Particularités et paradoxes de la société iranienne, tentative d’approche de « l’Homo Iranicus »
Avant propos :
Lors d’un article précédent sur le « Nord de l’Iran » publié sur divers blogs, j’ai observé que nombre de commentaires fustigeaient ce qui serait un « parti-pris anti-islamique » de l’auteur, celui-ci se livrant à des « amalgames faciles » contre les musulmans contribuant à propager une « image négative » de ces populations d’une autre culture, l’auteur adopte en effet volontiers un ton caustique et ironique pas toujours très mesuré ni hyper délicat, en vérité dans ce qui n’est qu’un compte-rendu d’impressions, il serait vain (et sans doute illusoire) d’escompter une étude purement objective sans aucun emploi d’expressions excessives, le récit doit conserver son caractère de vivacité et de spontanéité, ce qui ne va pas sans qq coups de griffe parfois, l’important c’est le fond, l’intention de l’auteur, qui est de relater un épisode vécu au sein d’un peuple auquel il s’intéresse et qu’il apprécie à sa manière, aussi dans le climat actuel de diabolisation généralisée de l’Iran, c’est bien aller à contre courant que de montrer cette région du globe sous un jour différent de ce que les médias officiels (généralement ignorants) nous relatent, enfin le simple fait de présenter ce pays comme tout autre pays finalement est déjà en soi un acte de solidarité vis-à-vis de la nation iranienne et cela face à la volonté d’écrasement de puissances dominatrices…
1) un système politique qui présente tout de même quelques souplesses
Comme l’indique son appellation « république islamique d’Iran » ou « islamic republic of Iran » l’Iran a une constitution théocratique ce qui est en soi original, de même on a pris l’habitude de penser que cette théocratie du clergé chiite exercerait une dictature absolue et n’aurait laissé le mot « république » que pour faire joli en qq sorte, cette façon de voir procède d’un parti pris excessif et mériterait un examen un peu plus sérieux, qu’énonce en vérité la constitution actuelle de la république islamique d’Iran ?
- un scrutin très large mais de fait verrouillé
Peu de gens le savent, en Iran le droit de vote est universel et fixé à partir de 15 ans, les femmes votent également, les élections concernent l’assemblée législative et le président de la République (mandat de 4 ans), même s’il y a pluralité de candidats, le système est en fait verrouillé par le conseil des Gardiens de la Révolution qui exerce un véritable droit de censure sur les candidats à l’assemblée législative dénommée « assemblée consultative islamique », de même les candidatures à la présidence de la République doivent être approuvées par ce même conseil ;
- Gardiens de la Révolution et Guide Suprême
L’Iran est une théocratie (redite) et le véritable pouvoir est entre les mains du clergé chiite, ce sont les hauts dignitaires religieux qui désignent directement ou indirectement les 12 membres du Conseil des Gardiens de la Révolution qui exercent avec le Guide Suprême un pouvoir déterminant sur la politique du pays tout entier, à noter que le Guide Suprême, actuellement l’ayatollah Khamenei, a été nommé à vie à la mort de l’imam Khomeini, c’est donc un système constitutionnel particulièrement rigide ;
- au final un système oligarchique qui a sa logique
Quelles sont dans ces conditions les marges de manœuvre des élus et du président de la République ? Ils ont surtout un rôle de consultation populaire mais ne peuvent modifier la nature du régime, le rôle du président, actuellement Ahmadinejad, peut être comparé à ce qu’était le tribun de la plèbe dans la république romaine, un système théocratique finalement revient à une oligarchie du clergé, si l’on compare dans les pays communistes régnait de fait une oligarchie des membres du parti (communiste ) et que dire de nos « démocraties » occidentales que d’aucuns accusent d’être des oligarchies de ploutocrates usurpant la dénomination de gouvernement du peuple ?
