Parrainage et démocratie
Mme Royal, comme M. Bayrou, n’ont pas tardé à critiquer Nicolas Sarkozy sur les parrainages des « petits partis ». Curieuse conception de la part de ceux qui prétendent être les seuls démocrates de cette campagne électorale, donnant dans le même temps des ordres interdisant à leurs adhérents maires, conseillers et députés, de parrainer d’autres candidats qu’eux-mêmes... La déclaration de Nicolas Sarkozy a pourtant le mérite de ne pas avoir été dictée, comme certains ont voulu le faire croire, par un calcul électoral avantageux, mais plus simplement dictée par l’ idée claire de ce qu’est pour lui une vraie démocratie.
En effet, n’existe-t-il pas une contradiction entre le fait de se prétendre démocrate, tout en contestant à une partie du peuple le droit de se prononcer à l’occasion de votes aussi importants pour notre pays que ceux d’avril et mai prochains ? Dans une élection, tout courant devrait pouvoir être représenté, qu’on en partage ou non les idées.
Un aphorisme de Voltaire résume bien cette idée de respect des autres, de tolérance, qui sont les conditions premières de survie de toute démocratie : « Si je ne suis pas d’accord avec vos idées, je me battrai cependant avec autant de force pour que vous puissiez exprimer les vôtres »...
Pourquoi les règles
d’une élection ne s’appliqueraient-elles pas tout autant à Jean-Marie Le Pen
(17% de voix au 2e tour de 2002), qu’à Arlette Laguiller, Olivier
Besancenot et autres José Bové (entre 2 et 5%) ? Il me semble
d’ailleurs qu’il ne s’agit pas tant de ces personnes elles-mêmes que des
idées qu’elles expriment. Il n’y a que des pays totalitaires connus pour
empêcher les minorités de s’exprimer ; heureusement, pas encore la France...
Il y a cependant un problème, et ce problème semble être dû à la loi actuelle,
faite à l’origine pour éviter un trop grand nombre de candidatures
fantaisistes, mal préparée par un Conseil constitutionnel qui n’en a pas
prévu des écueils ressentis aujourd’hui par une majeure partie de
l’électorat . A moins, peut-être, que la publication des parrainages au
Journal officiel n’ait eu à l’époque, aussi, pour secret objet d’éliminer plus
aisément un ou des adversaires devenus dangereux, ce qui constituerait
une faute politique contraire à l’esprit démocratique !
Ce n’est pas tant Le Pen ou un autre qui importent, mais leurs électeurs, qui représentent une part non négligeable de l’électorat. Comment peut-on trouver équitable un règlement qui permette à l’UDF (élus grâce à l’UMP, mais aujourd’hui leurs adversaires...) , aux Verts et aux communistes de se présenter (chacun entre 2 et 5% des voix) et qu’un parti ayant obtenu 5,5 millions de voix (17%) ne le puisse ? Ne pas reconnaître ce dysfonctionnement paraît être le meilleur moyen d’apporter à court terme des voix aux extrêmes, faisant d’eux, en attendant, des exclus, pour ne pas dire des « martyrs ».
En politique, le meilleur moyen permettant de contrer intelligemment des idées que l’on veut combattre, c’est d’offrir à celles-ci les moyens légitimes de s’exprimer. En effet, comment peut-on combattre des arguments si on ne les a ni entendus, ni étudiés ?
La Constitution a fixé le rôle des partis politiques qui doivent concourir à l’expression du suffrage... Si on conteste à un parti minoritaire le droit de pouvoir s’exprimer, il me semble qu’on ne respecte pas notre Constitution, pourtant votée démocratiquement, puisqu’on refuse d’octroyer des droits égaux à une partie des citoyens. Ceci a une conséquence : de nombreux électeurs se tourneront plus tard vers ceux qu’ils considéreront avoir, comme eux-mêmes, été injustement exclus ; d’où ce lit douillet offert aux abstentionnistes et aux extrêmes. Dans une démocratie, il n’y a pas d’électeur à qui l’on puisse légitimement refuser le pouvoir de se prononcer.
Il est aujourd’hui plus que nécessaire de trouver des solutions, ne serait-ce éventuellement que pour pouvoir combattre certaines de celles qui nous seront inévitablement proposées, dans un futur proche. Parmi celles qu’on peut envisager, déjà quelques pistes peuvent être explorées :
-L’étude de faisabilité du « vote obligatoire »
-La reconnaissance du vote « blanc », celui-ci
représentant un choix légitime d’expression (non loin d’être neutre)
-La mise d’une petite part de proportionnelle dans les élections législatives, offrant aux minorités une possibilité d’expression ?(25 Etats de l’Union européenne ont adopté ce principe. Pourquoi pas la France ? Serions-nous plus démocrates que les autres ?)
-Rendre à nouveau secrets les parrainages, ceux-ci n’engageant que leurs auteurs ? (Il semble à ce sujet qu’il y ait une incohérence : le vote des Français est à bulletin secret, mais celui des parrainages nécessaires aux candidats pour lesquels ils sont appelés à voter ne l’est pas)...
-La prise en compte du nombre (vérifié) d’adhérents des partis ?
-Le maintien d’un seuil élevé, ou même sa sensible augmentation,
du remboursement de l’avance de frais de campagne par l’Etat ?
Qu’il nous soit aussi possible d’ajouter que, si plus de cinq millions de Français ont voté pour J.-M. Le Pen, on se doute bien que la majorité de ces électeurs ne sont pas dans les idées les plus extrêmes du Front national : il faut probablement voir dans le système pervers actuel que, pour la plupart, se sentant injustement absents des débats, ils ne disposent pas d’autre moyen de s’exprimer que de voter dans cette direction... Si nous respectons la démocratie, si nous savons en estimer les limites, sans tricher, respectant les idées de l’adversaire avec tolérance, nous réussirons mieux à faire partager nos idées... d’autant plus aisément si celles-ci sont meilleures ! Si nous voulons combattre les idées des partis extrêmes, sachons faire l’effort de les connaître, les étudier, savoir y discerner ce qui est bon de ce qui ne l’est pas, et ne pas donner le sentiment qu’on condamne a priori tout ce qui ne va pas dans notre sens. Le parti pris de l’intolérance nous condamnera toujours à n’être jamais écouté... et à demeurer inefficaces !
Nous
voulons bien sûr avoir pour président celui que nous estimons être le meilleur,
le plus constructif, le plus capable et le plus à même de répondre à nos
légitimes ambitions. Sur l’Agora, les Grecs ont rêvé d’une société de maîtres
sans esclaves, y percevant un idéal démocratique ; voulons-nous devenir,
oubliant deux mille cinq cents ans plus tard les valeurs de la
démocratie, les esclaves d’une société sans maître ?
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