« Partir c'est mourir un peu, mais mourir c'est partir beaucoup. »
Alphonse Allais
Un article paru dans le journal Le Monde a attiré mon attention et celle de milliers d'internautes. L'auteur s'interroge ni plus ni moins à quelle vitesse minimum il faut marcher pour ne pas être rattrapé par la Grande Faucheuse, la mort pour ne pas la nommer ? Une autre publication incrimine justement, la vitesse dans le monde actuel et, l'anomie vient du fait que tout va rapidement, que tout disparaît, que tout se démode, que tout se détériore et, qu'en fait, on ne prend pas le temps de vivre. « O temps suspends ton vol » écrivait Lamartine. Comment profiter du temps ? Comment freiner le temps alors que dans le même temps l'étude précédente nous incite à nous presser pour ne pas se faire rattraper par la mort ? Nous allons tenter d'y voir clair.
Peut-on se jouer du temps en le regardant de l'extérieur ? N'étant pas plutôt dans le temps comme dans une rame de métro, on peut certes, s'asseoir confortablement dans la rame, profiter du temps, mais le temps est fléché et la mort est inéluctable. Deux études complémentaires traitent de la vitesse optima pour ne pas se faire doubler par la mort.
Dans sa belle Supplique pour être enterré à la plage de Sète, Georges Brassens chantait : « La Camarde, qui ne m'a jamais pardonné d'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez, me poursuit d'un zèle imbécile. » Oui, mais à quelle vitesse ? Squelettique, vêtue d'une longue robe noire à capuche et brandissant sa faux pour faire sa moisson d'âmes, la Mort s'avance à une allure, qui, jusqu'à présent, n'avait pas encore été déterminée par la science. Une équipe australienne vient combler cette irritante lacune dans une étude médico-humoristique publiée le 15 décembre par le British Medical Journal (BMJ) ». (1)
Pour rappel, justement, dans un style sobre et mélancolique, on se souvient que dans sa célèbre et temporelle chanson, Georges Brassens, sentant la mort venir, demande à son notaire de noter son nouveau testament : quand il sera mort et que son âme aura retrouvé Gavroche et Mimi Pinson, son corps sera ramené à Sète. Le caveau de famille étant plein, il sera enterré dans un caveau à part, un « petit trou moelleux » situé près de la mer, près de la plage de la corniche. Un pin parasol sera planté à côté de la tombe, ainsi placée entre « ciel et eau ». De la sorte les passants, lorsqu'ils verront cette tombe, se diront peut-être que ce défunt « passe sa mort en vacances ». Respectueux, il demande « par avance, pardon à Jésus si l'ombre de sa croix s'y pose un peu dessus ». Georges Brassens était né à Sète en 1921 et avait gardé un fort attachement pour cette commune, que du coeur il ne quitta jamais. La chanson fait explicitement référence à Paul Valéry et à son poème Le Cimetière marin.