2) un système religieux plus libéral qu’on a l’habitude de le penser
Une théocratie, gouvernement par une confession, laisserait penser que les membres de cette confession (le clergé chiite) se seraient empressés dans une logique de pouvoir de ne laisser aucune autre place, voire d’éliminer complètement les autres confessions qui pourraient encore subsister sur le territoire national ? Grave erreur d’appréciation, l’Iran n’est pas l’Arabie saoudite même si ce sont 2 états islamiques, dans un cas seule la religion du prince (celle des Saouds) est tolérée càd l’islam sunnite et l’exercice de toute autre religion est formellement bannie, cas à peu prés unique sur la planète, dans l’autre il y a à coté de la religion d’état dominante, l’islam chiite (ce pourquoi l’on parle de république des Mollahs) coexistence, relative tolérance et même un certain souci de protection d’autres minorités religieuses, tolérance à nuancer toutefois car elle est à géométrie variable et mériterait un examen détaillé :
- le cas particulier du Zoroastrisme
Ce fut à la fois un choc et une révélation, une des plus vieilles religions au monde, antérieure au christianisme, la religion mère de l’Iran est toujours vivante car pratiquée encore de nos jours par des dizaines de milliers d’adeptes, ils possèdent leur Temple qui ressemble assez à un bâtiment antique marqué par le cœur où est entretenu le feu sacré, emblème de leur croyance, les prêtres sont en vêtements blancs et font très « peace love », cette religion pourrait connaitre un renouveau !
- les Eglises d’Orient, considérées avec bienveillance
J’ai eu l’occasion de visiter plusieurs églises arméniennes, qui par l’extérieur se rapprocheraient vaguement des églises romanes et par l’intérieur font plutôt penser aux églises orthodoxes, les Arméniens forment la principale minorité chrétienne d’Iran, suivie de prés par les Assyro-chaldéens, moins nombreux et qui possèdent leurs propres églises également de rite oriental, ces 2 communautés chrétiennes correspondant à des populations autochtones du pays et ne procédant par ailleurs à aucun prosélytisme car il s’agit d’un christianisme « ethnique », elles sont paradoxalement bien vues par les autorités et jouissent même de certains privilèges, étonnant…
- les autres églises chrétiennes, déjà beaucoup plus suspectes
A coté de ces églises traditionnelles, les églises d’importation sont considérées avec une méfiance croissante selon leur degré de modernité et de prosélytisme, celle qui aurait le moins à souffrir d’un ostracisme des autorités serait l’église catholique, qui comporte très peu de pratiquants et reste très discrète, le cas des églises protestantes est plus délicat et là encore il faut opérer une distinction entre les églises protestantes traditionnelles (luthérienne ou anglicane) qui sont encore à peu prés tolérées et les églises évangéliques (essentiellement d’origine américaine) qui font l’objet d’une surveillance accrue du pouvoir étant donné leur caractère de prosélytisme agressif (à l’américaine) et le soupçon de 5ème colonne étrangère dont elles font l’objet, pour les autorités iraniennes, il y a donc chrétien et chrétien, à distinguer selon l’ancienneté locale !
- le cas aussi très particulier du Judaïsme
Il y a des Juifs en Iran et au contraire des pays arabes, ceux-ci ne sont pas tous allés en Israël suite aux conflits de 1948 ou 1967, en fait ils seraient même très vexés que vous doutiez de leur existence et de leur pérennité car ils vous expliqueront qu’ils étaient déjà en Perse avant que les Juifs libérés de Babylone ne retournent vers la Terre promise pour construire le second temple, ils forment selon eux la plus vieille diaspora juive, contemporaine des temps babyloniens, c’est dire, en fait ils sont assez peu nombreux, moins de 100 000 dans tout le pays, il y aurait tout de même plus de 20 synagogues rien que dans Téhéran…
- l’Islam sunnite, l’ennemi inavoué
Face à ces communautés religieuses anciennes et indigènes, les autorités chiites du pays ne montrent aucune animosité excessive, il faut dire qu’étant donné leur caractère ultra-minoritaire elles ne peuvent présenter aucun danger pour l’assise du pouvoir, c’est tellement vrai que chacune de ces minorités (zoroastre, assyro-chaldéen, juive) disposent d’un député particulier sur les 290 députés du parlement iranien et les chrétiens arméniens ont même droit à deux députés, en proportion de leur population, on peut dire que ces minorités sont surreprésentées au niveau législatif, qu’elles bénéficient d’une discrimination positive en qq sorte … tel n’est pas le cas des musulmans sunnites, minoritaires (env. 10% de la population) et qui font l’objet d’une méfiance renforcée des autorités, ils font en fait les frais de cette traditionnelle rivalité chiite/sunnite qui est le reflet d’une autre rivalité perse/arabe, de plus ils sont toujours soupçonnés de pouvoir constituer des ennemis de l’intérieur en cas de conflit ouvert qui éclaterait avec les pays arabes !
