leur mère qui dans un souci de rapprochement avec ses enfants restés très proches du père renoncera à se porter partie civile contre Xavier à son procès en correctionnelle, le procureur a alors requis 2 ans de réclusion à l’encontre du père ravisseur dont 18 mois avec sursis, le verdict est ensuite tombé : 2 ans de réclusion dont 22 mois avec sursis ce qui signifie 2 mois ferme, lesquels sont déjà couverts par la détention préventive effectuée, en conclusion Xavier Fortin se retrouve à son grand soulagement libre de fait le soir de son jugement.

 

J’ai connu Xavier à l’âge de 16 ans au début des années 70, nous avions à peu près le même âge et partagions la même passion pour la nature et l’observation du règne vivant sous toutes ses formes ; Xavier connaissait très bien la botanique, les différentes espèces animales indigènes et exotiques, insectes, reptiles, oiseaux, tout le captivait et sa demeure avait tendance à ressembler à un véritable zoo : aquariums, terrariums, volières, enclos de toute nature, il y avait toujours quelque chose de fabuleux à observer, la curiosité du monde vivant ne le quittait jamais, véritable écologiste avant l’heure il m’avait fait partager son enthousiasme pour la candidature de René Dumont en 1974 (nous ne pouvions pas encore voter) c’était l’aspect le plus évident de sa personnalité et auquel on adhérait le plus volontiers : un véritable amoureux de la nature, à la fois passionné et passionnant !
 

Physiquement il était grand, mince, le visage anguleux, nez très aquilin, d’aspect calme, assez froid et distant, il semblait hautain, vaguement indifférent au premier abord mais pouvait ensuite s’exprimer avec une certaine volubilité sur ce qui l’intéressait, un regard bleu clair, pénétrant sans être dur, lui conférait un charme certain, il ne s’imposait jamais par la violence mais usait d’une dialectique de persuasion qui déroutait parfois ses interlocuteurs ; d’aspect doux et rêveur, on aurait pu penser en ce qui le concerne à un mystique ou un anachorète mais il était doté d’une incroyable ténacité et d’un entêtement à toute épreuve dans la réalisation de ses objectifs qui eux étaient très concrets, aussi lui seul pouvait avoir raison, cela ne faisait aucun doute, bref quelqu’un qui disposait d’une aura et d’un charisme certain mais qui manquait un peu de souplesse et de chaleur humaine…
 

Fils et petit-fils de médecin, Xavier était comme l’on dit originaire d’un milieu bourgeois, qu’on le veuille ou non la culture de notre milieu d’origine conditionne notre caractère et notre comportement, dans son cas cela allait produire un mélange détonnant sous forme de rejet violent et de prise à contre-pied systématique de son milieu d’origine ; enfant sensible, très introverti les choses ont mis du temps à éclore chez lui, il n’était pas « anar » à 15 ans, il m’avait presque toujours paru apolitique et puis soudain l’explosion : nous étions au début des années 80 et je constatai que son « engagement écologique » débordait largement du cadre de l’écologie pour s’appliquer à la société toute entière envers laquelle il portait des jugements tout à fait manichéens ; pour faire court était positif tout ce qui était « prolo » anar, marginal, contestataire enfin contre le système et négatif tout ce qui était « bourge » conventionnel, respectueux des conventions, une dialectique assez simple somme toute !
 

Sur les causes de ce braquage psychologique on pourrait disserter longuement, sans doute ne pouvant s’identifier à son milieu d’origine qui lui paraissait à la fois hypocrite et insipide, il a éprouvé le besoin de s’y opposer de toutes ses forces, c’est comme si pour se libérer de la marque d’un péché originel, il lui fallait à tout prix se racheter en donnant des gages de « non-bourgeoisie » à autrui, partant de là aucune conduite de vie ne pouvait être trop radicale, on peut dire qu’à ce niveau-là on a vraiment été gâtés !

 

- d’abord il faudrait réparer l’injustice envers son ex-compagne Catherine Martin, pour avoir parcouru de nombreux blogs sur Internet, je n’ai presque noté aucun mot de compassion concernant ce qui a été son calvaire pendant ces 11 dernières années, il est certain qu’elle a beaucoup de qualités morales, qu’elle aime sincèrement ses enfants et qu’il était devenu très difficile de continuer à vivre avec Xavier, en dépit de toutes ces souffrances elle a joué l’apaisement au tribunal et mérite donc grandement d’être saluée !

Shahi et Okwari

- la bonne surprise pour tout le mode est l’aspect épanoui des enfants, déjà des jeunes hommes (17 et 18 ans et ½) intelligents et évolués, ne semblant guère traumatisés par toutes ces années d’errance, ils ont été les meilleurs avocats de leur père, en effet difficile en les contemplant et en les écoutant d’aller ensuite taxer le père de tyran aveugle ou de despote égocentrique même si très certainement une idéologie bien rigide a présidé au choix de cette cavale de 11 ans…

- à l’évidence Xavier a bénéficié de complicités, et durant toutes ces années de fuite et au procès, son père (pourtant bourgeois établi) s’est toujours montré solidaire, les frais d’un bon avocat lui ont à l’évidence été utiles et aussi, ne lui en déplaise, ses origines bourgeoises ont joué en sa faveur, le fait de s’exprimer dans un français châtié avec une voix douce et posée, prédispose favorablement des magistrats qui préfèrent entendre le langage d’un Marivaux à celui de rappeurs de banlieue !

 

- un choix de vie aussi marginal pose pas mal de problèmes et pas que juridiques, évoluant entre romantisme nostalgique d’une vie simple près de la nature et engagement politique par rejet de la société et de ses valeurs, il ne peut être le choix que d’une infime minorité d’individus au caractère extrêmement coriace comme l’est en fait celui de Xavier, il y a des contradictions non résolues car cette société si condamnable offre tout de même un cadre sécurisant avec pas mal de services que l’on se félicite parfois de trouver, aussi un choix de vie si peu conventionnel n’est pas exactement donné à tout le monde et être originaire d’un milieu nanti aide quand même pas mal et au démarrage et parfois par la suite (il me détesterait en lisant cela)…

- pour considérer les choses plus positivement ; excepté la soustraction à la mère de la garde des enfants, les troubles à l’ordre public générés par Xavier restent très limités alors que l’expérience d’un tel mode de vie et sa valeur de témoignage sont assez exceptionnels et peuvent apporter grandement en connaissance à ceux qui s’interrogent à juste titre sur le caractère pérenne de nos sociétés avec toutes les menaces écologiques pesant sur la planète, par ailleurs je suis convaincu que Xavier est un connaisseur exceptionnel du milieu naturel et j’espère qu’il va s’atteler à la rédaction de ses observations personnelles et exposer de pertinentes idées sur la gestion de l’environnement que sa longue existence « en marge » aura pu lui inspirer.

 

Hiéronymus, Mars 2009

 

Le Parisien  ; témoignage bouleversant de Catherine Martin, la mère des enfants

Le Parisien (bis)  ; description plus détaillée du mode de vie durant toutes ces années

Le Post  ; avec une interview vidéo saisissante des 2 adolescents Shahi’yéna et Okwari

LibéMarseille ; avec lien sur le compte-rendu du procès et blog de commentateurs