« Pour comprendre la méthodologie employée par les chercheurs de l'étude, poursuit l'auteur, il faut savoir que la vitesse de marche constitue une excellente mesure objective des capacités physiques des personnes âgées, et qu'elle a pu prédire de manière fiable qui, parmi plusieurs cohortes de sujets, survivrait à court ou moyen terme. Mourir est donc une question de vitesse. Comme ceux qui marchent trop lentement se font rattraper et prendre par la Grande Faucheuse, il est possible, en chronométrant le pas de personnes âgées et en voyant celles qui succomberont (ou pas) au cours des mois ou années à venir, d'évaluer précisément la vitesse maximale à laquelle marche la Mort... Les auteurs de l'article du BMJ ont donc profité d'une vaste enquête médicale menée sur des centaines d'hommes âgés de plus de 70 ans pour élucider cette mystérieuse question de santé publique. Plus de 1600 personnes ont ainsi été recrutées dans les environs de Sydney sur les listes électorales, qui présentent l'avantage de donner les dates de naissance et de fournir un échantillon représentatif de la population puisque voter est obligatoire en Australie. A ceux qui auraient préféré convoquer directement la Camarde pour lui faire passer des tests sur tapis roulant, les chercheurs ont répondu : « Etant donné que « vivre » dans la région était un critère d'entrée pour l'étude, nous n'avons pas pu obtenir la participation de la Mort aux évaluations cliniques. De plus, pour autant que nous le sachions, la Mort n'est pas actuellement inscrite sur les listes électorales australiennes. » Imparable ».(1)
« Les médecins, lit-on dans l'article, ont commencé par mesurer la vitesse de marche de leurs papys. Puis ils ont attendu. Pendant cinq ans en moyenne, ils ont suivi de loin en loin l'évolution de leur état de santé et, quand personne ne répondait aux enquêtes, ils consultaient les registres des décès... Au total, 266 des participants à l'enquête n'en ont pas vu la fin. Ils auraient sans doute appris que, marchant en moyenne à moins de 2,95 km/h, ils risquaient bien plus que les autres de se faire rattraper par la Faucheuse, dont c'est la vitesse de croisière. A partir de 4,9 km/h, en revanche, elle ne peut plus rejoindre quiconque, car ses capacités musculaires sont à l'évidence très restreintes. Selon les chercheurs, il existe sans doute d'autres possibilités, malheureusement non testées, pour échapper au trépas tout en gardant un train de sénateur, notamment l'utilisation des fameuses « reliques de la mort » rendues célèbres par la saga Harry Potter. Des reliques qu'ignorait Georges Brassens, lequel eut l'idée malheureuse de ralentir le pas, de faire « la route à la papa » en descendant, un jour d'octobre 1981, le »Boulevard du temps qui passe »... ». (1)
Au-delà de l'aspect humoristique et même philosophique, le moment de la mort est un problème non résolu. Quelle quantité de « vie » reste-t-il au mourant ? Un mois, une semaine, un jour, quelques heures ? Pourquoi meurt-on à un moment et pas juste avant ou juste après ? Pour l'instant, pas de réponses satisfaisantes. Je retiens que certains mourants peuvent différer leur mort jusqu'à l'arrivée ou le départ d'une personne « je t'attendais pour mourir » ou le contraire : « maintenant, je peux mourir » . Notons cependant que la vitesse peut pénaliser les jeunes : accidents du travail et des loisirs, accidents de la route ; la rapidité des réflexes, une trop grande confiance en soi et l'audace sont des atouts ambivalents, car ils garantissent aussi la réussite. La sécurité routière nous dit au contraire que plus on roule vite, plus on meurt vite : là aussi, les statistiques le confirment.. Pourtant en voiture, plus on va vite, moins on risque de mourir. A Alger nous avions une route meurtrière que l'on appelait "La moutonnière" . Il fallait passer le moins de temps en l'empruntant , pour cela il faut aller vite !! C'est évident, puisque si on roule très vite, on reste moins longtemps dans sa voiture, donc on diminue le temps de risque d'accident. J'ai essayé de l'expliquer aux policiers de la route . Il y en a même qui sont très instruits au point de parler de fonctions non linéaires.. pour expliquer cela.
La vitesse de la marche en question
Le ralentissement est la caractéristique de l'involution : on cicatrise moins vite, on parle, on bouge, on comprend, on pense, moins vite ; si la maladie s'y met : le ralentissement est double. Cette étude le confirme. La mort est un outil statistique appelé espérance de vie, oxymore étrange pour dire que toute vie a une fin même si la vitesse de rapprochement semble ralentie. Dans certains Etats des USA, lorsque le condamné va vers son exécution, le gardien chef de la prison annonce à très haute voix : « le mort est en marche »... Le vieil adage : marche ou crève est à point nommé. Oui mais plus on va vite plus le temps est court... Fernand Raynaud et la théorie de la relativité restreinte d'Albert Einstein le confirment....