3) une société musulmane nationaliste et traditionaliste
Les Iraniens ne sont pas des arabes, il faut marteler ce fait, évident pour toute personne normalement instruite, mais dont on doute parfois (de l’évidence) à entendre certaine déclaration de personnalité française politique ou médiatique, il est vrai que vu de France, l’Iran c’est un peu loin, mais tout de même il y a des limites à l’ignorance, ignorance crasse au cas présent !
Comment pourrait-on définir « l’iranité », de quoi les Iraniens sont ils fiers ?
- de leur histoire
Encore aujourd’hui les Perses (+70% de la population iranienne) se considèrent comme les héritiers directs des anciens Perses qui ont constitué le plus grand empire de la période antique (avant Rome), dans leur esprit il n’y a pas vraiment eu de césure historique et ils se vivent toujours comme Empire central, stable, souverain et d’une pérennité absolue, un peu à la manière de la Chine, empire du milieu, cette « certitude » historique, même si elle est assez enjolivée et en partie fantasmée, sert en permanence d’éclairage à la compréhension et l’analyse qu’opère le citoyen iranien lambda, ce fameux Homo Iranicus, du monde extérieur et des rapports avec les autres nations, « nous sommes maitres chez nous, non pas depuis plusieurs siècles mais depuis toujours, un peuple libre, indépendant et fier, nullement vindicatif envers les autres nations mais jaloux de sa souveraineté et décidé à la défendre jusqu’au bout », qu’on se le dise, même le pire opposant au régime reste et restera un patriote iranien indéfectible !
- de leur culture
Vieille histoire rime normalement avec vieille culture, à ce niveau encore les Iraniens ou plutôt les Perses sont très fiers, non sans raison, de leur très ancienne culture, celle-ci présente des aspects originaux indiscutables même si l’Islam a exercé une forte influence sur son évolution, leur langue de nature indo-européenne s’est conservée, même si les caractères arabes ont été adoptés, elle est marquée par une très riche littérature et un fort goût pour la poésie, aussi dans la cuisine, la joaillerie, il y a tout un art de vivre qui témoigne de la splendeur de l’ancienne Perse, en fait les Iraniens ne doutent pas de leur « supériorité » face aux Européens, arguant du fait que leur culture est antérieure, certes mais certaines cultures parfois s’essoufflent tandis que d’autres évoluent, de fait vu sa position médiane entre l’extrême orient et le monde méditerranéen, le monde Perse a surtout servi de passeur aux différentes cultures étant entendu qu’à des époques très reculées la civilisation étant nettement plus avancée du coté de l’Orient…
- de leur présent
Ce n’est pas là le moindre des paradoxes, pour nous Européens, qui avons l’habitude d’observer avec une certains condescendance et désinvolture ces pays orientaux comme étant des laissés pour compte de l’histoire, au prétexte qu’ils auraient raté le train de la modernité, les Iraniens non seulement se considèrent comme étant « dans le coup » mais qqfois en plus à la pointe, ils avancent pour cela la modernité de leur industrie ; il est exact qu’ils possèdent une industrie d’armement moderne et que jusqu’à peu (mais c’est un autre débat) ils produisaient des automobiles haut de gamme de la marque Peugeot grâce à leur filiale Iran Khodro, ils sont également fiers de leur révolution islamique et de leur système politique (que nous ne leur envions guère) mais surtout de leur indépendance nationale et du caractère fortement affirmé de pays non-aligné, il est d’ailleurs à souligner à ce sujet que le fait que l’Iran a organisé récemment le sommet du MNA et préside désormais le mouvement des pays non-alignés (MNA) pour les 3 prochaines années est passé quasi inaperçu dans les médias occidentaux, certainement pas un hasard !
