Parlons du Sens !
En ces temps de troubles et de colère, j'ai eu envie de vous parler du sens. Dans le premier volet de cette série de quatre articles, j'ai montré comment le sens dépend en premier lieu de l'orientation que l'on subit ou que l'on choisit dans l'existence, la mémoire étant associée à cette action en tant que créatrice de sens. L'autre "fabrique de sens" est l'instinct vital de préservation de l'Essentiel. Préserver sa vie, sa propre intégrité physique et celle de nos pareils, voilà en quoi consiste d'abord l'Essentiel. Mais nous allons voir que ce sujet philosophique n'est pas sans lien, loin de là, avec l'actualité brûlante, avec le mouvement des Gilets jaunes.
[ Cet article est le volet n°3 de la série "Le Sens et la Vie" ]
1 - Le sens est d'abord lié à l'orientation (je vous renvoie à l'article sur ce thème : "Le Sens et la vie : la mémoire créatrice de sens")
2 - Le sens est indissociablement lié ensuite à l'Essentiel : c'est la seconde source du sens et ce que nous allons aborder.
Différence notable de degré entre les deux sources de sens : la première est basique : nous la partageons avec la souris de laboratoire. La seconde en revanche relève d'une exigence bien plus élevée.
La loi du Sens
1er point : Le sens, c'est de l'Essentiel qui devient signifiant. Je protège ma vie, celle de mes proches. Mais le sens de l'essentiel va au-delà du simple instinct vital, il touche aussi à l'idée de dignité : rester digne est une tendance partagée par tous les humains mais aussi en partie par les animaux.
2ème point : la dignité est liée à l'idée de valeur (étymologiquement aussi).
3ème point et conclusion de cette démonstration : si le sens repose sur la notion de ce qui essentiel et que l'essentiel est ce qui est vital ainsi que ce qui est digne, les valeurs en découlent. La dignité et les valeurs forment un couple.
Enfin, ce qui cimente le tout (le sens, l'essentiel, les valeurs), c'est la confiance. C'est parce que nous croyons au respect premier de la vie que nous érigeons ce comportement de préservation et de protection en valeur suprême et sacrée. J'ai dit "sacrée" ? Cest parce que ces valeurs ont pris dans l'histoire de l'Humanité une tournure religieuse. La confiance devient alors la foi, la croyance. Petit schéma pour résumé ce premier point :
L'Essentiel => le sens (c'est de l'Essentiel élevé au rang de sens) => La dignité (c'est de l'Essentiel qui touche à ce qui est vital mais qui est aussi étendu au-delà, c'est le supplément apporté par l'être humain) => Les valeurs : elles sont scellées par la confiance. Rappelons brivèement que jadis "sceller" avait un sens fort ; il fallait prêter serment sur sa vie : serment de fidélité, d'obéissance, de respect des valeurs de la cité ou du pays. Le mariage aussi est une institution qui incarnait le sens et les valeurs et requérait un engagement très solennel devant Dieu. La confiance ainsi assurée couronnait l'ensemble de l'édifice, fondé sur l'essentiel, le sens et les valeurs qui en découlent.
La dignité est une revendication légitime
En ce moment, nous voyons comment les gens en France se soulèvent pour défendre cette légitimité fondamentale. La légitimé est multiple : volonté de gagner sa vie par soi-même sans avoir à solliciter l'aide de sa famille ou à demander des aides sociales, volonté de se faire entendre et comprendre par le Pouvoir, volonté de faire respecter le principe sacré et constitutionnel de la liberté. Porter atteinte à la libre circulation en voiture est tout simplement une attaque frontale de la liberté (la voiture étant associée à la liberté).
Il est parfaitement légitime pour tout être humain de veiller à ce que les autres et l'Etat ne portent pas atteinte à sa dignité. Contraindre les gens à vivre dans des conditions humiliantes, exténuantes, sans visibilité de sens, sans devenir, sans un minimum de confiance et de stabilité, c'est les traiter de façon indigne. Pousser les gens au désespoir et parfois à l'acte irréparable, les diminuer dans le regard de leur progéniture, cela est délétère et disons-le plus clairement : parfaitement injuste.
Il convient de préciser néanmoins que l'état de victime ne saurait être le seul fondement de la légitimité. Trop souvent, les médias et le monde politique ont tendance à véhiculer pourtant cette idée que la dignité se limite à l'état de victime. Si bien que de plus en plus de gens se victimisent pour mettre en avant leur dignité. Ceci est aberrant. En effet, la dignité existe de facto, sans qu'il y ait besoin de cette réduction à l'état de victime. Une société qui pousse les individus à se victimiser pour obtenir le minimum de considération et obtenir les droits les plus élémentaires, est une société dont les rouages sont forcément injustes. La voie de la dignité ne doit pas passer par l'abaissement !
Dans notre société, la dignité ne va plus de soi. On lui substitue même la "valeur travail" (or, philosophiquement, le travail n'est pas en lui-même une valeur).
Le conflit des légitimités
Si chacun reconnaissait que la dignité (avec le respect de la vie même) est une chose précieuse et supérieure en tous points à tout le reste (les statuts, les classes sociales, les désirs, les querelles...), tout irait pour le mieux. Hélas, ce n'est pas le cas et la dignité est reléguée par les élites du Pouvoir à un rang inférieur à celui de la dignité acquise par l'élection (parlementaires) ou le mérite (les fameux "premiers de cordée"). Nous assistons alors à un dialogue de sourd sans fin entre les gens traités indignement qui se battent pour faire reconnaître leur légitimité et les élus qui leur rappellent leur propre légitimité tirée des élections démocratiques. Nous avons bien affaire à un conflit de légitimité de sources différentes. Seulement, si vous avez bien suivi tout mon raisonnement, la dignité tirée de l'Essentiel et de la Vie est supérieure. Les autres formes de légitimités sont en-dessous. La dignité est une légitimité qui vaut pour toute la durée de la vie (et même au-delà : on doit respecter aussi les défunts) alors que la légitimité de l'élu n'est que temporaire et, de surcroît, de plus en plus fragile et contestée en raison du fort taux d'absentéisme.
Voilà pourquoi, je résume en une formule la situation : le raisonnable est du côté des élus (du moins ceux qui sont sérieux, compétents, libres et de bonne volonté), la sagesse est du côté du Peuple. La sagesse n'empêche pas la colère quand la colère est suscitée par un excès de sentiment d'indignité. Fondamentalement d'ailleurs, colère et sagesse ne se rejettent pas l'une l'autre. Par exemple, les chrétiens admettent que le Dieu de l'Ancien Testament, bien que souvent colérique, est aussi un être de sagesse. Il ne faut pas toutefois confondre la colère (dont la source est une atteinte sérieuse à la dignité) avec la haine qui est une rage mêlée de passions négatives et destructrices.
En conclusion, j'en appelle au retour au Sens et à l'Essentiel ainsi qu'au renversement de la pyramide des légitimités qui doit avoir à son sommet la dignité humaine. J'en appelle à une convergence entre la sagesse du Peuple et les positions raisonnables des élus qui sont à la hauteur de leurs mandats et de la confiance que les électeurs leur ont confiée. Cela ne peut se faire que sur l'échelle du pays entier et par exclusion au préalable des éléments radicaux (les violents et ceux qui revendiquent le renversement pur et simple de la république) ainsi que des élus incompétents, inconsistants ou affligés d'autres défauts incompatibles avec une telle concertation de qualité.
Aujourd'hui, un homme seul défie son peuple au nom de sa seule dignité (refus de céder pour ne pas perdre la face, pense-t-il) et ce faisant il dénie la dignité de tous les Français qui contestent ses décisions. "Ma dignité d'abord !" semble-t-il dire sans vergogne. Cette situation est intolérable et ne peut durer sans risque de recourir au droit constitutionnel du Peuple à l'insurrection.
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