Une autre étude rapportée par Radio-Canada plus ancienne et allant dans le même sens, nous apprend aussi que plus les personnes âgées marchent vite, plus elles vivent longtemps, affirment des chercheurs américains. La Dre Stephanie Studenski et ses collègues de l'Université de Pittsburgh ont constaté que la vitesse de la marche avait un lien avec la longévité, et ce, particulièrement chez les gens de plus de 65 ans. Pour arriver à cette conclusion, les auteurs de ces travaux publiés dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) ont examiné, de 1985 à 2000, plus de 34.000 hommes et femmes, dont l'âge moyen était de 73,5 ans. « Le nombre attendu d'années restant à vivre pour les hommes et les femmes augmente avec l'allure de leur marche. » L'équipe de recherche a calculé que la longévité normalement attendue à un âge donné commence à augmenter pour les deux sexes à partir d'une vitesse de marche d'un mètre par seconde. L'allure moyenne des participants a été de 0,92 mètre par seconde. « De nombreux facteurs expliqueraient, selon la Dre Studenski, pourquoi la vitesse de la marche est un bon indicateur pour prédire le nombre d'années restant à vivre chez les personnes âgées. Elle ajoute que marcher demande de l'énergie et un contrôle des mouvements et fait travailler de multiples organes, dont le coeur, les poumons et les systèmes nerveux, circulatoire et squelettomusculaire. Ainsi, un pas plus lent pourrait être le signe d'une détérioration du fonctionnement de ces organes et de ces systèmes et pourrait par conséquent servir à identifier des personnes âgées ayant un risque accru de mortalité. » (2)
Moins vite la vie !
Sur un autre registre, la vitesse est montrée du doigt car elle démolit la sensation de « délectation ». La contribution suivante fait l'éloge de la lenteur : « La planète est frappée d'un mal terrible, celui de la vitesse. Toujours plus vite, plus haut, plus loin et... toujours moins bien pensé. Mais pourquoi le « vite fait mal fait » s'est-il ainsi emparé du travail, de l'action politique et de notre vie quotidienne ? Et comment y remédier ? Les acteurs de la philosophie « slow » ouvrent la voie de ce qui sera peut-être la pensée majeure de notre siècle agité.... « Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l'or. Sur une Terre surpeuplée, surchauffée, bruyante, une cabane forestière est l'eldorado. »... C'est tout ce dont nous rêvons tous sans en avoir le courage : retrouver le rythme des saisons, l'épaisseur du silence, le sens du temps qui s'écoule... Fantasme bien compréhensible d'une civilisation qui ressemble de plus en plus à un épisode de 24 heures chrono. On mange trop vite, on dort trop peu, on bâcle de plus en plus et l'on savoure de moins en moins. Et cela dépasse le chronomètre : l'ère de l'urgence porte en elle le stress bien sûr, mais aussi le moche, le mal conçu, le standardisé, le superficiel, l'énergivore, le polluant... Fast-food égale malbouffe ; chanteurs jetables égalent pop indigeste (...) ».(3)
« Tentez une expérience poursuit l'auteur, si vous avez la trentaine et un enfant : faites le point sur la quantité incroyable d'objets banals des années 1980 et 1990 qu'il ne connaîtra jamais : la télé sans télécommande, les voitures avec vitres non électriques et sans autoradio, la musique sur disque, les dessins animés sur cassette, le téléphone sans touches et avec fil, la vie sans Ipod, sans Internet, sans portable et même sans ordinateur... Vous ne provenez pourtant pas du néolithique ! (...) Pour l'essayiste Gilles Finchelstein, auteur de La dictature de l'urgence, c'est encore une question géopolitique : « La mondialisation a mis en concurrence nos vieilles économies avec celles de pays émergents. Et qui dit concurrence dit obligation d'intensifier la cadence. » Il pointe aussi la disparition des grandes croyances, le marxisme et le christianisme, « qui nous faisaient oeuvrer pour les générations futures. Aujourd'hui, il n'y a qu'une vie pour se réaliser, ce qui est à la fois un progrès, mais peut être très anxiogène. » (3)
Quel est le secret du bien vieillir ?