Cela pour le point de vue iranien, sachez qu’ils ne nous envient guère et que toute notre logorrhée habituelle assortie de discours moraux sonne à leurs oreilles comme non seulement hypocrite mais en même temps profondément absurde, avis qui n’est pas dénué de fondement (note de l’auteur), mais voyons maintenant l’autre point de vue, moins romantique, plus prosaïque, d’un occidental (européen ou américain) qui « débarquerait » soudainement en Iran, comment lui apparaissent les choses ?
D’abord l’Iran ce n’est pas le tiers-monde, on est frappé par un certain niveau d’opulence, l’état des routes, l’abondance et la qualité du parc automobile (beaucoup de véhicules Peugeot) l’importance et le standing de la plupart des bâtiments, la plupart des appartements disposent d’un très grand confort et de tout l’équipement moderne, bref ce n’est pas le dénuement et même s’il y a beaucoup de pauvres, la majorité des gens vivent dans une relative aisance, alors quelles différences sont à noter ?
Elles viennent pour la plupart du caractère musulman du pays, et surtout depuis l’accession au pouvoir en 1979 du régime des Mollahs, les codes de conduite islamiques ont fait plus que s’imposer à la population, ils ont pris force de Loi et édictent les règles de conduite au quotidien ; stricte séparation des 2 sexes, règles vestimentaires pour les femmes, application de la semaine musulmane (càd que le vendredi est férié avec généralement en sus le jeudi), l’Iran est un pays musulman et cela se perçoit jusque dans les toilettes dont le fonctionnement est différent !
Mais comment sont les gens ? Ils sont réservés, plutôt rudes et grossiers dans l’anonymat sur la voie publique mais se montrent d’emblée charmants, aimables et serviables, dès que vous êtes dans un rapport particulier avec eux, il faut toujours saluer, remercier, dire un mot aimable, éviter de refuser une invitation (on vous proposera du thé, des fruits ou des gâteaux à toute heure du jour) enlever ses chaussures quand on rentre chez quelqu’un, serrer la main aux femmes seulement si elles vous la tendent mais surtout garder la distance, si vous observez ces qq règles on vous respectera et on vous appréciera généralement car l’Iranien n’a aucune hostilité de principe envers l’Européen, vraiment aucun a priori négatif contrairement à ce que l’on aurait pu craindre…
Autre surprise, si l’on pense « tchador », l’Iran prison pour les femmes, on est surpris de l’incroyable coquetterie d’un très grand nombre de femmes en ville, celles-ci semblent jouer exprès avec les règles vestimentaires pour en faire une sorte d’atout charme supplémentaire, voile foulard ornant la tète de façon magnifique et d’ailleurs porté très largement en arrière pour laisser découverte une chevelure abondante et généralement teinte, un visage très maquillé et une avalanche de bijoux aux mains et aux poignets, là dessus parfois des talons pour rehausser la silhouette, l’anti-tchador en qq sorte, coté masculin si c’est beaucoup plus libre c’est généralement nettement moins brillant, pas de vrai costume car jamais de cravate mais un ensemble dépareillé avec un col de chemise toujours ouvert et à l’aspect passablement défraichi, un pantalon de couleur terne et aux pieds des mocassins dans le meilleur des cas mais souvent des sandales usagées, l’homme iranien, cet Homo Iranicus, semble toujours vaguement négligé, comme pour se démarquer de l’occidental qui s’efforce d’avoir l’air impeccable, l’iranien lui n’est pas un européen et cela se voit…
Cette différence orient/occident se ressent à des tas de petits gestes, l’oriental semble avoir une perception du temps différente ou plutôt on a l’impression qu’il a tout le temps, ses gestes sont plus nonchalants, sa démarche moins nerveuse, sa voix plus lente, pour s’en pénétrer il faut visiter les magnifiques jardins du centre de Téhéran et ensuite aller plonger car c’est vraiment l’impression que cela fait, dans le grand bazar tout proche, c’est un réseau de ruelles semi-souterraines absolument fascinant à observer, bordées d’échoppes de toutes parts, même si l’image est un peu facile on a vraiment le sentiment de découvrir la caverne d’Ali Baba, une telle « géographie » urbaine n’est pas concevable en occident, elle appartient à l’orient, fait partie de son charme !
Hieronymus, octobre 2012
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