D'où viendrait la solution et comment donner du temps au temps ? L'auteur propose de faire des pauses : « (...) Cette course à l'échalote généralisée a trouvé un antidote : le mouvement slow. Ce n'est pas un hasard s'il est né sous la plume d'un critique gastronomique. L'Italien Carlo Petrini, qui en avait ras-le-bol du fast-food, a inventé le « slow food » en 1986. Treize ans plus tard, sa ville - Bra - et trois autres décidaient d'appliquer la philosophie slow aux cités, inventant le mouvement des « Città slow » (villes lentes), qui regroupe aujourd'hui pas loin d'une centaine de municipalités. Le slow a ensuite contaminé de nouveaux domaines : le design, l'éducation,... Là encore, il s'agit moins de ralentir le tempo que de réhabiliter le qualitatif, le sobre, le durable, le non-rentable, le délicat, le pertinent et parfois l'inutile - disons le beau, tout simplement. Et de fait, dans bien des domaines, les choses vont dans le bon sens : autant de chemins qui permettent, dans son coin, d'entamer un voyage au bout du slow. Et de mettre en pratique l'épatant slogan de Mai 68 : « Assez d'actes, des mots ! » » (3)
Remettant en cause la propriété -le bien- au profit du lien de convivialité, l'auteur écrit : « Un jour, nous regarderons le XXe siècle et nous nous demanderons pourquoi nous possédions autant de choses », affirmait récemment Bryan Walsh dans Time Magazine qui consacrait la Consommation Collaborative comme l'une des dix idées amenées à changer le monde. L'économie du partage se propage : du transport aux voyages en passant par l'alimentation, le financement de projets et la distribution, tous les secteurs ou presque voient cette nouvelle économie émerger. Pourquoi acheter et posséder alors que l'on peut partager, semblent dire des millions d'individus. Les statistiques sont éloquentes, l'émergence de l'économie du partage est une réalité. » (3)
On voit que face à la dictature du temps, la fin est inéluctable et on s'aperçoit que posséder ne nous donne pas de sursis vis-à-vis de l'horloge du temps. On dit que sur le point de mourir, Alexandre le Grand demanda : « Que son cercueil soit transporté à bras d'hommes par les meilleurs médecins de l'époque. Que les trésors qu'il avait acquis (argent, or, pierres précieuses...), soient dispersés tout le long du chemin jusqu'à sa tombe, et...Que ses mains restent à l'air libre se balançant en dehors du cercueil à la vue de tous. Je veux, dit-il, que les médecins les plus éminents transportent eux-mêmes mon cercueil pour démontrer ainsi que face à la mort, ils n'ont pas le pouvoir de guérir...Je veux que le sol soit recouvert de mes trésors pour que tous puissent voir que les biens matériels ici acquis, restent ici-bas... - Je veux que mes mains se balancent au vent, pour que les gens puissent voir que les mains vides nous arrivons dans ce monde et les mains vides nous en repartons quand s'épuise pour nous le trésor le plus précieux de tous : le temps. »
La seule façon de vivre longtemps et de bien vieillir - d'avoir le temps devant soi, temps qui a manqué cruellement à Alexandre le Grand qui a conquis la moitié du monde, mort à 36 ans - est donc de bien vieillir... et pour vieillir en santé, il faut se prendre en mains... bien manger, mais de façon raisonnable, faire de l'exercice, avoir un bon équilibre de vie, contrôler sa vie au lieu de la laisser contrôler par les autres. Prendre son temps, tout en entretenant son corps notamment en marchant vite - est peut-être là le secret d'une vie bien remplie que l'on quitte sans regret peut être même avec la satisfaction d'avoir été utile. " J'ai fait un peu de bien, c'est mon meilleur ouvrage" disait Montaigne . Tout est dit.
1. A quelle vitesse la Mort marche-t-elle ? Le Monde Science et techno 16.12.11
2. www.radiocanada.ca/nouvelles/sante/2011/01/05/003-longevite-marche-longevite.shtml
3. http://www.terraeco.net/All-you-need-is-slow,19887.html28-10-2011
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz